Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6520

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 446-447).

6520. — À M.  DAMILAVILLE.
24 septembre.

Je vous remercie, mon cher ami, mon cher frère, de votre noble et philosophique Déclaration[1] sur l’insolence de ce faussaire qui a fait imprimer ses sottises sous mon nom. La canaille littéraire est ce que je connais de plus abject dans le monde. L’auteur du Pauvre Diable[2] a raison de dire qu’il fait plus de cas d’un ramoneur de cheminées, qui exerce un métier utile, que de tous ces petits écornifleurs du Parnasse. Il est bon de faire un petit ouvrage[3] qu’on insérera dans les journaux, et qui servira de préservatif contre plus d’une imposture.

Un beau préservatif sera le factum de notre ami Élie[4]. Vous ne m’avez point mandé si vous l’aviez lu. J’ai bien à cœur que l’ouvrage soit parfait. Un factum, dans une telle affaire, doit se faire lire avec le même plaisir qu’une tragédie intéressante et bien écrite. Il n’y a plus moyen de reculer sur M.  Chardon ; je crois que M.  le duc de Choiseul trouverait fort mauvais qu’après lui avoir demandé ce rapporteur oun en demandât un autre ; mais il faudra nécessairement tâcher de captiver M.  Le Noir[5], qui est, dit-on, le meilleur criminaliste du royaume : sa voix sera d’un très-grand poids ; et nous courons beaucoup de risque, s’il ne prend pas notre parti.

Vous aurez incessamment toutes les choses que vous me demandez, mon cher ami. Il y a un nouveau livre, comme vous savez, de feu M.  Boulanger[6]. Ce Boulanger pétrissait une pâte que tous les estomacs ne peuvent pas digérer : il y a quelques endroits où la pâte est un peu aigre ; mais, en général, son pain est ferme et nourrissant. Ce M. Boulanger-là a bien fait de mourir, il y a quelques années, aussi bien que La Mettrie, Dumarsais, Fréret, Bolingbroke, et tant d’autres. Leurs ouvrages m’ont fait relire les écrits philosophiques de Cicéron ; j’en suis enchanté plus que jamais. Si on les lisait, les hommes seraient plus honnêtes et plus sages.

Je me flatte que le petit ballot est parti. Mes compliments à l’auteur voilé du dévoilé. Je l’embrasse mille fois. Écr. l’inf…

  1. C’est le Certificat qui est tome XXV, page 580.
  2. Dans son Pauvre Diable (voyez tome X), Voltaire a dit, vers 386 et suivants :

    J’estime plus ces honnêtes enfants
    Qui de Savoie arrivent tous les ans, etc.

  3. C’est l’Appel au public, etc., qui est tome XXV, page 579.
  4. Pour les Sirven.
  5. Le Noir (Jean-Charles-Pierre), né en 1732, maître des requêtes en 1765, lieutenant général de police en 1774, mort en 1807.
  6. L’Antiquité dévoilée, etc., ouvrage posthume de Boulanger (refait sur le manuscrit, par le baron d’Holbach), 1766, un volume in-4o, ou trois volumes in-12.