Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5721


5721. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Paris, le 21 juillet.

Mes voyages et mes affaires m’ont empêché, mon cher confrère, de répondre plus tôt à votre dernière lettre ; mais soyez bien persuadé que je vous aime toujours. J’ai lu l’Éducation d’un prince[1], qui m’a paru charmante. À l’égard de vos remarques sur Corneille, bien des gens les trouvent trop sévères, et quelquefois peu respectueuses. Quant à moi, je voudrais qu’on gardât pour les vivants tous les égards de la politesse, et qu’il fût permis de dire librement son avis sur les morts. Quoique archevêque, j’aimerai toujours les lettres, et je les cultiverai dans les intervalles de mes occupations. Je hais le pédantisme jusque dans les vertus ; ainsi, en remplissant mes devoirs de pasteur, je n’abandonnerai pas entièrement les livres, ni la société des gens d’esprit.

Je partirai au mois d’octobre pour Alby, où je passerai un an de suite ; j’espère que vous m’y donnerez régulièrement de vos nouvelles, et que vous me ferez part de tous les petits ouvrages qu’il sera convenable d’envoyer à un cardinal archevêque.

Je vais travailler au bonheur de trois cent vingt-sept paroisses : je vous avoue que je suis bien aise d’en avoir le pouvoir, et que la vie ne me paraît qu’une simple végétation à moins qu’on ne l’emploie à éclairer les hommes, et à les rendre plus heureux, et meilleurs. Adieu, mon cher confrère ; du pied de vos Alpes instruisez, amusez l’Europe, et conservez votre gaieté, qui vous a fait vivre pour la gloire des lettres.

  1. L’un des contes en vers de Voltaire ; voyez tome X.