Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8529

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 80-81).
8329. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 26 avril.

Pouvez-vous croire que je ne lise point votre Encyclopédie ? J’ai été toute des premières à l’avoir. Rien de ce que vous donnez au public ne me manque ; il n’y a que ce que vous confiez à vos plus confidents et plus intimes amis dont il faut bien que je me passe, soit dit en passant, mon cher Voltaire.

Il y a longtemps que nous avons parlé dans nos lettres du sujet que vous traitez dans votre dernière ; mon instinct m’a toujours menée à penser tout ce que vous dites ; si nous nous trompons, ce n’est pas notre faute : nous n’avons pour guide que nos sens ; s’ils nous égarent, je n’y vois point de remède.

Vraiment, mon cher Voltaire, mon petit logement est bien à votre service ; prenez-moi au mot, hâtez-vous de le venir occuper ; mais bon ! si vous veniez ici, vous me dédaigneriez bientôt ; vous vous enivreriez du faste de votre nombreuse livrée, et vous savez qu’elle ne m’aime pas.

J’ai envoyé votre première lettre à la grand’maman ; je vais vous copier, mot pour mot, ce qu’elle m’a écrit :

« Dites à M. de Voltaire, ma chère petite fille, que comme la disgrâce n’ôte pas le goût, nous avons conservé la même admiration pour lui ; mais que la circonspection que notre position exige ne nous permet pas d’être en commerce avec un homme aussi célèbre, et qu’elle nous fait désirer qu’il ne parle de nous ni en bien ni en mal, dans aucun de ses écrits publics ou qui peuvent le devenir ; que son silence est le plus grand égard qu’il puisse marquer à notre situation, et la marque d’amitié qu’il puisse nous donner à laquelle nous serons le plus sensibles. »

Adieu, mon cher Voltaire, il y a plus de cinquante ans que je vous aime ; j’en ai peut-être encore quatre ou cinq à vous aimer. C’est ma sentence que je prononce, et non pas la vôtre.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.