Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5563

Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 128-129).

5563. — À M. DAMILAVILLE.
15 février.

Ah, mons Crevier ! ah, pédant ! ah, cuistre ! vous aurez sur les oreilles[1]. Vous l’avez bien mérité, et nous travaillons actuellement à votre procès. Vous entendrez parler de nous avant qu’il soit peu, mons Crevier.

Mes chers frères auront des contes de toutes les façons ; un peu de patience, et tout viendra à la fois. J’ai reçu la première partie des Lettres historiques sur les fonctions du parlement[2]. Il est plaisant que cela paraisse imprimé à Amsterdam : il faut que l’auteur croie avoir dit partout la vérité, puisqu’il a fait imprimer son livre hors de France. Je remercie bien mon cher frère, et j’espère qu’il aura la bonté de me faire tenir la seconde partie. Je fais venir souvent des livres sur leurs titres, et je suis bien trompé. Ils ressemblent presque tous aux remèdes des charlatans ; on les prend sur l’étiquette, et on ne s’en porte pas mieux. Mais au moins il y a quelque chose de consolant dans les mauvais livres : quelque mauvais qu’ils soient, on y peut trouver à profiter, et même dans celui du lourd Crevier[3] contre le sautillant Montesquieu.

Tout ce que j’apprends des dispositions présentes conduit à croire qu’on ne fera pas mal de répandre quelques exemplaires de la Tolérance. Tout dépend de l’opinion que les premiers lecteurs en donneront. Il s’agit ici de servir la bonne cause, et je crois que mon cher frère ne s’y épargnera pas.

Je ne sais si je lui ai mandé[4] que cet ouvrage avait déjà opéré la délivrance de quelques galériens condamnés pour avoir entendu, en plein champ, de mauvais sermons de sots prêtres calvinistes. Il est évident que nos frères ont fait du bien aux hommes. On brûle leurs ouvrages ; mais il faudra bientôt dire : Adora quod incendisti, incende quod adorasti[5]. Puissent les frères être toujours unis contre les méchants ! Qu’ils fassent seulement pour l’intérêt de la raison la dixième partie de ce que les autres font pour l’intérêt de l’erreur, et ils triompheront.

On dit que le contrôleur général a fait retrancher les pensions sur la cassette, supprimer les tables des officiers de la maison, et diminuer les revenans-bons des financiers. Ces ménages de bouts de chandelles ne sont peut-être pas ce qui fait fleurir un État ; mais, si on encourage le commerce et l’agriculture, on pourra faire quelque chose de nous.

J’embrasse tendrement mon cher frère et les frères. Écr. l’inf…

  1. Il ne parait pas que cette menace ait eu des suites.
  2. Voyez la note 5, page 111.
  3. Voyez la note 2, page 106.
  4. C’était à d’Alembert qu’il l’avait écrit ; voyez page 127.
  5. Paroles adressées par saint Remi à Clovis, au baptême de ce monarque.