1866.


À Auguste Vacquerie[1].


H.-H., 2 janvier [1866].

Je vous accable, cher Auguste, de mes missives. Je voudrais pourtant que vous lussiez ma lettre à M. Em. des Essarts. Si vous la trouvez bonne et à propos (car vraie, elle l’est) envoyez-la-lui. Sinon, renvoyez-la-moi. Je n’ai pas encore reçu la Revue des Théâtres que vous m’annoncez.

Le manuscrit entier des Trav. de la mer est à Bruxelles depuis le 30 Xbre. Les premières feuilles doivent en ce moment arriver chez Claye. Tibi rem commendo.

Il y a en tout quatorze livres, dont quatre d’exposition, et dix d’action. J’ai la conscience de n’avoir rien fait qui dépasse ce livre. En même temps que ce mot, vous recevrez pour M. Lecanu ma carte de bonne année, et un petit billet de moi. Tout est bien ici, et serait mieux si vous y étiez. Je suis pour l’instant archi-populaire à Guernesey. Je leur dis dans mon livre quelques demi-vérités qui pourraient bien gâter un peu cette popularité. Pourtant j’y ai mis une forte sauce de politesse.

Notre année vient de commencer dans la Manche par une tempête. J’espère que la vôtre sera tout soleil.

Bien à vous, cher grand esprit.

3 janvier.

L’article de M. L. Stone m’arrive. Il est excellent. Voulez-vous être assez bon pour lui transmettre ce billet[2].


À Louise Colet.
San Lencio, près Caserte,
Italie Méridionale.


3 janvier [1866].

Vous avez raison, tout ne me parvient pas, et, pour moi exilé, comme pour vous solitaire, il y a des abîmes entre les demandes et les réponses ; vous m’écrivez le 3 décembre, je vous réponds le 3 janvier. Vous avez du soleil là-bas, vous en êtes digne : moi il faut croire qu’il me boude, car il fait à peine jour ici ; midi est un crépuscule. Ajoutez que j’ai les yeux souffrants, et vous excuserez la brièveté de ma lettre.

N’attendez rien de Lacroix pour votre publication vaillante ; il a grand’peur en ce moment ; il s’est fait prendre l’an passé pour Marat, et cette année il se fait empoigner pour Proudhon[3]. De là une forte panique chez lui et dans toute la librairie. Il faut réserver votre œuvre militante pour un temps plus brave. M. Louis Bonaparte a organisé sa littérature comme son armée. La critique bien pensante fait l’exercice de la louange et de l’injure à volonté. On acclame les vers de M. de Massa[4] et l’on hue Les Chansons des Rues et des Bois. Une parodie est intitulée Les Chansons des Grues et des Boas. Ces chansons-là, en effet, se sont fait entendre autour de mon livre. Vous, vous avez eu la populace d’Ischia. Il y a parallélisme et analogie. Les prêtres vous menacent et ils me dénoncent. As-tu déjeuné, Jacob ? est un blasphème. Il y a cent ans, on nous eût mis, vous et moi, dos à dos sur le même fagot. L’ex-vieux bon goût a fait un progrès ; de voltairien il s’est fait orthodoxe. À présent, manquer à la Bible, c’est manquer de goût. Voilà où en est le petit tapage littéraire bonapartiste et catholique. Restez là-bas, faites de grands et nobles vers, tournez vos beaux yeux de prêtresse vers l’idéal, aimez-moi toujours un peu, et là où fut la république romaine, pensez à la république française.

Permettez, madame, que je vous baise les mains.

Victor Hugo.

Il va sans dire que je vous garderai de votre livre et de son titre le plus absolu secret[5].


À Monsieur Boué de Villiers[6].


Hauteville-House, 6 janvier 1866.

Vous avez su, peut-être, monsieur, que j’ai eu bien mal aux yeux ; quelques journaux ont été jusqu’à me faire aveugle, honneur homérique auquel je ne prétends pas ! — J’ai lu dans les journaux anglais des détails authentiques sur ma cécité complète : ce qui m’a rassuré, c’est que je les ai lus !

Cette ophtalmie, un moment fort aiguë, fort douloureuse, et assez importune, vous a expliqué mon long silence. Aujourd’hui, me voilà rentré en pleine possession du droit de lire et d’écrire, et j’en profite pour me tourner vers vous.

Vous avez parlé des Chansons des Rues et des Bois avec une élévation d’idées et de style qui m’a charmé et touché. Je tiens à vous le dire. Les esprits tels que vous ignorent les passions basses ; ils ont la hauteur de vues qui donne l’impartialité ; ils ont la sérénité du talent qui donne la justice. De là leur influence sur le public.

Je vous remercie ex intimo animo.

On m’assure qu’un honorable critique déclare m’avoir tué ; — par métaphore j’espère !

Recevez le cordial serrement de main d’un aveugle qui y voit clair et d’un homme tué qui se porte bien.

Victor Hugo[7].



À Charles et à François-Victor[8].


H.-H., samedi 6 janvier [1866].

Le curieux, c’est que je suis absolument de votre avis ; c’est la maison Lacroix qui n’en est pas. M. Lacroix, préoccupé ailleurs et absorbé par sa magnifique affaire Proudhon, me fait l’effet d’ignorer les faits.

Les voici (succinctement. Pour les compléter, faites-vous communiquer mes lettres à M. Verboeckhoven, je vous y autorise).

Le 25 nov. j’envoie à mes éditeurs la première moitié du manuscrit[9], accompagnée du Chapitre préliminaire[10]. Sur ce chapitre je fais toutes les observations que vous faites, laissant les éditeurs maîtres :

Ou de le publier immédiatement.

Ou de le réserver pour la deuxième ou troisième édition, toute prête d’avance et devant paraître dans la huitaine de la publication, à la condition de loyauté de délivrer gratuitement aux acheteurs de la première édition ce chapitre tiré à part.

(Moyennant un avis dans les journaux ainsi conçu :

« La deuxième édition des Travailleurs de la mer paraît aujourd’hui. Elle est augmentée et précédée d’un Chapitre préliminaire nouveau, intitulé l’Archipel de la Manche. Ce chapitre tiré exprès à part, sera délivré gratuitement aux acheteurs de la première édition sur la présentation de leur exemplaire, à la seule condition de laisser apposer une estampille sur la première page du premier volume. Cette distribution gratuite se fera exclusivement à Paris, à Bruxelles et à Leipsick, aux trois maisons centrales de librairie de la maison Lacroix. »)

Enfin, dans le cas où mes éditeurs n’adopteraient aucun de ces deux partis, je leur dis de me renvoyer immédiatement le manuscrit.

Réponse des éditeurs : Vous nous laissez le choix. Nous optons pour l’ajournement. Nous publierons ce Chapitre plus tard. Il ravivera le succès. En attendant nous le mettons sous clef.

Ma réplique : Pardon. Ce ne sont point là les conditions de l’option que je vous ai laissée.

Réponse des éditeurs : Elles nous semblent inexécutables.

Ma réplique : Alors renvoyez-moi mon manuscrit.

On ne me renvoie pas le manuscrit. Puis-je rester dans cette situation ? Laisser en des mains tierces un manuscrit dont on peut abuser, risquer la tuile d’une publication intempestive, dans trois ou six mois au gré de mes éditeurs (mon excellent éditeur et ami M. Lacroix est un peu l’homme aux tuiles, 1864 — tuile Lamartine. [Rappelle-toi, Victor.]: 1865 et 66 — tuile Proudhon).

Alors j’insiste. Ou publiez tout de suite, ou renvoyez-moi le manuscrit. J’en veux rester maître.

Mes éditeurs préfèrent publier tout de suite[11].

C’est donc leur volonté, et non la mienne, qu’ils font. C’est leur choix et non le mien.

Quant à moi, j’atténue l’inconvénient autant que possible, je le fais même disparaître, je crois, en recommandant d’imprimer ce Chapitre préliminaire en très petit texte de façon à appeler tout de suite le lecteur au roman, et à faire de ce chapitre une simple note pour renseignement.

Je persiste à croire que, publié avec la deuxième édition, il ferait un excellent effet.

C’est la distribution gratuite aux premiers acheteurs qui déplaît à mes éditeurs. Elle est pour moi de loyauté. Ils la disent impraticable. Avec la note ci-dessous dans les journaux toute difficulté s’évanouit. Insistez sur ce point.

Du reste, il est encore tout à fait temps.

Que Charles et Victor voient de ma part ces messieurs, leur lisent cette lettre, et leur redemandent mon manuscrit (copie) du Chapitre préliminaire, qu’ils fassent supprimer le commencement d’impression, s’il y a lieu, distribuer le caractère, etc. Puis mes fils me renverront immédiatement cette copie poste pour poste. Je les engage à n’en rien lire. Elle est hideusement griffonnée.

Plus tard, je resterai juge et maître, et seul juge et seul maître, de la convenance et de l’opportunité de cette publication.

J’ai laissé une option à mes éditeurs à des conditions. Ils acceptent l’option sans les conditions. Or cela est indivisible. Les conditions sont absolues.

Je remets la conclusion de cette affaire à mes fils bien-aimés, et je compte sur eux. Ils peuvent se faire montrer toutes mes lettres.

Je veux :

Ou la publication immédiate.

Ou le renvoi de mon manuscrit.

Le sage et le raisonnable et l’utile, ce serait la publication avec la deuxième édition, et le don loyal et gratuit aux premiers acheteurs. C’est ce qu’on a fait pour la grande préface du Dernier jour d’un Condamné. Le fait relatif à Notre-Dame de Paris, invoqué par M. Verboeckhoven n’a aucun rapport avec celui-ci. Le temps me manque pour l’expliquer. Mes éditeurs n’y regardent pas à me faire écrire des lettres de dix pages. Mais moi je sens que j’y perds mon temps et que j’y fatigue mes yeux.

Cependant, puisque j’y suis, je vais continuer.

Je crois mes éditeurs absolument démoralisés par les injures dites aux Chansons des Rues et des Bois. Ils sont aussi silencieux et aussi pâles devant Les Travailleurs de la mer que feu Gosselin l’était, avant la publication, devant Notre-Dame de Paris. (Ma femme s’en souvient.) En attendant, tout à l’excellente et admirable affaire Proudhon, ils négligent la mienne. Rien ne se fait de ce qui a été fait pour Les Misérables, ni prospectus, ni annonces, ni publicité. La publication dans toutes les capitales, qui avait réussi aux Misérables, n’est pas même ébauchée pour Les Travailleurs de la mer. Soit. — J’écris pour rappeler que le maximum de vente du volume des Travailleurs de la mer ne doit pas dépasser le maximum des Misérables. Six francs. On ne me répond pas. Je prie mes fils de toucher un peu toutes ces questions.

