Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6116

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 67-68).

6116. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
21 septembre.

Mes divins anges, tout le monde croit que j’ai bien du crédit dans votre cour céleste ; tout le monde demande la place de Montpéroux ; tout le monde s’adresse à moi. Mme  de La Chabalerie, sœur de M. de Chabanon, que vous protégez, veut obtenir la résidence de Genève pour son mari, qui est officier, et qui a la croix de Saint-Louis. Elle m’a ordonné de vous en écrire, et j’obéis à ses ordres. Je suis persuadé que M. de Chabanon vous en aura déjà parlé ; mais je suis persuadé aussi qu’il lui sera plus aisé de faire une bonne pièce que d’obtenir pour son beau-frère cette place, que vous m’avez dit être destinée à ceux qui ont servi dans les affaires étrangères.

Pour moi, je me borne à obtenir une copie de l’Adélaïde que vous avez fait jouer. Je voudrais surtout savoir si le duc de Nemours est reconnu rival de son frère, au troisième ou au quatrième acte. Voilà les intérêts politiques qui m’occupent. Je vous écris en sortant de Mèrope, qu’on a exécutée sur mon petit théâtre de marionnettes, au grand étonnement des Allobroges. Figurez-vous qu’il n’y avait rien chez vous de si brillant : car Mme  de Schouvalow avait prêté à Mme  Denis pour deux cent mille écus de diamants, et à peu près autant à Mme  de Florian, pour jouer la baronne dans Nanine. Ce qui est encore plus étonnant, c’est que M. de Schouvalow jouait Égisthe dans Mèrope.

Je ne m’attendais pas, quand je fis cette pièce, que je la verrais exécutée par des Russes, près du lac de Genève. Ce monde-ci est une plaisante pièce de théâtre, et messieurs du clergé, qui me mêlent dans leurs caquets[1] sont de plaisants comédiens.

Respect et tendresse.

  1. Les Actes de l’assemblée générale du clergé de France, publiés en septembre 1765, contenaient la condamnation de l’Essai sur l’Histoire générale (aujourd’hui Essai sur les Mœurs), etc. ; voyez tome XXV, page 345.