Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6381

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 324-325).

6381. — À M. DAMILAVILLE.
1er juillet.

On me mande, mon cher frère, une étrange nouvelle. Les deux insensés[1], dit-on, qui ont profané une église en Picardie ont répondu, dans leurs interrogatoires, qu’ils avaient puisé leur aversion pour nos saints mystères dans les livres des encyclopédistes et de plusieurs philosophes de nos jours. Cette nouvelle est sans doute fabriquée par les ennemis de la raison, de la vertu et de la religion. Qui sait mieux que vous combien tous ces philosophes ont tâché d’inspirer le plus profond respect pour les lois reçues ? Ils ne sont que des précepteurs de morale, et on les accuse de corrompre la jeunesse. On cherche à renouveler l’aventure de Socrate ; on veut rendre les Parisiens aussi injustes que les Athéniens, parce qu’on croit plus aisé de les faire ressembler aux Grecs par leurs folies que par leurs talents.

Ne pourriez-vous pas remonter à la source d’un bruit si odieux et si ridicule ? Je vous prie de mettre tous vos soins à vous en informer.

J’ai reçu la visite d’un homme de mérite qui vous a vu quelquefois chez M. d’Holbach ; son nom est, je crois, Bergier[2]. Il m’a paru en effet digne de vivre avec vous.

On dit que Mlle Clairon a rendu le pain bénit, et que toute la paroisse a battu des mains.

M. le prince de Brunswick vient bientôt honorer mon désert de sa présence. Je ne sais comment je pourrai le recevoir dans l’état où je suis. Je m’affaiblis plus que jamais, mon cher frère ; mais puisque Fréron et Omer se portent bien, je dois être content.

Je vous embrasse avec la plus tendre amitié. Écr. l’inf…

  1. Le chevalier de La Barre et Moinel ; voyez tome XXV, page 509.
  2. Frère de l’abbé, et traducteur de quelques ouvrages.