On ne court pas deux lièvres. On ne peut guère servir en même temps Proudhon et Victor Hugo.

Donc, mes enfants bien-aimés, reprenez et renvoyez-moi immédiatement le Chapitre préliminaire, l’Archipel de la Manche. Il servirait la deuxième édition, mais nuirait à la première.

Puisqu’on ne veut pas exécuter la condition loyale de la distribution gratuite aux premiers acheteurs[12], qu’on me le rende. Nous verrons plus tard.

Le temps me manque pour développer, mais comprenez-moi, et aidez-moi, mes bien-aimés.

Mes éditeurs seuls connaissent le livre. C’est prudent de ma part. J’aime mieux que ce qui en transpire ne vienne que d’eux.

Vous, soyez tranquilles, vous en serez contents[13].


À Philippe Burty.


Hauteville-House, 20 janvier 1866.

J’ai écrit, cher monsieur, afin qu’on m’envoie de la librairie Lacroix le précieux exemplaire déposé pour moi par vous. Vous m’avez remercié de mon dessin genevois par vingt lignes charmantes et cordiales.

La Presse m’a apporté le gracieux reçu. Personne n’a plus autorité que vous dans les choses d’art, et en lisant ce que vous dites de mes croquis de passant et d’amateur, je me tiens à quatre pour ne pas être pris de vanité. Heureusement, la raison me revient vite et je me dis : « Vieille bête de poëte, ne vas-tu pas te figurer que tu es peintre ! Contente-toi de voir et de montrer des torchons radieux ou tiens-toi tranquille ». Ce monologue me calme, me ramène à mes proportions. C’est égal, vous êtes un esprit charmant, délicat et fort ; vous habitez la patrie, vous pouvez quand bon vous semble aller voir Notre-Dame et le Départ de l’Ange de Rembrandt, vous avez la plus exquise petite fille qui soit au monde et je me déclare effrontément votre envieux.

Victor Hugo[14].


À Gilbert Lacroix.


H.-H., 21 janvier 66.

Le temps me manque, mon cher monsieur Lacroix, pour écrire de longues lettres. Suppléez, je vous prie, à mon laconisme forcé. Je vais tout de suite au fait :

Hypothèse d’un abus de confiance de votre part. Je n’ai rien dit de pareil. Je n’ai parlé que d’une indiscrétion possible. Un manuscrit inédit est une responsabilité que je ne dois laisser à personne. Mon mécontentement venait de votre persistance à le garder malgré mes réclamations. C’est ce qui me décidait à risquer plutôt la publication immédiate. L’ajournement me va, et me satisfait. Le manuscrit est rentré en mes mains. Tout est donc bien. Nous déciderons plus tard les questions de publication, d’opportunité, etc. — 1 franc — ou mieux : 75 centimes de mise en vente pourrait en effet résoudre la difficulté de loyauté qui me préoccupe.

Magnifique affaire Proudhon. Risquer une condamnation qui peut avoir des suites graves (une deuxième), je trouve cela fâcheux[15]. Et pour qui ? pour un écrivain très adopté des bonapartistes, qui sont fort sceptiques eux aussi (le sénateur athée feu Vieillard, et tant d’autres, vivants), pour un écrivain qui avoue lui-même avoir, après le coup d’état, reçu de l’argent des Bonaparte, et avoir demandé une place au Sénat ! J’accepte, a-t-il écrit. Être condamné pour ce candidat sénateur, c’est perdre sa cause deux fois, devant les juges que je méprise, et devant la démocratie que je défends et que je sers. C’est là le sens, bien clair, de mon ironie : magnifique opération. Ces deux causes de mécontentement vous expliquent tout. Nul rapport ne m’a été fait. Je dédaigne la coalition d’ennemis dont vous me parlez ; elle a la minute, j’ai le temps. La minute vous importe à vous éditeur, je le comprends. Aussi, pour Les Travailleurs de la mer, je vous engage à bien écouter nos deux inébranlables et admirables amis Vacquerie et Meurice. Le chapitre préliminaire m’est rendu, l’incident Proudhon est un fait accompli, ne parlons plus de cela désormais, donnez aux Travailleurs de la mer le temps que vous laissera votre procès, s’il n’a pas de suites trop absorbantes, effacez de votre esprit cette fantasmagorie de rapports qu’on me fait, n’oubliez pas que je suis dans ce siècle un combattant de l’art, du progrès et de l’idéal, et qu’il me faut des éditeurs « ayant la foi », et tout cela dit, croyez à ma cordialité complète, et faisons évanouir tout ce petit passé d’hier dans une affectueuse poignée de main.

V. H.

Rendez-vous compte que vous ne voyez qu’une moitié de la situation. En même temps qu’il y a une coalition d’auteurs contre moi, il y a une coalition de libraires contre vous. Ceci du reste vous fait honneur.

Tel de ces libraires a l’habileté d’avoir la main dans huit ou dix journaux, de ce qu’on nomme particulièrement la petite presse, et dans quatre ou cinq revues, et il me le fait savoir[16].


À Auguste Vacquerie[17].


H.-H., dim. 21 janvier [1866].

Le temps me manque, le jour me manque, les yeux me manquent. Que de choses pourtant j’aurais à vous écrire !

Si vous voyez M. Lacroix, dites-lui de vous montrer une lettre que je lui écris aujourd’hui même. Elle vous mettra au fait de bien des choses. Il y a contre moi une coalition d’écrivains, et contre lui une coalition de libraires. Je lui recommande de vous consulter en tout.

Quand passe votre drame annoncé ? Le succès paraît m’être désormais violemment refusé. Aussi est-ce dans votre triomphe que je mets ma réussite. Qu’on vous applaudisse et je dirai : tout est bien.

Serez-vous assez bon pour transmettre ce pli à Guérin et cet autre à M. Albert Glatigny[19] qui m’écrit de Lille sans me donner son adresse. Vous la savez peut-être.

Si vous croyez que ce petit fait vaille la peine d’être communiqué à la presse, je vous l’envoie.


À Swinburne[20].


Hauteville-House, 23 janvier 1866.

Monsieur, mon fils, le traducteur de Shakespeare, est en ce moment près de moi. Il m’a fait une nouvelle lecture de votre pathétique drame de Chastelard. J’ai pu, grâce à lui, en saisir mieux toutes les beautés. Il était charmé de vous traduire après avoir traduit Shakespeare, et il sentait en vous une continuation de cette sublime poésie.

Votre œuvre est au plus haut point émouvante et humaine. Elle parle à la fois au cœur et à l’âme, au cœur par la passion, à l’âme par l’idéal. Un grand succès vous est dû. Vous vous rattachez glorieusement aux grandes traditions de l’art universel, et votre talent honore la littérature contemporaine.

Vous me dédiez votre belle œuvre en termes qui me touchent profondément.

Recevez mon remercîment ému et cordial.

Victor Hugo.


À Paul Meurice.


H.-H., 23 janvier [1866].

Si l’on savait comme j’aime mes amis et comme je hais peu mes ennemis, mes bons ennemis seraient bien attrapés. Il suffit de la seule vue de votre écriture pour me faire oublier les diatribes, et de la seule lecture d’une de vos lettres pour me faire remercier les haines. Oui, je les remercie, car je sens que vous m’aimez d’être haï. Je ne suis pas haï pour rien en effet, et ceux qui admirent Proudhon, le candidat sénateur évincé et réduit à recevoir de l’argent, sans broderies, des mains du coup d’état, ceux-là peuvent m’insulter, et font bien. Je ne suis qu’un caillou sur un rocher. Je ne déteste pas le martyr à l’égal du bourreau. Je n’ai ni une probité de ce calibre, ni une pensée de cette force. J’ai quelque peu raillé M. Lacroix du va-tout qu’il a joué sur Proudhon. Après Marat, Proudhon. C’est habile.

Avez-vous lu l’excellente lettre écrite par Erdan à propos de M. Pichat et de l’Événement ? J’écris à Erdan pour l’en féliciter. Mais je ne sais où le trouver. Voudrez-vous lui faire tenir ma lettre ? Voudrez-vous aussi faire jeter l’autre billet à la poste.

Je lis aujourd’hui dans Le Soleil et dans La Presse de très bons détails préparatoires sur Les Travailleurs de la Mer. Ce livre n’est pas un livre de combat ; il est écrit, non pour la minute, mais pour la postérité (passez-moi cet orgueil). C’est là sa faiblesse et sa force. Quelques lecteurs comme vous satisfaits, je n’en demande pas davantage à mon siècle.

Serez-vous assez bon pour vous informer, en payant les 618 francs à la Compagnie de la rue Ménars, si ce n’est pas cette année qu’il y a un dividende. Je suis un riche à ce qu’on dit. Très gueux, à ce que je sais.

C’est égal, je vous aime[21].
À Albert Lacroix.


Hauteville-House, 29 janvier 1866.
Mon cher monsieur Lacroix,

Vous savez combien je suis sobre de conseils qu’on ne me demande pas. Cet automne pourtant, je vous ai conseillé M. de Banville, et je ne vous eusse pas conseillé M. Proudhon ; j’aime mieux un vrai artiste qu’un faux penseur. Les sophismes ultra-anarchiques aboutissant à la demande d’une place au Sénat sont peu de mon goût. J’en devrais rester là. Permettez-moi pourtant, dans le cordial intérêt que je prends à la dignité de votre librairie, d’appeler votre attention sur un véritable écrivain qui vient de traiter un des grands sujets de notre temps, la Révolution littéraire. Ce sujet, sur lequel on a tant écrit, est pourtant vierge encore au point de vue de l’histoire. On a discuté ; il est temps de raconter. La poussière du combat est tombée ; il est temps de constater la victoire. 1830 est le corollaire de 1789. Ce fait considérable n’avait pas encore d’historien ; en voici un, M. Emmanuel des Essarts[22]. M. Emmanuel des Essarts, dont vous avez lu de belles pages de haute critique et de haute philosophie dans les journaux et les revues, est un rare esprit, un talent fin et fort, une éloquence au service de la vérité. Je vous garantis un livre excellent, et je crois fermement au succès. Ce livre est une partie de l’histoire de notre siècle. Il honorera la librairie qui le publiera. Je désire que ce soit la vôtre, je le désire pour vous qui êtes une intelligence élevée et sympathique, je le désire pour l’auteur qui est digne de vous avoir pour éditeur.

