Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6004

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 547-548).

6004. — À M. D’ALEMBERT.
1er mai.

Votre indignation, mon cher philosophe, est des plus puissantes. J’aime à vous voir rire au nez des polichinelles en robes noires, à qui vous donnez tant de nasardes. Vous voilà en train de faire des nazaréens (n’est-ce pas de nazaréens que vient nasarde ?), de faire des nazaréens, dis-je, ce que Blaise Pascal faisait des jésuites. Vous les rendrez ridicules in sæcula sæculorum, amen. Les croquignoles au cuistre théologien sont, je crois, parties, et je prie Dieu qu’elles arrivent à bon port.

On dit qu’Omer compose avec l’abbé d’Étrée un beau réquisitoire pour défendre de penser en France. Je ne conçois pas comment ce maraud a osé soutenir dans son tripot que l’âme est spirituelle ; je ne sais assurément rien de moins spirituel que l’âme d’Omer.

Voyez-vous toujours Mlle Clairon ? Pourriez-vous lui dire ou lui faire dire fortement qu’elle se fera un honneur immortel si elle déclare, elle et ses confrères, que jamais ils ne remonteront sur le théâtre de Paris si on ne leur rend tous les droits de citoyens ; et que c’est une contradiction trop absurde d’être au cachot de l’évêque[1] si on ne joue pas, et excommunié par l’évêque si on joue ? Cette tournure ne pourrait offenser la cour, et rendrait odieux tous ces faquins de jansénistes. Dites-lui, je vous prie, que je lui suis attaché plus que jamais.

Courage, Archimède ; le ridicule est le point fixe avec lequel vous enlèverez tous ces maroufles, et les ferez disparaître.

  1. La prison où l’on mettait les comédiens était le For-l’Évêque ou Four-l’Évêque.