Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6303

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 253-254).

6303. — À MADEMOISELLE CLAIRON[1].
Ferney, 30 mars.

Vous allez être un peu surprise, mademoiselle ; je vous demande une cure. Vous allez croire que c’est la cure de quelque malade pour qui je vous prierais de parler à M.  Tronchin, ou la cure de quelque esprit faible que je recommanderais à votre philosophie, ou la cure de quelque pauvre amant à qui vos talents et vos grâces auraient tourné la tête : rien de tout cela ; c’est une cure de paroisse. Un drôle de corps de prêtre du pays de Henri IV, nommé Doleac, demeurant à Paris, sur la paroisse Sainte-Marguerite, meurt d’envie d’être curé du village de Cazeaux. M.  de Villepinte donne ce bénéfice. Le prêtre a cru que j’avais du crédit auprès de vous, et que vous en aviez bien davantage auprès de M.  de Villepinte ; si tout cela est vrai, donnez-vous le plaisir de nommer un curé au pied des Pyrénées, à la requête d’un homme qui vous en prie du pied des Alpes. Souvenez-vous que Molière, l’ennemi des médecins, obtint de Louis XIV un canonicat pour le fils d’un médecin.

Les curés qui ont pris la liberté de vous excommunier nous canoniseront quand ils sauront que c’est vous qui donnez des cures. Je voudrais que vous disposassiez de celle de Saint-Sulpice.

Je ne sais pas quand vous remonterez sur le jubé de votre paroisse. Vous devriez choisir, pour votre premier rôle, celui de lire au public la déclaration du roi en faveur des beaux-arts contre les sots ; c’est à vous qu’il appartient de la lire[2].

Adieu, mademoiselle ; je vous supplie de vouloir faire souvenir de moi vos amis, et surtout d’être bien persuadée qu’il n’y en a aucun de plus sensible que moi à tous vos difrérents mérites. Je vous serai attaché toute ma vie, soit que vous donniez des bénéfices à des prêtres, soit que vous les corrigiez de leur impertinence, soit que vous les méprisiez.

    autrefois contre de vils baladins. Il n’eût pas fallu moins sans doute pour engager Mlle  Clairon à remonter sur le théâtre. (K.) — Voyez ci-devant les lettres à M.  Jabineau (n° 6259 et 6280).

  1. Une mauvaise version de cette lettre, et sous la date de 1769, a été imprimée dans l’Almanach littéraire, 1790, page 158. (B.)
  2. M. de Voltaire sollicitait vivement une déclaration du roi qui rendit aux comédiens l’état de citoyen, et qui les affranchit de l’excommunication lancée