Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5573


5573. — À FRÉDÉRIC,
landgrave de hesse-cassel[1].
24 février.

Monseigneur, l’aveugle remercie Votre Altesse sérénissime pour les roués et autres martyrs ; votre bonne œuvre pourra être récompensée dans le ciel, mais elle n’y sera pas plus louée qu’elle l’est sur la terre. On va juger incessamment le procès que la pauvre famille Calas intente à leurs juges. Il est vrai que cette abominable aventure semble être du temps de la Saint-Barthélemy, ou se celui des Albigeois. La raison a beau élever son trône parmi nous, le fanatisme dresse encore ses échafauds, et il faut bien du temps pour que la philosophie triomphe entièrement de ce monstre.

J’ai encore a remercier Votre Altesse sérénissime d’avoir donné la préférence aux acteurs français sur les châtrés italiens. Je n’ai jamais pu m’accoutumer a voir les rôles de César et d’Alexandre fredonnés en fausset par un chapon. Vous avez bien raison de faire plus de cas de votre cœur et de votre esprit que de vos oreilles. Que n’ai-je de la santé et de la jeunesse ! j’irais a Cassel, et n’irais pas plus loin. Agréez le profond respect, etc.

  1. Cinq lettres autographes de ce prince à Voltaire, 1766-1774, sont signalées dans le catalogue des autographes vendus le 17 avril 1880, n° 70.