Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5686

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 251-252).

5686. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 23 juin.

Je reçois, au départ de la poste, une lettre d’un ange, du 18 de juin, et je suis très-affligé que l’autre ange soit malade. Répondons vite.

Quant au vers,


Le danger suit le lâche, et le brave l’évite[1],


si ce vers n’était pas précédé de ceux qui l’expliquent, il serait ridicule ; mais, pour prévenir tout scrupule, il n’y a qu’à mettre :


Le lâche fuit en vain, la mort vole à sa suite ;
C’est en la défiant que le brave l’évite.


Quant à l’afaiblissement qu’on demande de la description du combat de Pompée, c’est vouloir être froid pour vouloir paraître plus vraisemblable. Il y a des occasions où c’est n’avoir pas le sens commun que de vouloir trop chercher le sens commun. Je demande très-instamment, très-vivement, qu’on ne change rien à cette scène. Je demande surtout qu’on suive les dernières corrections que j’ai envoyées : elles me paraissent favoriser beaucoup la déclamation, ce qui est un point très-important. Il ne s’agit pas seulement de faire des vers, il faut en faire qui animent les acteurs.

On se mourait hier de chaud, on se meurt aujourd’hui, on est mort. Les comédiens ont le diable au corps de jouer une pièce nouvelle dans un temps où personne ne peut venir à la Comédie.

Quoi ! vous n’auriez pas reçu les lettres où je vous parlais des Calas ! J’apprends, mes divins anges, qu’il s’est tenu un conseil où vous avez admis la pauvre veuve. Vos bontés ne se refroidissent point ; vous avez un grand avantage sur les autres hommes, c’est que vos vertus sont persévérantes. Vous ne me parlez point de la lettre de M. Panckoucke et de ma réponse[2] ; la chose est pourtant plaisante, et mériterait d’être connue.

Je n’ai encore rien d’Italie : les Italiens, par ce temps-ci, ne font que la méridienne.

Je vous ai envoyé l’Éloge d’Algarotti[3], qui figurera bien dans la Gazette littéraire. Je vous ai écrit par M. le duc de Praslin et par M. de Courteilles ; celle-ci sera sous l’enveloppe de M. l’abbé Arnaud. Remarquez, s’il vous plaît, que nous nous sommes rencontrés sous le masque de Don Pèdre. J’ai confié à M. de Thibouville que je travaillais fortement à ce Don Pèdre : serait-il assez méchant pour m’avoir gardé le secret ?

Adieu, mes divins anges ; rions, mais surtout que Mme  d’Argental n’ait plus son rhumatisme : il n’y a pas là de quoi rire.

  1. Voyez tome VI, page 232.
  2. Voyez tome XXV, pages 254 et 255.
  3. Tome XXV, page 195.