Recevez mon cordial serrement de main.

Victor Hugo[23].


À Madame Victor Hugo. À ses fils[24].


H.-H., 31 janvier [1866].

Comprenez-moi, mes bien-aimés. Qui me comprendra, si ce n’est vous ? Si vous étiez une maisonnée isolée à la campagne, seuls, entre vous, parbleu, cela irait de soi, je vous communiquerais le livre feuille à feuille, rien de plus juste et de plus simple ; mais vous êtes à la ville, vous avez autour de vous tous les fils qui seraient rompus à la campagne, toutes sortes d’attaches aimables et cordiales, comment, ayant cette primeur, ce livre, en refuser communication ? Voilà un ami cher, excellent, bientôt même utile, lui dira-t-on : Non ? Si on dit Oui, que répondra-t-on à un autre ? et à un autre ? et où s’arrêtera-t-on ? Vous voyez la pente. Si on refuse, on a le tort et on fait la faute de fâcher des amis ; si l’on communique et si l’on accorde, on évente le livre. Or un livre inédit, c’est normal, un livre publié, c’est normal ; un livre éventé, c’est détestable. Il faut ou l’obscurité d’un tiroir, ou le grand jour de la rue. Pas d’intermédiaire. Vous seriez les premiers, mes aimés, à regretter le résultat, si quelque inconvénient se produisait. L’état inédit doit être en ce moment d’autant plus maintenu que la publication semble retardée. La magnifique affaire Proudhon a ce contrecoup jusqu’à moi. Je plains du reste ce pauvre M. Lacroix, Les juges ont été immondes et infâmes. Mais que ce commentaire de Proudhon sur Jésus-Christ est donc vulgaire et plat ! — Dans la semaine qui précédera la publication, communication du livre vous sera donnée. Je vous demande comme une bonne grâce et comme une tendresse, de comprendre mes raisons. Ce livre, comme tous mes livres, comme tout ce que je possède, est à vous, et non à moi. Je ne suis que votre intendant. Comprenez que je fais pour le mieux. J’ai l’honneur d’être un homme haï. Il faut que je m’attende à tout. Aidez-moi à me garder. Du reste, je vous rabâche que vous serez contents, quand vous lirez. J’ai fait aussi bien, mais pas mieux.

Chère amie, comme tu insistes gentiment pour m’avoir à Bruxelles. J’y aspire comme toi, comme vous. Être réunis, c’est mon songe. Songe qu’il dépend un peu de vous de réaliser. Je ne puis aller à Bruxelles qu’au moment annuel de l’interruption de mon travail. Pourquoi ? Parce que tous mes instruments de travail sont ici, notes, livres, études faites, pages écrites çà et là, etc, etc. Une montagne de choses sur laquelle s’accroupit mon inspiration. Transporter cela est impossible. Je suis donc cloué là où est mon nid de travail. Car le penseur aussi a un atelier. Tu vois l’obstacle. Ma prochaine lettre vous portera de l’argent.

Tendresses à tous[25].
Au Gonfalonier de Florence.


Hauteville-House, 1er février 1866.
Monsieur le Gonfalonier de Florence,

Par suite d’un retard que j’ai peine à m’expliquer, votre honorable lettre du 1er juillet et votre précieux envoi me parviennent aujourd’hui seulement.

Recevoir du Gonfalonier de Florence, au nom de l’Italie, la médaille jubilaire de Dante, c’est un immense honneur, et j’en suis profondément touché. Mon nom est pour vous synonyme de la France, et vous me le dites en termes magnifiques. Oui, il y a en moi, comme dans tous les français, un peu de l’âme de la France, et cette âme de la France veut la lumière, le progrès, la paix, la liberté, et cette âme de la France veut la grandeur de tous les peuples, et cette âme de la France a pour sœur l’âme de l’Italie.

Veuillez, monsieur le Gonfalonier, transmettre à vos nobles concitoyens ma profonde reconnaissance et recevoir l’assurance de ma haute considération.

Victor Hugo[26].


À Nadar[27].


Hauteville-House, 3 février [1866].

Dès que mes yeux, un peu fatigués, me l’ont permis, j’ai lu votre Droit au vol[28]. C’est le charmant livre d’un ferme esprit. Tous nous luttons, nous comme vous, vous comme nous. Vous donnez dans le combat le plus beau des exemples, la persévérance gaie. Quelle arme que le dédain ! et comme vous en usez bien ! Je vous remercie au nom de tous les lutteurs. Je crois avoir dit quelque part :

J’aime les gens d’épée, en étant moi-même un.

Épée signifie Pensée. Allez donc, homme vaillant. Allez, vous triompherez par le fait, vous triomphez déjà par l’esprit. Les pauvres moqueurs, les rieurs eunuques, les envieux ricanant leur impuissance, tout cela disparaîtra, et disparaît dès aujourd’hui, devant l’avenir évident. L’homme conquerra le pays des souffles comme il a conquis le pays des flots ; l’air s’ouvrira comme l’océan s’est ouvert.

À vous. Ex imo.

Victor Hugo[29].


À Madame Victor Hugo[30].


H.-H., 6 février [1866].

Chère amie, ta lettre excellente dit tout. Oui, il ne faut des morts voir que le bon. Je pense avec cordialité et attendrissement à ton frère[31]. J’écris à sa veuve. Lis ma lettre, ferme-la d’un cachet noir, et envoie-la à Mélanie.

Charge-toi aussi de faire parvenir ce petit mot à Alphonsine qui a écrit sur moi une page émue et charmante.

Voici une traite à ton ordre de 700 francs qui se décomposent ainsi[32] : Je n’ai que le temps de fermer cette lettre. Je pense les larmes aux yeux à ton pauvre frère. Je vous embrasse tous quatre bien étroitement. Serrons-nous les uns contre les autres[33].


À Madame Victor Foucher[34].


H.-H., 6 février [1866].

Votre affliction, ma chère Mélanie, est la nôtre. J’ai eu le cœur profondément atteint par ce coup inattendu. Votre mari était le vieux compagnon de mon enfance et de ma jeunesse. Nos deux destinées se sont longtemps côtoyées, nos deux cœurs se sont longtemps compris. Aujourd’hui, qu’il est une âme, il voit le fond de ma pensée. J’offre ma conscience sereine aux morts comme je l’offre à Dieu. Ils voient le vrai, eux qui habitent la lumière. À cette heure, votre mari et moi nous nous entendons. L’exil sépare, mais la mort rapproche. Je pleure avec vous, ma chère sœur, et j’espère avec vous. La tombe est une porte comme une autre, au delà de laquelle on se revoit. Je vous embrasse avec une sympathie cordiale et profonde.

Votre frère
Victor Hugo[35].
À Auguste Vacquerie[36].


H.-H., dim, 11 février [1866].

J’ai mon succès, cher Auguste, puisque j’ai votre applaudissement. Je crois maintenant que je vais l’avoir de plus en plus. L’unité du livre va vous apparaître et vous aimerez, je crois, ce double coup d’œil jeté sur la femme et sur la mer, ou, pour mieux dire, cette double sonde plongée dans ces deux abîmes. Le commencement franchi, tout le drame va se dérouler devant vous. — Ce brave M. Lacroix, à ce propos, ne pourrait-il pas faire taire d’autres réclames ? Je lis dans une : cette fois, plus de détails parasites, etc., etc. — Est-ce que mon éditeur ne pourrait pas faire dire, s’il le croit utile, du bien des Travailleurs de la mer, sans faire dire du mal de Notre-Dame de Paris et des Misérables ? M. Lacroix est intelligent, mais pas toujours adroit, il a, tantôt des pavés, tantôt des tuiles, protege nos, je me réfugie dans l’admirable sollicitude de votre amitié. Si vous voyez notre excellent Émile Allix, dites-lui, je vous prie, que je vais prochainement lui écrire, que je suis de son avis qu’il faut ponctuer après les guillemets. Voici, en outre, trois fautes dans l’édition belge :

1° T. Ier, p. 329, l. 9. Au lieu de :

il ne me sera pas dit


il faut :

il ne sera pas dit.

2° P. 336, l. 4. Au lieu de :

le point noir


il faut :

ce point noir.

3° T. II, p. 9, l. 17. Au lieu de :

Les aiguilles


il faut :

Ces Aiguilles.

Est-ce à temps pour corriger ces fautes dans l’édition de Paris ?

J’écris à Paul Meurice les raisons pour lesquelles je crois utile de maintenir l’ajournement du Chapitre préliminaire. Je le prie de vous communiquer ma lettre. Merci pour tout. Merci à votre cœur fraternel, merci à votre grand esprit.

V.

Comme nos pensées se rencontrent ! À propos de ce pauvre et bon Victor

Foucher, j’ai écrit : l’exil sépare, la mort rapproche[37].
À Madame Victor Hugo[38].


H.-H., 21 février [1866].

Lisez cette lettre en commun.

Voici, chère amie, ma réponse à tes doux reproches. M. Verboeckhoven vous remettra l’exemplaire des bonnes feuilles. Lisez, mes bien-aimés, vous êtes le public de mon esprit, de mon âme, et de mon cœur. Quant aux communications plus ou moins risquées, peut-être nuisibles, peut-être utiles, je m’en remets à votre sagesse collective. Vous avez près de vous d’excellents et vrais amis ; vous en avez d’autres. Distinguez, comprenez, décidez.

Je ne crois pas, chère amie, que le refroidissement conjectural dont tu me parles, et qui n’est que prudence, ait pu aller jusqu’à imposer à Paul, en même temps qu’un silence — que le reste du journal ne gardait point — absolu de quatre mois sur les Chansons des R. et des B., la glorification en termes exprès de l’immense triomphe[39] dont je t’ai parlé. J’en suis fâché pour Paul, et pour Paul tout seul. Je doute qu’un frère de Casimir Delavigne eût glorifié l’immense triomphe de Hernani en gardant le silence sur les Messéniennes. Et puis je m’en fiche. Dis-moi si tu crois que je dois lui envoyer Les Travailleurs de la Mer. Je ferai ce que tu me conseilleras ; ton esprit est pour moi une lumière, et ton cœur un foyer. Je m’en éclaire et je m’en réchauffe. Cela m’est bon, car je sens parfois jusque dans ma solitude venir à travers la mer le froid de la haine.

