Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6356

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 301).

6356. — À M.  DE CHABANON.
À Ferney, 29 mai.

Je reçus hier, mon cher confrère, la nouvelle esquisse que vous voulez bien me confier. Ma malheureuse santé ne m’a pas permis encore de la lire ; je ne pourrai vous en rendre compte que dans trois ou quatre jours. J’ai pris, en attendant, la liberté de vous adresser un paquet que j’avais depuis longtemps pour M. Damilaville ; vous me ferez un très-grand plaisir de vouloir bien le lui faire rendre dès que vous serez arrivé à Paris.

Je viens de lire le sujet de la tragédie du pauvre Lally ; la catastrophe ne me paraît annoncée dans aucun des actes. Je vois bien que ce Lally s’était fait détester de tous les officiers et de tous les habitants de Pondichéry ; mais il n’y a dans tous ces mémoires ni apparence de concussion, ni apparence de trahison. Il faut qu’il y ait eu contre lui des preuves qui ne sont énoncées en aucune manière dans les factums. La pièce sera bientôt oubliée, comme les gazettes de la semaine passée. Il n’en sera pas de même d’Eudoxie[1] ou Eudocie : vos talents et les soins que vous prenez m’en assurent.

J’admire votre courage de faire deux plans en prose. Il faut être bien maître de son génie pour s’astreindre à un tel travail, et pour subjuguer ainsi le talent qui demande toujours à parler en vers. Vous me paraissez un bon général d’armée ; vous faites de sang-froid votre plan de campagne, et vous vous battrez comme un diable. Je m’intéresse à vos lauriers autant que vous-même. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

  1. Eudoxie, tragédie de Chabanon, en cinq actes et en vers, fut imprimée en 1769, in-12, sans avoir été représentée.