Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6510

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 435).

6510. — À M.  THIERIOT.
19 septembre.

Mon ancien ami, j’ai été très-touché de votre lettre. La société a ses petits orages comme les affaires ; mais tous les orages passent. Votre correspondant me mande qu’on a rebâti huit mille maisons en Silésie[1]. Cela prouve qu’il y avait eu huit mille maisons de détruites et huit mille familles désolées, sans compter les morts et les blessés. Voilà les vrais orages, le reste est le malheur des gens heureux.

J’ai été un peu consolé en apprenant que la cour des aides a versé l’opprobre à pleines mains sur le nommé Broutel, l’un des juges les plus acharnés d’Abbeville. Ce malheureux était en effet incapable de juger, puisqu’il avait été rayé du tableau des avocats. Le jugement était donc contre toutes les lois. Un vieux jaloux, avare et fripon, a été le premier mobile de cette abominable aventure, qui fait frémir l’humanité. Voilà encore de vrais orages, mon ancien ami ; il faut cultiver son jardin. Je ne voulais qu’un jardin et une chaumière :


Di melius fecere, bene est ; nihil amplius opto.


Je viens d’être bien étonné ; M.  de La Borde, premier valet de chambre du roi, m’apporte deux actes de son opéra de Pandore ; je m’attendais à de la musique de cour : nous avons trouvé, Mme  Denis et moi, du Rameau. Peut-être nous trompons-nous, mais ma nièce s’y connaît bien ; pour moi, je ne suis qu’un ignorant.

J’ai une chose à vous apprendre, c’est que feu monseigneur le dauphin, dans sa dernière maladie, lisait Locke et Malebranche.

Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur. Où logez-vous à présent ?

  1. Voyez lettre 6482.