Je vous embrasse , mes aimés[40].


À Paul Meurice[41].


H.-H., 25 février [1866].

Notre excellent proscrit et ami Kesler a fait dans la Revue de Belgique un article on ne peut meilleur. Il en voudrait communiquer cette page à M. Henri Rochefort. Je crois qu’elle ne peut qu’être agréable à M. M. Rochefort dont j’ai toujours eu à me louer. — Si vous le pensez après lecture, voulez-vous être assez bon pour transmettre à M. Rochefort la chaude sympathie de M. Kesler. Si vous croyez devoir couper le haut de la page, faites pour le mieux. Il m’arrive pour Les Travailleurs de la Mer des propositions des Mille et une nuits. Vous le savez probablement. Je vous envoie tout ce que j’ai de tendresse pour votre noble et grand esprit.

À Millaud.


H.-H., 27 février [1866].

Mon honorable et cher ancien ami, je suis bien sensible à votre lettre excellente. C’est une joie pour moi de renouer avec vous nos bonnes relations d’autrefois. Vos offres sont les plus splendides qui aient jamais été faites à un écrivain ; je vous donne acte de votre magnificence, mais la raison d’art pour moi passe avant tout, et votre million à partager ne peut lui-même vaincre mon scrupule d’artiste. J’ai la conviction que Les Travailleurs de la Mer ne sauraient se découper en feuilletons[43].

Ce mode de publication, excellent du reste et que je suis loin de répudier, conviendra peut-être au roman Quatrevingt-treize qui est le livre auquel je travaille maintenant.

Votre lettre et la dépêche télégraphique ne me sont arrivées qu’hier. Notre cher ami commun, M. Paul Meurice, vous expliquera cet isolement de Guernesey. Je suis ici dans une solitude sérieuse.

Mes raisons pour résister à vos offres si superbes et si noblement faites, vous les comprendrez et vous m’en saurez gré. Elles sont toutes puisées dans ma conscience littéraire. C’est elle, quelque regret que j’en puisse avoir, qui me force à baisser pudiquement les yeux devant un demi-million. C’est sous la forme livre que Les Travailleurs de la Mer doivent paraître. Quand ils seront publiés, vous serez certainement de mon avis.

Je vous remercie avec effusion de votre ouverture si cordiale. Laissez-moi mettre un peu d’avenir dans le serrement de main que je vous envoie.


À Louis Ulbach.


Hauteville-House, 27 février [1866], midi.
Mon éloquent et excellent cher confrère.

Je reçois vos deux lettres en même temps, et je viens répondre tout de suite. Il n’y a pas pour moi d’hésitation, quoique les raisons données par vous soient toutes belles, nobles et bonnes, et quoique jamais offres aussi magnifiques n’aient été faites à un écrivain, je dois les décliner. Pour moi, la raison d’art prime tout, et je considère comme impossible de découper ce livre en feuilletons[45].

C’est donc un regret que je dois exprimer, j’y ajoute un remerciement.

Du reste, je vois avec peine plusieurs journaux et une partie du public m’attribuer, pour le mode de publication d’un livre par feuilletons, un éloignement que je suis loin d’avoir.

Je n’ai là-dessus aucun parti-pris ni aucun préjugé ; des noms illustres ont consacré ce procédé excellent de publication. C’est une admirable forme de publicité populaire en même temps que littéraire. Les Travailleurs de la Mer (et vous serez de mon avis) s’y encadreraient difficilement, mais ce mode de publication s’adaptera peut-être à merveille au roman Quatrevingt-treize auquel je travaille en ce moment.

Je ferme bien vite cette lettre pour qu’elle parte, la première politesse est de ne pas faire attendre la réponse.

Vous êtes donc venus trois à Saint-Malo ! Quel regret pour moi que la mer ait empêché votre passage ! Comme Hauteville-House se fût ouvert à deux battants !

Votre ami,
Victor Hugo[46].


À Albert Lacroix.


H.-H., mardi 27 [février 1866].

Comme vous l’avez pressenti, mon cher M. Lacroix, la question d’argent n’est rien pour moi devant la question d’art. Les Travailleurs de la Mer ne peuvent être morcelés en feuilletons. Je décline à regret ces offres qui devenaient de plus en plus magnifiques. Ma famille vous communiquera la lettre de M. Millaud et ma réponse.

Vous vous êtes mépris, je n’ai pas parlé de dépôt, mais de prise de propriété. Vous n’avez pas pris propriété pour le William Shakespeare, pas plus que pour les Chansons des Rues et des Bois.

Pourquoi ?

À bientôt une lettre.

V. H.[47]


À Auguste Vacquerie[48].


H.-H., 6 mars [1866].

Me suis-je donc mal expliqué ? J’avais conclu, cher Auguste, au maintien de la dédicace telle qu’elle est imprimée dans l’édition belge. Vous voyez à quel point nous sommes d’accord. À Guernesey, comme titre, est amphibologique. C’est pourquoi je n’ai rien mis. La dédicace parle et s’explique clairement toute seule. — Donc tout ce que vous faites est bien. — Si au lieu d’écrire quelques lignes hâtives, on causait, nous serions d’accord aussi sur la forme finale de la lutte de Gilliatt. C’est peut-être là une des originalités de ce livre. La prière est une arme obscure et immense de l’âme. (Pour moi. Dans ma pensée. Voyez sur la prière une page du chapitre la Cloche du port, qui est, je crois, absolument inattendue et neuve.) Toutes les armes épuisées, Gilliatt a recours à la dernière, avec inconscience, cela est vrai, mais la démonstration gagne à cette inconscience même. Il a combattu avec la force, qui est son épée, l’infini matière ; il tourne la prière, qui est son bouclier, vers l’infini âme ; et il triomphe. Qu’est-ce ? le triomphe de l’Homme. Vous voyez à quel point nous nous entendrions. J’ai mes idées sur la prière, et si je causais au lieu d’écrire, j’ajouterais : j’ai mes expériences. — Pas d’extraits aux journaux, et un extrait spécialement à La Revue des deux mondes, je me rallie tout à fait à ce mode. Du reste vous êtes les deux suprêmes juges. Je vous écris au galop.


Totus tuus[49].


À Henri Rochefort.


Hauteville-House, 16 mars [1866].


Mon jeune et charmant confrère.

Vous annoncez mon livre[50] en trois pages éclatantes et généreuses. Je ne veux pas attendre pour vous remercier, les nouvelles marques d’une sympathie que vous me témoignez si noblement chaque jour. Je suis à ce qu’il paraît — en plus d’un lien littéraire et politique — impopulaire ; ce qui ne m’étonne pas, car on m’assure que Sa Majesté Napoléon III a la bonne fortune d’avoir supprimé la liberté, le droit, la tribune, la presse, la parole, le progrès, et même un peu le peuple, et d’être populaire. Si cela est, je me trouve bien comme je suis. L’envie ou l’applaudissement à Louis Bonaparte et la huée pour Victor Hugo. Passez-moi ce manque de modestie.

Je n’en sens que plus profondément la cordialité des nobles esprits et des nobles âmes. C’est une joie pour moi d’être en communion et en sympathie avec votre talent fier, exquis et libre. C’est une joie de le sentir et c’est une joie de le dire.

Nous nous sommes vus à Bruxelles il y a cinq ans, et cette rencontre est une des douces journées de mon exil.

Trouvez bon que je vous envoie ce que j’ai de meilleur dans le cœur.

Victor Hugo[51].


À Madame Victor Hugo. À ses fils[52].


H.-H., 14 mars [1866].

Je prie mon Victor d’envoyer sûrement la lettre à M. G. Millot. Elle en contient une pour Rogeard. Vous pouvez tout lire. — Je vous envoie un frontispice pour M. Baudelaire. Il a fait la sourde oreille aux Ch des R. et des B. mais je vous laisse juges. Envoyez-le-lui, si vous le trouvez bon.

Paul va bien. Après avoir chuté les Ch. des R. et des B. au profit du Lion Ponsard[53], il chute maintenant (11 mars) et d’avance Les Travailleurs de la Mer au profit de la Contagion-Augier. Qu’en dites-vous ? — M. Millaud est charmant. Il m’envoie Le Soleil et Le Petit Journal (grand format). Vogue donc la galère des Travailleurs de la Mer. — Rappelez à M. Lacroix que je tiens à l’envoi des exemplaires belges, vraie édition princeps.

Je vous embrasse, mes bien-aimés[54].


À Paul Meurice[55].


H.-H., Dimanche, 18 mars [1866].

Je vous réponds bien vite, sans solution pourtant. Je cherche et je creuse. Nous finirons par trouver. J’ai la même pensée et le même désir que vous. Avec la Grand’mère ou Margarita, un autre ordre d’objections surgit, que vous entrevoyez. L’Archipel de la Manche résoudrait la difficulté, mais comment combiner primeur avec prime ? That is the question. Que ne puis-je aller passer une heure à Paris ! — Enfin, je pense et je pense, et il faudra bien que l’obstacle cède[56].

Les trois colonnes de Henri Rochefort sont du style le plus charmant et du meilleur cœur en même temps que du meilleur esprit. Il est votre ami. Voudrez-vous lui remettre ce mot. Savez-vous si M. Villemot a eu sa première page et son exemplaire ? J’avais envoyé pour Michelet de même que pour Claye. Je soupçonne la Librairie internationale de quelque négligence. Recommandez nos envois à notre excellent et cher Guérin[57]. Dites, je vous prie, à Michelet que je lui envoie un duplicata. Non, je ne l’avais, certes, pas oublié.

Vous me dites sur mon livre quatre mots superbes. Merci, ami.


À Auguste Vacquerie[59].


Dim. 18 mars, H.-H.

Vous avez écrit de votre main magistrale ces deux en-tête de la Presse et de l’Avenir national. Quel style, et quel ami vous êtes ! Merci ex profundo. Ce que vous faites est fait. Par conséquent j’approuve l’exécution de M. Pichat. Vous savez ma vieille habitude de patience avec mes ennemis entre cuir et chair, j’ai été ainsi avec Planche, Nisard, Vigny, Musset, Sainte-Beuve, etc. Mais vous, vous intervenez, et ma foi, je vous approuve. Quel drôle de beau-frère j’ai dans Paul ! Il vous attaque, il m’attaque, et il proteste de son dévouement à vous comme à moi. Ceci sera un détail bizarre dans ma vie. Voici plusieurs frontispices. Je n’avais oublié ni Michelet, ni Claye. Je soupçonne la Librairie internationale de beaucoup de désordre dans le service. Merci pour les grandes choses, si douces, que vous me dites. Tuus.

