Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5704

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 267-268).

5704. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Ferney, 6 juillet.

Mes divins anges ! quoi ! toujours un rhumatisme ! Je conçois bien que nous autres agriculteurs des Alpes nous soyons souvent affligés de ce fléau ; mais un ange, une dame de Paris, qui n’est jamais exposée aux malignes influences de l’air ! Non, ce n’est pas là une maladie de dame. Que dit à cela M. Fournier[1] ? Mon cher ange, qui n’a point de rhumatisme, écrit très-proprement, quoi qu’il en dise ; et moi aussi, qui ai recouvré la vue jusqu’à ce que je la reperde. Cette vie est pleine de tribulations. Conservez votre santé, mes anges ; cela vaut mieux que des pièces de théâtre, et surtout que les pièces d’aujourd’hui. Je fais donc Pierre le Cruel, comme dit M. de Thibouville ; je l’ai même confié à M. de Ximenès ; ainsi je ne crois pas qu’on puisse en douter. Pour vous, mes braves conjurés, vous avez employé un jésuite pour faire les roués. Je ne sais quel nom on donne à la pièce ; je sais seulement qu’elle ne ressemble pas à Bérénice. Le petit jésuite dit qu’il est très-loin de souhaiter qu’on l’imprime sitôt ; il fera tout ce que vous ordonnez pour Lekain : il désire seulement qu’on donne un honoraire à un jeune homme[2] qui, depuis dix ans, a copié cinq ou six tragédies dix ou douze fois chacune, et à qui le petit jésuite doit quelque attention. Ledit défroqué ne veut jamais être connu, à moins qu’ayant été encouragé l’été par un petit succès il n’en ait un grand pendant l’hiver, après avoir donné la dernière main à ses roués. Vous avez terminé noblement l’affaire du roi de Pologne, et je vous en remercie. Cramer viendra sans doute chez vous, et vous lui recommanderez de presser son correspondant d’Italie de dépêcher les livres qu’il a promis, et alors je les aurai. Je suis toujours aux ordres de la Gazette littéraire, quoiqu’elle ait mis une certaine note trop flatteuse[3] à l’extrait de Pétrarque, note à laquelle l’abbé de Sade s’obstine, dit-on, à me reconnaître.

Je suis à présent à sec, et accablé d’un ouvrage très-considérable[4] en faveur de la bonne cause. Mes chers anges, respect et tendresse.

  1. Médecin.
  2. Wagnière.
  3. Voyez page 259.
  4. La Philosophie de l’histoire.