Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8472

Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 20-21).
8472. — À M. SAURIN.
2 février.

Nous sommes, mon cher philosophe, un petit nombre d’adeptes qui aimons encore les bons vers. Votre petit recueil[1], moitié gai, moitié philosophique, m’a fait grand plaisir. Comment ! vous parlez de la vieillesse comme si vous la connaissiez. Pour moi, je sais ce qui en est ; j’en éprouve toutes les misères, et, avec cela, je vous dirai que je n’ai trouvé la vie tolérable que depuis que je vieillis dans ma retraite.

Vous faites des vers comme si vous n’écriviez point en prose, et vous écrivez en prose comme si vous ne faisiez point de vers. Votre comédie du Mariage de Julie est une des plus agréablement dialoguées que j’aie jamais lues.

Adieu, mon cher philosophe ; vieillissez, quoi que vous en disiez. Je m’amuse a établir des colonies et à marier des filles ; cela me rajeunit.

J’ai toujours oublié de vous demander si Mme de Livry[2], votre ancienne amie, vit encore. Je me souviens que, du temps de l’aventure horrible des Calas, j’écrivis à M. de Gouvernet pour le prier de s’intéresser à cette famille infortunée. Il ne me fit point de réponse, et ne voulut point voir Mme Calas. Il ne mérite pas de vieillir ; cependant je ne souhaite pas qu’il soit mort.

Je vous embrasse bien tendrement.

  1. Il est intitulé Épîtres sur la Vieillesse et sur la Vérité, suivies de quelques pièce fugitives en vers, et d’une comédie nouvelle en prose et en un acte ayant pour titre le Mariage de Julie, par M. Saurin, de l’Académie française, 1772, in-8°.
  2. Voyez tome V, page 402 ; et X 269.