À François-Victor[61].


H.-H., 21 mars [1866].

Mon Victor, les journaux se trompent, je n’ai pas écrit à Mme  Proudhon. J’ai sous les yeux une lettre publiée où M. Proudhon se déclare l’obligé de l’empereur (sans doute les 6 000 francs qui ont passé par les mains de M. Malher). Il y a encore beaucoup d’autres raisons pour que je ne fasse point cortège à cette mémoire. — Êtes-vous décidément tous d’avis que j’écrive à M. Rogeard ? Il me semble qu’il eût pu m’envoyer sa brochure. Je n’en connais que la première page. Si vous persistez dans cet avis, écris-le-moi, et j’écrirai. Je ferai comme si M. Rogeard m’avait envoyé Labienus. Ce que j’en ai lu du reste est très bien. — À une grande distance de ta chère et admirable mère, tu as ici, dans deux maisons à droite et à gauche de Hauteville-House, deux autres mères qui me chargent de t’envoyer leurs tendres embrassements[62]. Tu es aimé, mon Victor. Tu le mérites, tu mérites aussi d’être heureux.

Travaille, c’est le point d’appui.

Je ne reçois toujours pas l’épreuve de ma préface Pagnerre.

Moi aussi de mon côté, je travaille. Et j’avance.

Profondes tendresses à vous trois.


À Madame Victor Hugo[64].


H.-H. Mardi [mars 1866].

Tu m’écris sur ce livre une page exquise. Tu es en effet un grand esprit, et un grand cœur. Chère bien-aimée, je suis content de te plaire sous la forme auteur. J’espère que la suite ne gâtera pas le commencement. Vacquerie et Meurice m’écrivent des lettres enthousiastes. Voici une lettre de M. Millaud avec ma réponse dernière.

Mon Victor bien-aimé, qui m’as écrit il y a huit jours une si charmante lettre, je te prie de communiquer la lettre Millaud et ma réponse à M. Lacroix, et de lui remettre ce mot de moi. Ensuite, vous me renverrez par votre prochaine lettre la lettre Millaud.

Je n’y vois plus clair. J’embrasse ma femme à tâtons, et toi mon Victor, et vous mes deux chères têtes dans un bonnet, Alice et Charles.


À Albert Wolff[66].


Hauteville-House, 22 mars [1866].
Monsieur,

Si quelque jour une bonne fortune vous amène à Guernesey, vous verrez bien que j’eusse été heureux de vous serrer la main à Bade ; je n’ai de ma vie pensé aux gendarmes badois, car je ne les crois point au service des petites mauvaises humeurs.

Monsieur le duc de Bade ne m’est connu que par son extrême politesse. Si je me suis un peu évadé de Bade, c’est qu’il y avait trop de monde, une longue absence de Paris m’a rendu étrange et sauvage ; je me sens importun à la foule et je m’en vais. Quant à l’élite, surtout représentée par des hommes tels que vous, je l’aime et je la cherche.

J’aime aussi, c’est vrai, mes amis, et je les défends, et je me fâcherais si quelqu’un, devant moi, disait du mal de vous.

La page que vous avez bien voulu écrire sur moi est bonne et charmante, et je vous remercie.

Pardonnez-le-moi.

Victor Hugo[67].


À Pierre Véron.


[Fin mars ou avril 1866.]
Mon vaillant et cher confrère.

Par ce temps de lettres interceptées, je ne sais jamais si mes lettres arrivent. Je vous ai écrit, ainsi qu’à M. Ch. Bataille, et il me semble que mes lettres ont dû vous parvenir, puisque je crois avoir reçu des réponses. Ces réponses, ce sont de cordiales et amicales paroles que m’apporte le Charivari. Aujourd’hui, je lis une noble page de vous sur Les Travailleurs de la mer. Vous parlez de ce livre magnifiquement. J’ai voulu glorifier le travail, la volonté, le dévouement, tout ce qui fait l’homme grand ; j’ai voulu montrer que le plus implacable des abîmes, c’est le cœur, et que ce qui échappe à la mer n’échappe pas à la femme ; j’ai voulu indiquer que, lorsqu’il s’agit d’être aimé, tout faire est vaincu par ne rien faire, et Gilliatt par Ébenezer ; j’ai voulu prouver que vouloir et comprendre suffisent, même à l’atome, pour triompher du plus formidable des despotes : l’Infini. Toutes ces choses, vous les faites pressentir magistralement dans ces quelques lignes si pleines d’idées. Vous savez comme j’aime votre fier et franc talent, où l’esprit assaisonne en doses exquises la conscience et la dignité. Vous êtes avec le progrès ; vous comprenez la révolution littéraire aussi complètement que la révolution politique. C’est ce qui fait de vous un chef d’intelligences. Je vous serre les deux mains[68].


Madame Victor Hugo[69],
4, Place des Barricades.


H.-H., 3 avril [1866].

Je t’écris au dos d’une lettre de M. Bérardi bien cordiale que je t’envoie. Chère bien-aimée, tu dois te tromper dans ce que tu m’écris. Il est impossible que j’aie contristé Meurice. Si cela était, j’en serais plus que désolé. Jamais ami plus tendre et plus vrai n’a été plus vraiment et plus tendrement aimé de moi. Écris-le-lui tout net, je te prie. Je ne lis de journaux que ceux qui viennent ici. M. Wolff ne m’est connu que comme ancien rédacteur du Charivari, ayant été très bien pour Les Misérables. De là ma lettre. Du reste, dans cette lettre, je soutiens énergiquement mes amis. — Quant aux frontispices, je n’ai écrit qu’après une foule de réclamations, m’arrivant de toutes parts. Si je ne les ai pas envoyés directement à Auguste, et si je les ai fait passer par Bruxelles, c’est qu’Auguste m’avait prévenu qu’une lettre de moi à lui avait été ouverte (zèle du nouveau Piétri) et vidée, et j’ai craint que ce gros paquet ne fût intercepté et plus ou moins pillé par les gens de police. C’est pour le même motif que, tout en envoyant à Auguste un duplicata de ma lettre à M. Duvernois, je l’ai envoyée en même temps directement à La Liberté. Elle y a paru, en effet, criblée de fautes, au point d’être inintelligible, ou à peu près. Jamais Vacquerie et Meurice ne m’ont montré plus d’amitié et jamais je ne leur en ai rendu davantage. Je leur suis profondément reconnaissant. Je t’embrasse, chère amie, et mes autres aimés.

Sache si j’ai fait de la peine à Meurice. Écris-lui. C’est bien sans m’en douter, et je ne me consolerais pas d’avoir affligé un tel ami.


À Paul Meurice.


H.-H., 4 avril [1866].

Il paraît que j’ai fait une bêtise. J’ai écrit affectueusement à un homme qui, me dit-on, serait votre ennemi[71]. Voilà ce que c’est que d’ignorer. J’ai écrit sous l’influence d’un vieux souvenir d’un article très chaud sur Les Misérables. Du reste ma lettre affirme mes amitiés. Mais c’est égal, je m’en veux de n’avoir pas su que cette lettre allait à quelqu’un dont vous avez à vous plaindre. Je ne lis de journaux que ceux qu’on m’envoie, et j’ignore une foule de faits, c’est là mon excuse. Mais je suis triste. Vous êtes plus qu’un ami pour moi ; vous êtes un alter ego, vous êtes un moi-même. Je me sens une fraternité profonde avec votre fier et noble esprit, je vous aime de toutes les formes de l’amitié à la fois. Votre cœur de diamant est un des points d’appui de mon exil. Je me sens triompher quand on vous applaudit, et il me semble que mes succès (quand j’en ai, rara avis) sont vôtres. D’ailleurs, ces succès, que seraient-ils sans vous, sans votre sollicitude, sans votre omniprésence, sans votre doux et ferme et infatigable concours ? Je ne pense à vous qu’attendri. Si je vous ai fait de la peine, je ne me consolerai pas. Écrivez-moi si cela est. J’ai bien plus de sensibilité en ce qui vous touche qu’en ce qui me concerne. On peut me frapper, je souris ; si l’on vous effleure, je souffre. Ce nuage est venu se mêler à ma joie du nouveau triomphe de mon cher Fanfan la Tulipe. C’est ma femme qui m’a écrit.

Je me dépêche de vous envoyer tout mon cœur. Je vous aime tant !

V.

Un mot de nos incidents. — Comment se fait-il que M. Lacroix n’ait averti personne[72] ? Maintenant que faire ? Blâmer tout haut, ce serait nuire. Il a pris là une grave responsabilité. — Du reste, si par suite, la vente en volumes faiblit, ce fléchissement ne sera que momentané.

Je pense en outre que tout le monde comprendra bien que cette publication en feuilletons n’est point une inconséquence de ma part ; d’abord que je n’y suis pour rien, c’est le fait de l’éditeur ; ensuite que la question pour moi, c’est que le livre soit préalablement publié en entier. Or il l’est.

Je vous écris tout ceci un peu au hasard, à travers le chagrin que j’ai s’il est vrai que je vous aie, bien involontairement, attristé. N’oubliez pas que vous êtes, avec quelques êtres chers, le fond même de mon cœur. Je vous prie de me pardonner ma bêtise, et je vous serre dans mes bras[73].


À Paul de Saint-Victor.


Hauteville-House, 4 avril 1866.

On écrirait un livre rien que pour vous faire écrire une page[74]. Ô frère de mon esprit, je vous salue et je vous remercie. Quand l’édifice est bâti, c’est vous qui mettez sur le faîte le drapeau de lumière. Vous créez sur une création ; vous êtes le magnifique explicateur ; vous écrivez le poëme du poëme, le mot du sphinx, le cri des profondeurs. Cette grande critique que vous faites est en même temps une grande philosophie ; elle marque dans notre temps comme une traînée de flamme au milieu de l’ombre. Vous êtes un des sauveurs de l’idéal. Cette gloire s’attachera à votre nom.

