Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6509

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 434-435).

6509. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
18 septembre 1766.

L’ennui me prend, monsieur, de ne plus entendre parler de vous ; vous me croyez peut-être morte : je ne le suis pas encore ; il est vrai qu’il ne s’en faut de guère, mais je suis cependant encore assez en vie pour avoir plus besoin de vos lettres que de prières. Comment vous portez-vous ? Que faites-vous ? Que pensez-vous ? Il a couru ici le bruit que vous vouliez aller à Wesel ; cela est-il vrai ?

Que dites-vous du procès de Jean-Jacques et de M.  Hume ? Avez-vous lu la lettre de dix-huit pages de celui-là à celui-ci ? Existe-t-il dans le monde un aussi triste fou que ce Jean-Jacques ? C’est bien la peine d’avoir de l’esprit et des talents, pour en faire un pareil usage ! C’est une plaisante ambition que de vouloir se rendre célèbre par les malheurs ; il n’aura bientôt plus d’asile qu’aux petites-maisons. Ses protectrices sont bien embarrassées. Pour vous, monsieur, vous êtes mon sage, et je voudrais bien que vous fussiez mon ami ; vous ne l’êtes point, puisque vous n’avez point soin de moi.

J’ai lu en dernier lieu le Philosophe ignorant : on dit qu’il y a encore quelque chose de nouveau, mais dont je ne sais pas le titre ; je voudrais avoir tout cela. Je ne sais plus que lire. Voilà pour la quatrième fois que je fais la tentative de lire M.  de Buffon, et je ne puis pas tenir à l’ennui que cela me cause. Enfin, sans le Journal encyclopédique, je ne saurais que devenir. N’en faites-vous pas assez de cas ? C’est, en fait de lecture, ce qu’est la dissipation dans la vie ; cela ne vaut pas l’occupation ni la société, mais cela y supplée.

Écrivez-moi, réveillez-moi, aimez-moi, ou faites-en le semblant ; moi, je vous aime tout de bon, et je ne veux plus être si longtemps sans vous le dire.

  1. Correspondance complète de la marquise du Deffant. édition Lescure : 1865.