Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5711

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 274-275).

5711. — À M.  LE CONSEILLER TRONCHIN[1].
Juillet.

Mon cher ami, j’ai fait ce que j’ai pu pour avoir un exemplaire de cette misère, et je n’ai pu y parvenir : on dit qu’il n’y en a qu’un ; on disait auparavant qu’il y en avait trois ou quatre. Cette petite manœuvre est un tour de la faction qui a prétendu que c’était à Ferney qu’on avait résolu de condamner Jean-Jacques. Depuis ce temps, presque toutes les remontrances ont roulé en partie sur la sévérité exercée contre Jean-Jacques, et sur le silence observé à mon égard ; mais les factieux auraient pu observer que je suis Français, établi en France et non à Genève. Ce dernier effort de mes ennemis vous paraît sans doute aussi méprisable qu’à moi. Je crois, comme vous, qu’il faut laisser tomber ce petit artifice ; un éclat qui me compromettrait m’obligerait à faire un autre éclat. On sait assez que je n’ai opposé jusqu’à présent qu’un profond silence à toutes les clabauderies et aux entreprises du parti opposé. Le fond de l’affaire est qu’un certain nombre de vos citoyens est outré qu’un citoyen soit exclu de sa patrie, et qu’un étranger ait un domaine dans votre territoire. Voilà la pierre d’achoppement. Je vois que vous pensez très-sagement, et que vous ne voulez pas accorder à des ennemis du repos public une victoire dont ils abuseraient. Je vois que vous avez parlé à monsieur le premier syndic et à vos amis suivant vos principes équitables et prudents. Je sens bien aussi que votre amitié va aussi loin que votre sagesse, et j’en suis bien touché. Je vous demande en grâce de me mettre un peu au fait, et d’être bien sûr que vous ne serez pas compromis. L’affaire de Wurtemberg[2] est un peu plus sérieuse, et je risque de tout perdre.

J’apprends dans ce moment que ce n’est pas la vénérable compagnie qui a déféré la sottise en question. Je dois supposer que la personne qui s’en est chargée n’a eu que de bonnes intentions.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Voyez la lettre à Dupont du 12 juillet.