Ce qui échappe à la mer n’échappe pas à la femme ; tel est le sujet de ce livre, et comme vous l’avez compris ! et comme vous le faites comprendre ! Pour être aimé, Gilliatt fait tout, Ebenezer rien ; et c’est Ebenezer qui est aimé. Ebenezer a la beauté de l’âme et du corps, et avec ce double rayon il n’a qu’à paraître pour triompher. Gilliatt lui aussi a ces deux beautés, mais le masque du travail terrible est dessus. C’est de sa grandeur même que vient sa défaite.

Je me laisse aller à causer avec vous. Je viens de vous lire, et il me semble que c’est un dialogue entamé. Quand vous verrai-je ? Quand me sera-t-il donné de serrer cette main qui a écrit tant de pages superbes et profondes, et qui fait la critique chef-d’œuvre ! Dites-vous que vous êtes un des points d’appui du poëte solitaire. Une page de vous est un cordial. Il y a entre vous et moi un mystérieux va-et-vient d’âme à âme. Vous me dites : Courage ! et je vous dis : Merci !

Il me semble voir mes deux pôles marqués par vous dans vos deux articles sur Les Chansons des Rues et des Bois et sur Les Travailleurs de la Mer. Rien n’échappe à votre puissant esprit ; vous illuminez le diamètre entier d’une œuvre, et votre lampe-étoile, après avoir éclairé le sommet, reparaît au fond de l’abîme. Les deux dons suprêmes, incubation et rayonnement, vous les avez.

Je suis à vous du fond du cœur.

Victor Hugo[75].


À M. Mirambeau[76].


Hauteville House, 7 avril [1866].

Je suis, monsieur, ému jusqu’aux larmes de ce que vous m’écrivez ! Je bénis l’âme de ce doux être dans la lumière où elle est maintenant.

Mettez mon profond et douloureux attendrissement aux pieds de la pauvre mère.

Recevez mon sympathique serrement de main.

Victor Hugo[77].


À François-Victor[78].


H. H., 22 mars [1866].

Mon Victor, dis ceci à M. Lacroix (lis-lui ma lettre). En envoyant l’exemplaire à M. Hetzel, avec ma formule cordiale habituelle, je lui ai écrit pour le blâmer. J’ai blâmé vivement, et tout net, son recours aux tribunaux. Je lui ai déclaré que les démêlés privés entre honnêtes gens devaient toujours se résoudre devant des arbitres (en me récusant moi-même, bien entendu, car je n’ai pas le temps). Ce blâme est d’autant plus fort qu’il n’est accompagné d’aucune discourtoisie et qu’il vient avec l’envoi du livre. Dis donc de ma part à M. Lacroix qu’il se hâte d’envoyer le livre[79], avec le frontispice signé de moi, à M. Hetzel.

Autre chose : M. Claye n’a pas reçu son frontispice, ni M. Michelet, ni, (me dit-on), M. Victor Mangin (de là le silence bizarre et significatif du Phare de la Loire) ni, me dit-on encore, M. Frédéric Morin, etc., etc. De là des ennemis. La Librairie internationale paraît avoir fait ce travail avec négligence. Quelques personnes se seraient vantées d’avoir chipé des autographes de moi dans ce désordre. Qui ? Des passants. M. Albert Wolff raconte dans l’Événement avoir manié tous ces frontispices écrits de ma main. Cela est plus que fâcheux. Dis à M. Lacroix que je veux positivement avoir la liste des envois faits (le registre doit en garder note), et la liste bien exacte, afin de réparer les oublis. Prie-le en outre de répondre à ma question faite pour la troisième fois et restée sans réponse : pourquoi n’a-t-on pas pris propriété en aucun pays, ni pour le William Shakespeare , ni pour les Chansons des Rues et des Bois, ni pour Les Travailleurs de la Mer ?

Que signifie cette latitude laissée à la contrefaçon dans le présent et dans l’avenir ? Lis tout ceci à M. Lacroix, et demande réponse, mon doux et bien-aimé plénipotentiaire. Remets le mot ci-inclus à M. Van Wanbeke. Je prie ta bonne et chère mère d’envoyer ce pli à Mme  Bouclier dont j’ignore l’adresse. Elle a acheté le livre et me demande un frontispice. Je le lui envoie.

Ce que tu m’écris de ce livre m’enchante. Tu vois que j’avais raison de comparer le silence consterné de MM. Verboeckhoven et Lacroix devant Les Travailleurs de la Mer, au silence de feu Gosselin devant N.-D. de Paris. Les clabauderies contre les Ch. des R. et des B. avaient complètement démoralisé mes bons éditeurs. Oublions ce détail. — Paul[80] continue d’être très curieux à observer. — Ma famille, c’est vous, mes bien-aimés. Vous aimez ce livre. C’est mon succès. Tu as donc pleuré, mon Victor ! j’en suis content, mais je veux que tu ne pleures que comme cela. Mes plus tendres baisers à vos quatre fronts.

Sénat est superbe. Comment va madame Lux[81] ?
À Louis Boulanger.


Hauteville-House, 9 avril [1866].

Je ne suis pas absent, cher Louis, puisque j’ai toujours ma place dans votre cœur. Votre lettre me charme et m’émeut ; j’y sens notre jeunesse. Cette jeunesse, vous l’avez toujours. À petit enfant, jeune père, et votre enfant a six ans. Cette aurore se mêle gracieusement à vous-même, et vous en avez la lumière. Soyez heureux. Vous aimez mon livre, vous me le dites avec cette grande éloquence de l’artiste éminent, et cette douce cordialité du vieil ami.

J’ai sans cesse sous les yeux, dans ma masure d’exil, plusieurs œuvres fortes et éclatantes signées Louis Boulanger. Je les regarde, et je songe. — Où sont les roses d’antan ? — Vous êtes toujours mon peintre aimé, mon compagnon regretté, un de ces doux frères du commencement, plus précieux et plus chers encore à la fin.

Je me mets aux pieds de votre femme, cher Louis, et dans vos bras.


À Alfred Asseline.


H. H., 14 avril 1866.

Tu as tout bonnement écrit six pages exquises. La dernière est grande et belle. Tu fais dignement la forte explication du Moïse : « Tu es le génie et tu exprimes Dieu. » Cela est superbe. Et tout ce que tu dis de la langue et du style ! c’est neuf, vrai et savant. C’est de la haute critique, de la critique d’artiste et de poëte. Le poëte est le premier des critiques, de même qu’il est le premier des philosophes ; il sait le fond de l’art et la loi de l’idéal.

Quelle belle analyse tu fais des Travailleurs de la Mer, au triple point de vue sujet, composition et style. En quelques mots, tout est dit. Je fais bien mieux que te remercier, je te félicite.

Deux choses sous ce pli :

1° Un bon pour retirer chez Lacroix ton exemplaire.

2° Une première page signée de moi que tu feras coudre en tête du premier volume.

Et à bientôt et à toujours.

Siempre tuyo.

V. H.
À Madame Victor Hugo[83],
4, Place des Barricades.


H. H., 17 avril [1866].

Chère bien-aimée, ta bonne petite lettre à Julie vient de nous arriver. Nous l’avons lue avec attendrissement. Ton hémorrhagie est une bonne chose, et te fera grand bien ; c’est l’avis de Corbin à Guernesey comme de Laussedat à Bruxelles. Je suis sujet, moi aussi, aux hémorrhagies nasales, c’est-à-dire que je saigne du nez comme un bœuf. Cela me dégage la tête. Comme tu es gentille, et avec quelle grâce émue et douce tu parles de ce livre, et de son succès ! Mon succès à moi, c’est de vous voir tous. J’y pense, voici l’été, et j’espère que ce sera bientôt. Je travaille éperdûment. J’ai tant de choses à faire, et si peu d’années pour tant d’œuvres. Il serait maussade pour moi de m’en aller de la terre en emportant le secret de tant de créations ébauchées et à demi lumineuses déjà dans mon cerveau. De là mon travail acharné.

Je t’envoie sous ce pli une traite de 750 fr. à ton ordre sur Mallet frères. Cela paie la note de 724 fr. 15 envoyée par Victor (loyer 500 francs, pendule, etc.) le reliquat 25,85, ajouté aux 531 fr. 10 que tu as en compte porte la somme que tu as en compte à 556 fr. 95.

Ne te casse pas la tête à tous ces chiffres. Décharge-toi des comptes sur notre admirable et bon Victor, toujours prêt à se sacrifier aux petites choses comme aux grandes.

Et puis viens, que je te serre dans mes bras, ma bonne, noble et bien-aimée femme.

V.

Julie va très bien. Je la promène en voiture quand il fait beau.

Voici l’article de Kesler : Guernesey étoilé. Écris-moi là-dessus quatre lignes que je lui lirai, et qui le raviront[84].


À François-Victor[85].


H. H. mardi 17 avril [1866].

Quelles charmantes lettres que tes lettres, mon bien-aimé Victor ! Tu prévois tout, tu devines tout, tu dis tout. Tu as pour moi une sollicitude à la fois filiale et fraternelle. De mon côté, sais-tu quelle est, dans mon exemplaire des Travailleurs de la mer, la page que je regarde avec le plus de bonheur et avec le plus de complaisance, ce n’est pas une page du livre, c’est une page de la couverture, le verso du tome II. Je vois là se dresser ton monument, cette grande construction internationale qu’est la traduction de Shakespeare. Je songe, ému, aux jours où tu travaillais si vaillamment près de moi. L’hémorrhagie de ta mère me paraît une bonne chose. C’est aussi l’avis du Dr Corbin à qui j’en ai parlé. Il dit que cela dégage utilement le cerveau. J’ai moi aussi de fréquents saignements de nez, qui me font du bien. Je crois qu’il faut que ta bien-aimée mère mange un peu de viande rouge, et boive un peu de vin pur. Du reste Laussedat est un guide excellent. J’ai reçu, par Meurice, une lettre archi-instante de M. Marc Fournier, me demandant un drame, et acceptant d’avance mes conditions, quelles qu’elles soient. La pièce absolument adaptée au théâtre — et toute prête à jouer, — serait, à cette heure, impossible, vu la censure. J’ajourne donc forcément. Mais, le drame pouvant être représenté tôt ou tard, je crois meilleur d’en réserver la surprise au public, et je ne veux pas le publier. Je le garde donc sous six clefs[86].

