Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8528

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 79-80).
8528. — À M. MALLET DU PAN.
À Ferney, 24 avril.

Mon cher et aimable professeur, qui ne professerez jamais que la vérité et le noble mépris des impostures et des imposteurs, que vous êtes heureux d’être auprès d’un prince juste[1], bon, éclairé, qui foule aux pieds l’infâme superstition, et qui met la religion dans la vertu ; qui n’est ni papiste, ni calviniste, mais homme, et qui rend heureux les hommes qui lui sont soumis ! Si j’étais moins vieux, je quitterais mes neiges pour les siennes, et mon triste climat pour son triste climat qu’il adoucit, et qu’il rend agréable par ses mœurs et par ses bontés.

Vous avez devant vous une belle carrière ; vous pouvez, en donnant des leçons d’histoire dans un goût nouveau, et en détruisant les mensonges absurdes qui défigurent toutes les histoires, attirer à Cassel un grand nombre d’étrangers qui apprendront à la fois la langue française et la vérité[2]. J’ai eu un ami, nommé M. Audra[3], docteur de Sorbonne, qui méprisait prodigieusement la Sorbonne, et qui était allé faire à Toulouse ce que vous faites à Cassel. Une foule étonnante venait l’entendre. Les fripons tremblèrent ; ils se réunirent contre lui. Les prêtres firent tant qu’ils lui ôtèrent sa place, que le conseil de ville lui avait donnée. Il en est mort de chagrin. Vous éprouverez un sort tout contraire. Par quelle fatalité faut-il que les plus beaux climats de la terre, le Languedoc, la Provence, l’Italie, l’Espagne, soient livrés aux superstitions les plus infâmes, lorsque la raison règne dans le Nord ? Mais souvenons-nous que ce sont les peuples du Nord qui ont conquis la terre ; espérons qu’ils pourront l’éclairer.

Mme Denis, et tout ce qui est à Ferney, vous fait mille compliments. Je vous envoie le neuvième tome des Questions, qui excite beaucoup de rumeur chez les tartufes de Genève.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

  1. Frédéric, landgrave de Hesse-Cassel, qui était en correspondance avec Voltaire depuis 1753.
  2. Voyez lettre 8569.
  3. Voyez tome XI, page 497 ; et XLVI, 235.