Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6527

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 454-455).

6527. — À M.  DAMILAVILLE.
1er octobre.

Je vous envoie, mon cher ami, cette lettre ouverte pour M. de Beaumont[1], que je vous supplie de lire.

Il s’est chargé de trois affaires fort équivoques, qui feront grand tort à la cause des Sirven. Il y a un parti violent contre lui : on a surtout prévenu les deux Tronchin. On s’irrite de le voir invoquer une loi cruelle[2] contre les protestants mêmes qu’il a défendus ; on dit que sa femme, étant née protestante, devait réclamer cette loi moins qu’une autre. On prétend que l’acquéreur de la terre de Canon[3] est de bonne foi, et que les terres en Normandie ne se vendent jamais plus que le denier vingt. On assure que le brevet obtenu par l’acquéreur le met à l’abri de toutes recherches, et que la même faveur qui lui a fait obtenir son brevet lui fera gagner sa cause.

Je vous confie mes alarmes. L’odieux qu’on jette sur cette affaire nuira beaucoup à celle des Sirven, je le vois évidemment : mais plus nous attendrons, plus nous trouverons le public refroidi ; et d’ailleurs les démarches que j’ai faites exigent absolument que le mémoire soit imprimé sans délai. Si M. de Beaumont est à la campagne, il n’a d’autre parti à prendre que de vous confier le mémoire, que vous ferez imprimer par Merlin.

J’ai enfin reçu le Certificat[4] de M. Deodati ; j’aurai celui[5] de Lacombe par le premier ordinaire. Il est essentiel de confondre la calomnie : en brisant une de ses flèches, on brise toutes les autres. Il paraît tous les jours des livres qu’on ne manque pas de m’imputer. Il faudrait que je ressemblasse à Esdras[6], et que je dictasse jour et nuit, pour faire la dixième partie des écrits dont l’imposture me charge. On poursuit avec acharnement ma vieillesse ; on empoisonne mes derniers jours. Je n’ai d’autre ressource que dans la vérité ; il faut qu’elle paraisse du moins aux yeux des ministres : ils jugeront de toutes ces calomnies par celles de l’éditeur de mes prétendues Lettres. C’est un service qu’il m’aura rendu, et qui pourra servir de bouclier contre les traits dont on accable les pauvres philosophes.

On a annoncé le livre de Fréret[7] dans la Gazette d’Avignon. On y dit, à la vérité, que le livre est dangereux, mais qu’il y a beaucoup de modération et de profondeur.

Adieu, mon cher ami ; je vous embrasse aussi tendrement que je vous regrette.

Je vous demande en grâce de m’envoyer, par la première poste, le factum de M, de La Roque contre M. de Beaumont[8], car je veux absolument juger ce procès au tribunal de ma conscience.

  1. Cette lettre manque.
  2. Voyez la lettre à Damilaville du 4 juin 1767 ; et ci-dessus, page 437.
  3. Département du Calvados. Élie de Beaumont y fonda un prix pour une rosière. L’abbé Le Monnier a publié un opuscule intitulé Fêtes des bonnes gens de Canon, et des Rosières de Briquebec et de Saint-Sauveur-le-Vicomte ; 1778, in-8o.
  4. Il fait partie de l’Appel au public, qui est tome XXV, page 579.
  5. Il n’est pas dans l’Appel au public.
  6. Voyez la note 2, tome XLI, page 487.
  7. L’Examen critique des Apologistes de la religion chrétienne ; voyez page 257.
  8. Dans le procès dont il est parlé au commencement de cette lettre. (B.)