Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8486

8486. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
Ferney[1].

Mon jeune candidat est venu chez moi ce soir tout effaré : « On va jouer, m’a-t-il dit, les Druides[2] d’un illustre auteur de Paris, nommé M. l’abbé Le Blanc[3], qui a déjà donné un Mogol avec beaucoup de succès. Ces Druides sont précisément la même chose que mes Crétois : ils veulent immoler une jeune fille, on les en empêche.

« Je me vois dans la douloureuse nécessité d’imprimer ma pièce avant que celle de M. l’abbé Le Blanc soit jouée. »

Mon pauvre jeune homme m’a assuré qu’il avait fondé de grandes espérances sur son île de Candie[4]. Il est fort affligé ; je l’ai consolé comme j’ai pu ; mais, au fond, je ne vois pas qu’il ait d’autre parti à prendre. Je lui ferai part des conseils que vous voudrez bien lui donner. Comme je ne connais point Paris, et que tout est changé depuis environ vingt-quatre ans que j’ai passé par cette ville, je ne puis rien lui dire sur le parti qu’il doit prendre.

Mes respects au quatuor. V.

  1. Cette lettre était répétée à janvier 1773, et comme adressée à d’Argental : elle est certainement de 1772, et peut-être même est-elle antérieure de quelque temps à celle qui précède. (B.)
  2. Les Druides furent joués le samedi 7 mars 1772. Cette tragédie, défendue le 27 avril à la rentrée du théâtre, est d’Antoine Blanc, connu sous le nom de Leblanc de Guillet, né le 2 mars 1730, mort le 2 juillet 1799.
  3. L’abbé Le Blanc, auteur d’Abensaid, est autre que Leblanc de Guillet.
  4. C’est dans l’île de Crête, aujourd’hui de Candie, qu’est la scène des Lois de Minos.