Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5804

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 361-362).

5804. — À M.  BORDES[1].
Aux Délices, 27 octobre.

Puisque vous nous avez promis, monsieur, de nous confier votre comédie, vous tiendrez votre promesse. N’allez pas manquer de parole par excès de modestie. Il me paraît impossible qu’avec l’esprit que vous avez vous n’ayez pas fait une très-bonne pièce ; j’ai vu de vous des choses charmantes dans plus d’un genre. Nous vous promettrons le secret, et nous remplirons, Mme  Denis et moi, toutes les conditions que vous nous imposerez.

Je vous assure sur mon honneur que le Dictionnaire philosophique est de plusieurs mains. L’article Apocalypse est de M. Abauzit, de Genève, vieillard de quatre-vingts ans, qui a un grand mérite et une science immense.

L’article Messie est du premier pasteur de Lausanne ; ce morceau me parait savant et bien fait. Il était destiné pour l’Encyclopédie, peut-être même l’y trouverons-nous imprimé.

Vous voyez qu’on ose dire aujourd’hui bien des choses auxquelles on n’aurait osé penser il y a trente années. Le marquis d’Argens vient d’imprimer à Berlin le Discours de l’empereur Julien contre les Galiléens, discours à la vérité un peu faible, mais beaucoup plus faiblement réfuté par saint Cyrille. Des amis du genre humain font aujourd’hui des efforts de tous côtés pour inspirer aux hommes la tolérance, tandis qu’à Toulouse on roue un homme pour plaire à Dieu, qu’on brûle des juifs en Portugal, et qu’on persécute en France des philosophes.

Adieu, monsieur ; n’aurais-je jamais le plaisir de vous voir ? Je vous avertis que, si vous ne venez point à Ferney, je me traînerai à Lyon avec toute ma famille. Je vous embrasse en philosophe, sans cérémonie et de bon cœur. V.

Je ne peux écrire de ma main ; ma santé et mes yeux sont dans un état pitoyable.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.