Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8497

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 47-48).
8497. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
20 mars.

Mes divins anges, si cette lettre du pays des neiges parvient jusqu’à vous ; si, parmi les sottises de Paris, vous daignez vous intéresser un peu aux sottises de la Crète, vous saurez que le jeune avocat Duroncel est toujours reconnaissant, comme il doit l’être, des bontés du quatuor. Il lui est venu un petit scrupule qu’il m’a confié, et sur lequel je vous consulte. Il a peur que Teucer ayant paru déterminé, dès le second acte, à étendre son autorité trop bornée, et à ne pas souffrir le sacrifice d’Astérie, ne paraisse se démentir au troisième acte, lorsque la violence de Datame a changé la situation des affaires. Il craint qu’on ne reproche à Teucer de changer aussi trop aisément ; il prétend que Teucer ne saurait trop insister sur les raisons qui le forcent à souffrir le supplice d’Astérie, contre lequel il s’était déclaré d’abord si hautement.

Cet avocat ne plaide que pour vous plaire ; il craint même que son factum ne paraisse à l’audience des comédiens. Il est toujours dans l’idée que ces messieurs n’ont ni goût, ni sentiment, ni raison ; qu’ils ne se connaissent pas plus en tragédies que les libraires en livres, et qu’en tout ils sont aussi mauvais juges que mauvais acteurs ; qu’enfin il est honteux de subir leur jugement, et plus honteux d’en être condamné. C’est à vous de juger de ces moyens que mon avocat emploie ; je ne puis lui donner de conseil, moi qui suis absent de Paris depuis vingt-quatre ans, et qui ne suis au fait de rien.

On m’a dit d’étranges nouvelles d’un autre tripot plus respectable. Je ne sais si on me trompe, mais on m’assure que tout va changer : je ne crois que vous en vers et en prose.

Je me mets à l’ombre de vos ailes. Si cette facétie vous a amusés un peu, je me tiens très-content.