Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6425

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 357-358).
6425. — À M.  DIDEROT.
23 juillet.

On ne peut s’empêcher d’écrire à Socrate, quand les Mélitus et les Anitus se baignent dans le sang et allument les bûchers. Un homme tel que vous ne doit voir qu’avec horreur le pays où vous avez le malheur de vivre. Vous devriez bien venir dans un pays où vous auriez la liberté entière, non-seulement d’imprimer ce que vous voudriez, mais de prêcher hautement contre des superstitions aussi infâmes que sanguinaires. Vous n’y seriez pas seul, vous auriez des compagnons et des disciples. Vous pourriez y établir une chaire qui serait la chaire de vérité. Votre bibliothèque se transporterait par eau, et il n’y aurait pas quatre lieues de chemin par terre. Enfin vous quitteriez l’esclavage pour la liberté. Je ne conçois pas comment un cœur sensible et un esprit juste peut habiter le pays des singes devenus tigres. Si le parti qu’on vous propose satisfait votre indignation et plaît à votre sagesse, dites un mot, et on tâchera d’arranger tout d’une manière digne de vous, dans le plus grand secret, et sans vous compromettre. Le pays qu’on vous propose est beau, et à portée de tout[1]. L’Uranienbourg[2] de Tycho-Brahé serait moins agréable. Celui qui a l’honneur de vous écrire est pénétré d’une admiration respectueuse pour vous, autant que d’indignation et de douleur. Croyez-moi, il faut que les sages qui ont de l’humanité se rassemblent loin des barbares insensés.

  1. Le pays de Clèves ; voyez lettre 6409.
  2. C’est le nom d’un palais qu’avait fait construire et qu’habitait Tycho-Brahé, dans une île du détroit du Sund, entre Elseneur et Copenhague.