Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5942

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 490-491).

5942. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
15 mars.

Oui, sans doute, mon ange adorable, j’ai été infiniment touché du Mémoire du jeune Lavaysse[1], de sa simplicité attendrissante, et de cette vérité sans ostentation qui n’appartient qu’à la vertu. Je vous demande en grâce de m’envoyer l’arrêt dès qu’il sera prononcé.

Vous savez que ce David[2], auteur de tout cet affreux désastre, était un très-malhonnête homme ; le fripon a fait rouer l’innocent ; le voilà bien reconnu ; il a été destitué de sa place. J’espère qu’il payera chèrement le sang de Calas.

C’est une étrange fatalité qu’il se trouve en même temps deux affaires pareilles. Je sais que la plupart des calvinistes de Languedoc sont de grands fous ; mais ils sont fous persécutés, et les catholiques de ce pays-là sont fous persécuteurs.

J’ai envoyé à M. Damilaville le détail de cette seconde aventure, qu’il doit vous communiquer[3]. Il y a des malheurs bien épouvantables dans ce meilleur des mondes possibles.

Je suppose, mon cher ange, que vous avez reçu ma lettre à M. Berger[4], dont j’ignore la demeure, comme j’ignorais son existence. Je vous demande bien pardon de vous avoir importuné d’une lettre pour un homme qui est à la fois indiscret et dévot.

J’ai vu votre Suédois ; il retourne à Paris, et s’est chargé d’un paquet pour vous. Le Genevois, qui est chargé d’un autre, doit être déjà parti. Je vous supplierai de donner à frère Damilaville les brochures dont vous ne voudrez pas. Je crois qu’il y en a seize, cela fait seize pains bénits pour les fidèles. Songez, je vous en prie, combien la superstition a fait périr de Calas depuis plus de quatorze cents années. Est-il possible que ce monstre ait encore des partisans ? Mon horreur pour lui augmente tous les jours, et je suis affligé quand je vois des gens qui en parlent avec tiédeur.

J’espère que je verrai bientôt le Siège de Calais imprimer, et que j’applaudirai avec connaissance de cause. On peut très bien envoyer par la poste, à Genève, des livres contre-signés ; mais il n’en est pas de même de Genève à Paris : vous permettez l’exportation, mais non pas l’importation.

Je ne sais ce qu’a le tyran du tripot, mais il est toujours plein de mauvaise humeur, et il ne laisse pas de me le faire sentir. L’ex-jésuite prétend qu’il faut qu’il attende encore quelque temps pour revoir les roués[5], que les Romains ne sont pas de saison, qu’il faut attendre des occasions favorables : voyez si vous êtes de cet avis. Je suis d’ailleurs occupé actuellement à augmenter ma chaumière, et si je m’adressais à Apollon, ce serait pour le prier de m’aider dans le métier de maçon. On dit qu’il s’entend à faire des murailles ; cependant ses murailles sont tombées comme bien d’autres pièces.

Mais pourquoi M. Fournier[6] souffre-t-il que Mme  d’Argental tousse toujours ? Je me mets à ses pieds ; ma petite famille vous présente à tous deux ses respects.

  1. Voyez le n° ix de la note, tome XXIV, page 366.
  2. Capitoul de Toulouse ; voyez tome XXV, page 21.
  3. La lettre du 1er mars, n° 5929.
  4. La lettre 5923.
  5. La tragédie du Triumirat.
  6. Médecin de M. et de Mme  d’Argental.