Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5733

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 292-293).

5733. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Ferney, 6 auguste.

Vous êtes plus jeune que moi, madame, puisque vous faites des voyages ; et moi, si j’en faisais, ce ne serait que pour venir vous voir. Vous avez de la santé, et vous la méritez par une sobriété constante et une vie uniforme. Je ne suis pas si sage que vous : aussi j’en suis bien puni. Je regrette comme vous Mme de Pompadour, et je suis bien sûr qu’elle ne sera jamais remplacée. Elle aimait à rendre service, et était en état d’en rendre ; mais mon intérêt n’entre pour rien dans les regrets que je donne à sa perte : ayant renoncé à tout, et n’ayant rien à demander, je n’écoute que mon cœur, et je pleure votre amie sans aucun retour sur moi-même.

Si vous êtes à Colmar, madame, je vous prie de faire souvenir de moi monsieur le premier président votre frère. Je serai peut-être obligé, malgré ma mauvaise santé et ma faiblesse, de faire un tour dans votre Alsace pour quelques arrangements que j’ai à prendre avec M. le duc de Wurtemberg ; mais alors il ne sera que le prétexte, et vous serez la véritable raison, de mon voyage. Vous ne sauriez croire quel plaisir j’aurais à m’entretenir avec vous ; nous parlerions du moins du passé pour nous consoler du présent. C’est la ressource des anciens amis. Regardons l’avenir en philosophes, jouissons avec tranquillité du peu de temps qui nous reste. Puissé-je venir philosopher avec vous au Jard ! je ne vous dirais jamais assez combien je vous suis attaché ; je croirais renaître en vous faisant ma cour. Je maudis mille fois l’éloignement des Alpes au Rhin. Adieu, madame ; portez-vous bien, et conservez-moi des bontés qui font la consolation de ma vie.