Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7538
Je vous remercie, monsieur, du plus grand plaisir que j’aie eu depuis longtemps. J’aime les beaux vers à la folie : ceux que vous avez eu la bonté de m’envoyer sont tels que ceux que l’on faisait il y a cent ans, lorsque les Boileau, les Molière, les La Fontaine, étaient au monde. J’ai osé, dans ma dernière maladie écrire une lettre à Nicolas Despréaux[1] : vous avez bien mieux fait, vous écrivez comme lui.
« Le jeune bachelier qui répond à tout venant sur l’essence de Dieu ; les prêtres irlandais qui viennent vivre à Paris d’arguments et de messes ; le plus grand des torts est d’avoir trop raison ; la justice qui se cache dans le ciel, tandis que la vérité s’enfonce dans son puits, etc., etc. » sont des traits qui auraient embelli les meilleures épîtres de Nicolas.
Le portrait du sieur d’Aube[2] est parfait. Vous demandez à votre lecteur
S’il connaît par hasard le contradicteur d’Aube,
Qui daubait autrefois, et qu’aujourd’hui l’on daube,
Et que l’on daubera tant que vos vers heureux
Sans contradiction plairont à nos neveux.
Oui, vraiment, je l’ai fort connu et reconnu sous votre pinceau de Téniers.
Si vous vouliez, monsieur, vous donner la peine, à vos heures de loisir, de relimer quelques endroits de ce très-joli discours en vers, ce serait un des chefs-d’œuvre de notre langue.