Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6382


6382. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC[1].
1er juillet.

Je puis vous assurer, monsieur, que ceux qui imputent à M. de La Barre et à son camarade d’extravagance le discours qu’on leur fait tenir à M.  Pasquier[2] ont débité l’imposture la plus odieuse et la plus ridicule. De jeunes étourdis que la démence et la débauche ont entraînés jusqu’à des profanations publiques ne sont pas gens à lire des livres de philosophie. S’ils en avaient lu, ils ne seraient pas tombés dans de pareils excès ; ils y auraient appris à respecter les lois et la religion de notre patrie. Toutes les nouvelles qu’on a débitées dans votre pays sont extrêmement fausses. Non-seulement l’arrêt n’a pas été exécuté, mais il n’a pas été signé, et il n’a passé qu’à la majorité de trois voix. On a pris le parti de ne point faire signer cet arrêt, pour prendre à loisir les mesures convenables qui en empêcheront l’exécution[3]. La peine n’aurait pas été proportionnée au délit. Il n’est pas juste de punir la démence comme on punit le crime.

M. Boursier compte vous faire incessamment un petit envoi. Il vous est toujours très-tendrement attaché, et conservera ces sentiments jusqu’au dernier jour de sa vie.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Conseiller au parlement de Paris, rapporteur de l’afTaire La Barre.
  3. On peut juger par cette phrase de quel étonnement, de quelle fureur sera saisi Voltaire quand il apprendra le sanglant dénoùment. (G. A.)