Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8496

8496. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
16 mars.

J’ai montré au jeune avocat[1] la lettre du 9 mars, qui est bien plus pour lui que pour moi. Il est bien difficile de le guérir de la prévention où il est que sa pièce ne sera que du réchauffé ; et je l’ai vu tout prêt à quitter la poésie, ainsi que le barreau. Je l’ai ranimé autant que je l’ai pu ; mais je n’ai rien eu à lui dire sur la reconnaissance et l’attachement qu’il a pour le quator. Il m’a paru de ce côté-là beaucoup plus parfait que sa pièce.

J’ai tiré de lui quelques changements à la fin du second acte ; je vous les envoie. Ces corrections me paraissent nécessaires : le dialogue est plus pressé et plus vif ; l’aristocratie des Crétois me semble bien mieux développée. Je vous supplie donc, avec lui, de faire porter ces changements sur la pièce que vous avez.

Mme Denis a examiné la pièce avec les yeux les plus sévères : elle pense fermement qu’elle vaut mieux que tous les plaidoyers de nos avocats ; elle dit qu’il est bien à désirer qu’on la joue immédiatement après Pâques, pour des raisons qui sont fort bonnes et que je ne puis détailler ici.

Je n’ai point reçu le bon Bourru[2] du bon Goldoni. Je l’ai acheté. Cette comédie m’a paru infiniment agréable. C’est une époque dans la littérature française qu’une comédie du bon ton faite par un étranger.

Je suis enchanté de l’approbation du duc d’Albe[3]. Ma colonie est à vos pieds, et vous remercie de vos bontés. Je me joins à elle et à notre jeune avocat pour vous dire que, si javais un peu de santé, nous viendrions tous faire nos Pâques dans votre paroisse.

  1. Supposé l’auteur des Lois de Minos.
  2. Le Bourru bienfaisant, comédie en trois actes et en prose, par Goldoni, jouée sur le Théâtre-Français le 4 novembre 1771.
  3. Le duc de Choiseul.