Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5962

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 505).

5962. — À M. MARMONTEL.
25 mars.

Mon cher confrère, vos Contes sont pleins d’esprit, de finesse, et de grâces ; vous parez de fleurs la raison ; on ne peut vous lire sans aimer l’auteur. Je vous remercie de toute mon âme des moments agréables que vous m’avez fait passer. Il n’y a pas un de vos nouveaux Contes dont vous ne puissiez faire une comédie charmante. Vous savez bien que Michel Cervantes disait que, sans l’Inquisition, Don Quichotte aurait été encore plus plaisant. Il y a en France une espèce d’inquisition sur les livres qui vous empêchera d’être aussi utile que vous pourriez l’être à l’intérêt de la bonne cause : c’est assurément grand dommage ; mais c’est du moins une grande consolation que les philosophes se tiennent unis, qu’ils conservent entre eux le feu sacré, et qu’ils en communiquent dans la société quelques étincelles. Vous voyez, par l’exemple des Calas et des Sirven, ce que peut le fanatisme ; il n’y a que la philosophie qui puisse triompher de ce monstre : c’est l’ibis qui vient casser les œufs du crocodile.

Plus J.-J, Rousseau a déshonoré la philosophie, plus de bons esprits comme vous doivent la défendre.

Je vous prie de faire mes compliments à M. Duclos, et à tous les êtres pensants qui peuvent avoir quelques bontés pour moi. Mandez-moi, je vous prie, ce que vous pensez du Siège de Calais ; parlez-moi avec confiance, et soyez bien sûr que je ne trahirai pas votre secret. On m’en a mandé des choses si differentes que je veux régler mon jugement par le vôtre. Je ne puis me figurer qu’une pièce si généralement et si longtemps applaudie n’ait pas de très-grandes beautés. On dit qu’on ne l’aura sur le papier qu’après Pâques, et les nouveautés parviennent toujours fort tard dans nos montagnes. Adieu, mon cher confrère ; conservez-moi une amitié dont je sens bien tout le prix.