Comme tu es le financier de la maison, ma prochaine lettre, mon Victor, te chargera d’une commission importante pour M. Coddron, agent de change. — J’envoie sous ce pli à ta mère une traite sur Mallet frères de 750 fr., payant ta note de 724,15 et laissant un reliquat de 25,85 à ajouter à la somme du compte.

J’ai écrit, par M. Verboeckhoven, à M. Gustave Frédérix pour le remercier de son excellentissime 2e article. Paul a enfin accouché du mot admirable livre. Il a dépassé remarquable, qui avait été son maximum.

À bientôt, mon Victor. Je t’envoie toutes les tendresses de toutes et les cordialités de tous. — À bientôt, mes quatre bien-aimés.

V.

Mme  Drouet me charge de t’embrasser bien tendrement. — Je viens de

recevoir une lettre enthousiaste de Paul de St Victor[87].
À Marc Fournier,
Directeur du Théâtre de la Porte-Saint-Martin.


Hauteville-House, 18 avril 1866.
Monsieur et cher confrère,

Votre honorable empressement me touche. J’y sens l’écrivain de talent, en même temps que le directeur-artiste. Je m’empresse de mon côté de vous répondre. Pour que le drame écrit par moi cet hiver pût être joué, il faudrait des conditions de liberté refusées en France à tous, et à moi plus qu’à personne. Je suis donc contraint d’ajourner. Du reste, ce drame est composé pour la représentation et complètement adapté à l’optique scénique. Mais, tout à fait jouable au point de vue de l’art, il l’est moins au point de vue de la censure. J’attends, et mon drame paraîtra le jour où la liberté reviendra.

Si, à cette époque-là, vous voulez bien encore vous souvenir de moi, nous pourrons reprendre cette conversation interrompue. Le théâtre de la Porte-Saint-Martin, que vous appelez si gracieusement « mon théâtre », m’est cher, et il n’est pas de scène où je rentrerais avec plus de plaisir.

Recevez, mon honorable et cher confrère, avec l’expression de mon regret actuel, l’assurance de ma vive cordialité.

Victor Hugo.


À Don Wenceslas Ayguals de Izco[88].


Monsieur,

J’ai lu vos nobles vers[89], j’ai lu les nobles paroles qui les précèdent et que vous voulez bien m’adresser.

Je vous remercie, je vous applaudis, je vous estime.

Courage ! Vous êtes un digne espagnol, ce qui est beaucoup ; et vous êtes un digne citoyen, ce qui est plus encore.

Si quelque chose passe avant la patrie, c’est la liberté.

Le double amour de la liberté et de la patrie est dans votre éloquent poëme, cette double inspiration, c’est toute votre âme.

Vous flétrissez généreusement les actes odieux de la Force ; vous proclamez énergiquement les Droits augustes de la vie humaine.

Élevez la voix, ne vous découragez pas, la Force vraie est en vous, c’est la pensée.

Les hommes de la tyrannie ne sont rien devant les hommes de l’idéal.

L’idéal, tel est le but du progrès, tel est le faîte de la civilisation.

J’aime profondément l’Espagne, je suis presque un de ses fils, et c’est une joie pour moi de la voir, cette grande et illustre Espagne, conduite par des nobles esprits tels que vous, marcher de plus en plus vers la lumière.

Élimination et formation ; c’est la loi du monde.

Sous les tyrannies qui s’éliminent, l’Europe se forme.

Soyons européens.

C’est le commencement de la fraternité universelle.

Poëte, philosophe, homme ! Je suis avec vous.

Votre Droit vous donne une fonction, votre talent vous donne une mission.

Marchez, vous vaincrez.

Victor Hugo.
Hauteville-House, le 20 avril 1866[90].


À Jean Aicard[91].


Hauteville-House, 20 avril 1866.

Quel hasard étrange, monsieur. Je reçois aujourd’hui 20 avril votre lettre du 7 février, avec vos vers doux, profonds, attendris. J’y retrouve la haute conscience et le style charmant et vrai de votre article sur les Travailleurs de la mer. Je vous savais critique, et critique supérieur ; je vous salue maintenant poëte. Poëte dans la grande acception du mot, ayant des ailes pour porter haut son hymne, ayant une âme pour porter haut son cœur.

Je vous serre la main, ému.

Victor Hugo[92].


À Monsieur Alphonse Lemerre,
47, Passage Choiseul.
Pour remettre à Monsieur Paul Verlaine[93].


H. H., 22 avril [1866].

Une des joies de ma solitude, c’est, monsieur, de voir se lever en France, dans ce grand dix-neuvième siècle, une jeune aube de vraie poésie. Toutes les promesses de progrès sont tenues, et l’arc est plus rayonnant que jamais. Je vous remercie de me faire lire votre livre[94]. Ubi spiritus ibi porta. Certes, vous avez le souffle. Vous avez le vers large et l’esprit inspiré. Salut à votre succès. — Je vous serre la main.

Victor Hugo[95].


À Monsieur Cuvillier-Fleury.


Hauteville-House, 30 avril 1866.
Monsieur et cher confrère,

Je me sens, de toutes les manières, si profondément absent de l’Académie, qu’il m’est impossible de ne pas être touché chaque fois qu’un de mes confrères veut bien avoir l’air de croire que j’en suis[96]. L’exil a créé l’académicien in partibus ; je suis cet académicien-là. Mais l’exil n’a pu m’ôter mes vieux souvenirs et mes vieilles cordialités. Vous savez, mon honorable et cher confrère, quelle place vous y avez.

Il y a entre vous et moi, et je le regrette, plus d’un dissentiment ; mais nous sommes d’accord en ceci que nous avons, vous et moi, notre conscience pour guide, et la liberté pour but.

Conscience, liberté ; toute la dignité de la vie est là. Nous pouvons donc, à l’Académie et partout, échanger cordialement un serrement de main.

Victor Hugo.

Voulez-vous être assez bon pour mettre mes empressements respectueux

aux pieds de madame Cuvillier-Fleury[97].
À Lacaussade.


Hauteville-House, 20 mai 1866.

Monsieur, je connaissais en vous et j’appréciais hautement le poëte ; vous me révélez le critique. L’un est digne de l’autre. On sent en vous la pratique du grand art. Je viens de lire votre belle et profonde étude sur mon œuvre lyrique[98]. Je suis charmé, touché et par moment ému jusqu’au ravissement de tant de hautes qualités de philosophe et d’artiste déployées par vous dans ces quelques pages.

Vous avez les deux qualités sans lesquelles il n’est pas d’esprit complet, c’est-à-dire le sentiment contemporain et le goût éternel ; vous comprenez le dix-neuvième siècle et vous comprenez l’idéal. De là votre puissance de critique et votre pénétration d’artiste.

On parle beaucoup de goût aujourd’hui et ceux qui en parlent le plus sont ceux qui en ont le moins ; ils s’absorbent dans un goût local et passager, le goût français au dix-septième siècle, et ils méconnaissent ce que je viens d’appeler le goût éternel.

Ainsi, au nom de Boileau, ils châtient Horace, et au nom de Racine, ils nient Eschyle. Ramener la littérature de ce goût faux au goût vrai, qui va d’Aristophane à Shakespeare et de Dante à Molière, c’est la fonction d’un esprit tel que le vôtre. Qui dit fonction dit mission, et qui dit mission dit devoir.

Continuez votre grand travail dans le sens de l’idéal. Je vous remercie pour moi et je vous applaudis pour tous.


À Monsieur Boué de Villiers.


H. H. Dim. 22 mai [1866].

Je ne suis pas plus ruiné aujourd’hui que je n’étais aveugle il y a trois mois[99]. Grâce aux quatre ou cinq drôles qui mènent le monde, la guerre prend sur toutes les fortunes, et la baisse est si énorme que, moi simple particulier, au cas où j’eusse voulu réaliser il y a quinze jours, j’eusse perdu au moins 120 000 fr., et cela sur les meilleurs fonds de l’Europe, la Banque nationale belge et les consolidés anglais. Mais pourquoi réaliser ? Vous savez ma manière. J’attends. Cela remonte en ce moment. Cela retombera encore bien plus bas, si la guerre éclate, et alors, je pourrai bien être un peu ruiné, comme tout le monde. L’Europe est un navire et le naufrage se fait en commun.

Donc calme profond dans mon âme.

Mais je plains ces pauvres bêtes de peuples. Comme ils se laissent faire, et qu’il leur serait facile d’être heureux ! Pouvoir n’est rien sans vouloir ; vouloir n’est rien sans savoir. Éclairons-les.

Cher proscrit, vous avez mis dans votre lettre votre grande intelligence et votre généreux cœur. Merci.

V. H.[100]


À Madame Victor Hugo[101].


H. H. 25 mai [1866] mercredi 4 h.

Ta lettre, chère amie, m’arrive trop tard, vu la tempête, pour que je t’envoie aujourd’hui l’argent d’Adèle. La banque ferme à trois heures. Je comptais te l’envoyer avec l’argent du mois prochain, en recevant ton compte. Mais puisque tu le désires tout de suite, je te l’enverrai par le courrier de lundi matin.

Julie va tout à fait bien, et je lui accorderai du reste toutes les vacances qu’elle désirera près de son mari ou de Clémentine (non à Bruxelles, ne pouvant augmenter mes charges) mais je serai forcé de rester ici le temps de son absence. La banque ne reçoit que des dépôts d’argent, espèces, pouvant entrer dans son coffre-fort, et tu ne te rends pas compte de ce que c’est que mes manuscrits. Sans compter ce qui est dans les armoires, ils remplissent trois malles, dont une énorme, qui ne tiendraient pas dans le coffre-fort de la banque de Guernesey. Voulût-on (ce qui est impossible) les y admettre, on ne pourrait les y mettre. Il faut donc quelqu’un de garde. Ce sera moi, si ce n’est Julie. Elle a écrit à son mari pour qu’il la reçoive à Paris. Je lui ai dit d’y rester tout le temps qui leur plaira, et que je l’attendrais ici. Mais certainement, il faut nous réunir ! Est-ce donc que vous avez abandonné notre plan, l’été a Guernesey, l’hiver à Bruxelles, tous ensemble ? Victor est une préoccupation douloureuse dans ce doux arrangement[102]. Je ne veux pas qu’il souffre. Sans lui, je vous dirais : venez ici passer l’été, laissons s’éloigner la guerre et le choléra ; puis en novembre, nous partirons tous pour Bruxelles, et je m’engage à y rester jusqu’en février, ou même mars. Mais mon bien-aimé Victor est l’obstacle, je le sens. C’est pourquoi je vais aller vous rejoindre, dès que la question Julie sera décidée, si elle part, à son retour, si elle reste, le plus tôt possible. J’achève quelque chose en ce moment, mais ce sera vite fini. Chère bien-aimée, je t’embrasse, et j’embrasse autour de toi mon Charles, mon Victor, et cette douce et chère Alice.

