Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6200

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 151-152).

6200. — À M. HENNIN.
À Ferney, 27 décembre.

Je suis très-persuadé, monsieur, qu’il y a plusieurs dames à Genève qui aimeraient mieux partager votre lit jonquille que de vous le disputer. Nous ne sommes pas trop dignes actuellement de vous coucher ; mais si quelque vieille emporte votre lit, daignez venir dormir chez nous.

Vous êtes trop heureux d’avoir vu Covelle le fornicateur, cela est d’un très-bon augure ; c’est le premier des hommes, car il fait des enfants à tout ce qu’il y a de plus laid dans Genève, et boit du plus mauvais vin comme si c’était du chambertin ; d’ailleurs grand politique, et n’ayant pas le sens commun.

Comment voulez-vous, monsieur, que les citoyens élisent des magistrats ? On vend des échaudés à la nouvelle élection, et des biscuits au pouvoir négatif. Ces deux branches de commerce doivent être respectées. Vous vous amuserez doucement et gaiement à arranger cette petite fourmilière où l’on se dispute un fétu, et je m’imagine encore que vous en viendrez à bout.

Si vous avez envie, monsieur, d’avoir une maison de campagne, il y en a une auprès de Ferney, qu’un architecte a bâtie, et qu’il doit peindre à fresque ; tous les plafonds sont en voûtes plates de briques ; il y a du terrain pour entourer toute la maison de jardins ; on a déjà bâti une petite écurie ; on peut faire vis-à-vis de cette écurie un logement pour des domestiques. Je crois que tout cela serait à bon marché, et sûrement à meilleur marché qu’auprès de Genève.

Vous voyez, monsieur, que je cherche mon intérêt. Vous sentez combien il me serait doux de vous avoir l’été dans notre voisinage. Ajoutez à ces raisons que, dans tout le territoire de la parvulissime république, on est épié de la tête aux pieds, et qu’on est l’éternel objet de la curiosité publique.

Recevez mes tendres respects. V.

Quand vous aurez, monsieur, quelques ordres à me donner, ayez la bonté de me les envoyer le soir, ou avant les dix heures du matin, chez M. Souchai, marchand, aux Rues-Basses, près du Lion d’or. Je les recevrai toujours.