Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5652

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 219-220).
5652. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 21 mai.

Que le nom d’ange vous convient bien, et que vous êtes un couple adorable ! que les libraires sont Welches, et qu’il y a encore de Welches dans le monde ! Tout ira bien, mes divins anges, grâce à vos bontés. Vous avez raison, dans votre lettre du 14 de mai, d’un bout à l’autre. Je conçois bien qu’il y a quelques Welches affligés ; mais il faut aussi vous dire qu’il y avait une page qui raccommodait tout ; que cette page, ayant été envoyée à l’imprimerie un jour trop tard, n’a point été imprimée ; que cet inconvénient m’est arrivé très-souvent, et que c’est ce qui redoublait ma colère de Ragotin[1] contre les libraires.

Jai eu une longue conversation avec Mlle Catherine Vadé, qui s’est avisée de faire imprimer les fadaises de sa famille. Elle a retrouvé dans ses papiers ce petit chiffon que je vous présente pour consoler les Welches[2].

J’ai eu l’honneur aussi de parler aux roués[3]. Il est très-vrai qu’il ne faut pas dire si souvent à Auguste qu’il est un poltron ; mais quand on veut corriger un vers, vous savez que souvent il en faut réformer une douzaine. Voyez si vous êtes contents du petit changement. En voilà quelques-uns depuis la dernière édition ; vous pourriez, pour vous épargner la peine de coudre tous ces lambeaux, me renvoyer la pièce, et je mettrais tout en ordre.

Je corrige tant que je peux avant la représentation, afin de n’avoir plus rien à corriger après.

À l’égard des coupures, et de ces extraits de tragédie, et de ces sentiments étranglés, tronqués, mutilés, que le public, lassé de tout, semble exiger aujourd’hui, ce goût me paraît welche. C’est ainsi que dans Mèrope on a mutilé, au cinquième acte, la scène du récit, en le faisant faire par un homme, ce qui est doublement welche. Il fallait laisser la chose comme elle était ; il fallait que Mlle Dubois fît le récit, qui ne convient qu’à une femme, et qui est ridicule dans la bouche d’un homme. Ces irrégularités serraient le cœur du pauvre Antoine Vadé.

Serez-vous assez adorables pour dire à monsieur le premier président de Dijon[4] combien nous lui sommes attachés ? Le ciel se déclare en notre faveur : car ce M. Le Bault, qui préside actuellement le parlement de Bourgogne, est celui qui nous fournit de bon vin, et il n’en fournit point aux curés.

Nota. Ce n’est point un ex-jésuite qui a fait les roués, c’est un jeune novice qui demanda son congé dès qu’il sut la banqueroute du Père La Valette et qu’il apprit que nosseigneurs du parlement avaient un malin vouloir contre saint Ignace de Loyola. Le public, sans doute, protégera ce pauvre diable ; mais le bon de l’affaire, c’est qu’elle amusera mes anges. Je crois déjà les voir rire sous cape à la première représentation[5].

Je ne pourrai me dispenser de mettre incessamment M. de Chauvelin de la confidence. Comme c’est une affaire d’État, il sera fidèle. S’il était à Paris, il serait un de vos meilleurs conjurés ; mais vous n’avez besoin de personne. Je viens de relire la pièce ; elle n’est pas fort attendrissante. Les Welches ne sont pas Romains ; cependant il y a je ne sais quel intérêt d’horreur et de tragique qui peut occuper pendant cinq actes.

Je mets le tout sous votre protection.

Respect et tendresse.

  1. Personnage du Roman comique de Scarron.
  2. Supplément du Discours aux Welches, tome XXV, page 249.
  3. Le Triumvirat.
  4. Fyot de La Marche père.
  5. Elle fut donnée le 5 juillet 1764.