Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6316

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 266-267).

6316. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
À Ferney, 15 avril.

Quand on ne peut parvenir, mademoiselle, à faire cesser l’opprobre jeté sur un état que l’on honore, il n’y a certainement d’autre parti à prendre que de quitter cet état. Vous avez une grande réputation par vos talents ; mais vous aurez de la gloire par votre conduite. Je voudrais que cette gloire ne fût point unique, et que vos camarades eussent assez de courage pour vous imiter ; mais c’est de quoi je désespère. Je vois qu’après avoir disposé des empires sur la scène, vous n’allez à présent donner que des cures. Mon protégé, dont j’ai oublié le nom[1], m’a paru, par sa lettre, un drôle de prêtre : c’est tout ce que j’en sais.

La petite tracasserie avec M. Dupuits doit être entièrement finie : je ne la connaissais pas. Vous savez que je passe ma vie dans mon cabinet pendant qu’on médit dans le salon, M. Dupuits est en Franche-Comté : il en reviendra bientôt. Mon premier soin sera de l’instruire de vos bontés ; et comme il sait mieux l’orthographe que madame sa femme, il ne manquera pas de vous écrire dès qu’il sera de retour.

Au reste, mademoiselle, je crois que, dans le siècle où nous vivons, il n’y a rien de mieux à faire que de se tenir chez soi, et de cultiver les arts pour sa propre satisfaction, sans se compromettre avec le public. Il n’y a plus de cour, et le public de Paris est devenu bien étrange. Le siècle de Louis XIV est passé ; mais il n’y a point de siècle que vous n’eussiez honoré.

Mme Denis vous fait mille tendres compliments. Je ne vous parle pas de mes sentiments pour vous ; je n’ai pas assez d’éloquence,

  1. Il s’appelait Doléac ; voyez la lettre 6303.