Félicite notre excellent et cher ami G. Frédérix de ce mot profond : Ne pas confondre ceux qui méprisent l’humanité avec ceux qui la connaissent. Transmets-lui mon bravo[103].


À Madame Victor Hugo[104].


Samedi 26. H. H. [mai 1866].

Contre temps. La banque est fermée. Fête de la queen. Je ne pourrai t’envoyer l’argent d’Adèle que lundi, et au lieu de mardi soir, tu le recevras mercredi soir. Retard de vingt-quatre heures. Est-ce assez bête ce ricochet de la monarchie contre les démagogues ? Que dis-tu de cet infiniment petit guignon ?

Chère bien-aimée, je t’embrasse tendrement, et vous autres aussi, qui êtes trois morceaux de mon âme. Je sais que Charles et Alice s’adorent. Je bénis cette adoration. Qu’on soit heureux, voilà mon exigence.

Dimanche (confidentiel). M. Rascol, que Victor connaît, est en ce moment à Guernesey. Il a une librairie à Londres. Il me raconte avoir vendu depuis 1863 les Châtiments en quantité considérable. Ces Châtiments lui sont fournis par M. Lacroix, et m’appartiennent. Ils proviennent de la restitution Tarride et je les ai mis en dépôt chez Lacroix. M. Rascol les vend 5 francs, et autant qu’il en veut, dit-il. Depuis trois ans, M. Lacroix ne m’a rendu de cela aucun compte. Je voudrais qu’il me fît ce règlement à mon arrivée à Bruxelles. Je regrette qu’il n’en ait pas pris l’initiative. Enfin, s’il me rend bon compte, tout sera bien. Voici un mot pour lui que vous pouvez lire, et que je vous prie de lui remettre.

Je pense que le prochain courrier m’apportera des réponses aux questions, envoyées pour la quatrième fois.

Tu me reproches, chère amie, quelque sévérité pour M. Lacroix, je n’en ai aucune, mais j’ai bien quelques griefs. Toi-même me les signalais cet hiver. Je ne demande pas mieux que de les oublier, s’il les répare.

Tendre embrassement pour finir comme pour commencer.

Julie continue d’aller très bien. Elle vient de recevoir une lettre de son mari qui élude sa présence[105].


À Michelet.


H. H., 27 mai [1866].

… Votre Louis XV est un de vos plus beaux livres. Ce roi gisait, pourri. Vous êtes venu, résurrecteur. Vous avez dit à ce cadavre : debout ! et vous avez remis dedans son âme horrible. Maintenant il marche, et il fait peur. Et, avec le règne, vous avez peint le siècle, l’un petit, l’autre grand. Le miasme du passé et le souffle de l’avenir sont dans votre livre ; de là sa menace et sa promesse ; de là l’enseignement.

Je vous remercie ; je ne suis rien que le témoin du dix-neuvième siècle. Je me rends cette justice que je comprends toutes les œuvres de cette grande époque où vous avez une place si haute. Cette sympathie que je me sens pour mon temps et pour ses hommes est toute ma fierté, et à peu près toute ma joie. Cher historien, cher philosophe, je presse votre main et je salue votre lumière.


Au général Garibaldi.


Hauteville-House, 17 juin 1866.
Mon illustre ami,

Le sang va couler, le glorieux sang italien. Vous aurez besoin, dans vos ambulances, de volontaires, de chirurgiens et de guérisseurs. En voici un, M. St-Yves, fils d’un médecin distingué de Paris, et médecin lui-même.

M. St-Yves est très savant, quoique poëte, et très poëte, quoique savant ; ces qualités ne s’excluent point. En outre, il est brave, et il est soldat ; mais soldat d’une espèce précieuse en ce qu’il pourra guérir les blessures qu’il fera. Je vous le recommande, mon cher Garibaldi, et je serre, dans toute l’émotion joyeuse de votre victoire certaine, vos puissantes et vaillantes mains.

Victor Hugo[106].
À Jean Aicard[107].


Hauteville-House, 18 juin [1866].

Jeanne d’Arc (je lui maintiens cette belle orthographe de guerrière) vous a noblement inspiré. Vous nous faites traverser avec elle les livides lueurs de l’orage des armes.

Pour ces traits puissants, aucun historien ne vaut le poëte. Vos strophes émues chantent et pleurent.

Je vous remercie comme citoyen, je vous applaudis comme poëte.

Victor Hugo.

Je pars. Je serai à Bruxelles fin juin[108].


À Georges Métivier.


Hauteville-House, 18 juin 1866.

Je viens de lire, cher monsieur Métivier, les épreuves que vous avez bien voulu m’envoyer. Votre honorable lettre me touche vivement. Il n’y a pour moi que deux poëtes, le poëte universel et le poëte local. L’un incarne l’idée « Humanité », l’autre représente l’idée « Patrie ».

Ces idées sont jointes. Homère a été l’un, Burns[109] a été l’autre.

Quelquefois, la patrie c’est le clocher, le village, le champ ; c’est la charrue ou la barque, toutes deux nourrices de l’homme. L’idée « Patrie », ramenée ainsi à son rudiment, se restreint sans l’amoindrir ; pour être moins auguste, elle n’est pas moins touchante, et ce qu’elle perd en majesté, elle le regagne en douceur.

C’est ce clocher natal, c’est ce mélancolique et profond champ des aïeux, c’est ce foyer sacré de la famille que je retrouve dans vos vers si savants dans leur naïveté, si gracieux dans leur rudesse.

Vous parlez avec un charme pénétrant de la bonne vieille langue normande. Je félicite votre pays de vous avoir. Ce que Burns a été pour l’Écosse, vous l’êtes pour Guernesey.

Votre pays est fier de vous et il a raison. Il donne à de plus grandes patries un noble exemple ; il vous couronne vivant. Il n’attend pas que vous soyez mort pour vous honorer. Vous êtes son esprit, vous êtes sa lumière ; il le sait et il vous salue. Une souscription locale, et que je n’hésite pas à appeler nationale, fait les frais de la publication de vos œuvres. C’est bien. C’est juste.

Guernesey fait là une digne et bonne chose, et je l’en glorifie.

Vous désirez gracieusement que je constate par un témoignage public, cette manifestation de vos compatriotes, et dans cette sorte de fête, donnée par votre patrie à votre esprit, vous voulez bien réclamer ma présence. Hélas ! je ne suis qu’un passant, et celui qui est absent de son pays ne peut être présent nulle part ; il est ombre. Toutefois, vous insistez. C’est à vos yeux « une faveur » et vous voulez bien me prier de vous « l’accorder ». Je vous l’accorde et je vous remercie.

Victor Hugo[110].



À Théodore de Banville.


Bruxelles, 27 juin [1866].

Mon poëte, vous avez un grand succès. Comme on sait que j’aime les bonnes nouvelles, c’est la première chose qu’on me dit au débotté. J’arrive, je quitte momentanément Guernesey pour Bruxelles, de Celte je deviens Welche, c’est un progrès ; les Welches sont plus libres penseurs que les Celtes, et ici je suis plus près de la France. Me voilà donc en Belgique pour trois mois. Après quoi, je reprendrai mon vol vers mon écueil en pleine mer. Vous verrai-je ? ce serait une grande joie. — En attendant, je vous applaudis. Votre Pierre Gringoire[111] a, je le sais, tout ce qui fait l’œuvre accomplie. Vous avez, c’est-à-dire, nous avons, une comédie de plus. Le grand persécuté de notre époque, l’idéal, est le bienvenu chez vous. Vous êtes le poëte doublé de l’artiste. Bravo donc à votre style, à votre verve, à votre grâce, à votre philosophie masquée de fantaisie et de gaîté ! Je suis heureux de votre triomphe ; je n’en suis pas jaloux. Que voulez-vous ? je suis une ganache, je ne suis plus de mon temps, j’ai toujours cette vieille faiblesse d’aimer mes amis.

Notre bon et charmant Méry est donc mort ! — Je ne consens pas à

désespérer de Baudelaire[112]. Qui sait ? Flamma tenax.
À Théodore de Banville.


Bruxelles, 17 juillet 1866.

Je viens de lire Gringoire. Vous nous avez fait une œuvre exquise, profondément triste et profondément gaie, comme toute vraie comédie. C’est le sanglot du poëte à travers le rire du philosophe. C’est la destinée humaine soulignée par l’art idéal. Votre Louis XI fait frémir et sourire, et quelle charmante figure de femme entre le roi, ce spectre, et le poëte, cette ombre ! Vos deux ballades sont belles et poignantes.

Je vous remercie, mon poëte, de tous les services que vous rendez à l’idéal. Continuez-moi ce bonheur de vous voir réussir. Merci pour mon nom à côté du vôtre.

Muchissimas gracias, y no olvides que tuyo soy.

Victor Hugo.


À Auguste Vacquerie[113]


Bruxelles, 19 juillet [1866].

C’est moi aujourd’hui, cher Auguste, qui vous donne des nouvelles de tout notre goum. Ma femme a un peu de trouble aux yeux, petite recrudescence sans gravité, mais qui veut du ménagement. Émile Allix va venir passer avec nous quelques jours, et déjà la pensée du médecin diminue le mal. La voici mieux. Pourtant je la remplace, et j’envoie toutes nos tendresses à Villequier, à la maison où vous êtes, et au tombeau où ils sont. Quand vous irez, parlez-leur un peu de moi. — J’aime tout ce que vous aimez ; j’aime tout ce qui vous a pour âme, depuis votre famille jusqu’à votre drame. N’oubliez pas de nous apporter Louis Berteau ; je compte bien que la première représentation s’en fera à Bruxelles, avec vous pour acteur et nous pour public. Le succès de Paris viendra après le succès d’ici. À bientôt cette fête, n’est-ce pas ?

À Alfred Asseline[115].


Bruxelles, 27 juillet 1866.

Je suis en voyage, mon cher Alfred, et toi aussi. Je ne sais où t’adresser ma lettre. T’arrivera-t-elle ? La tienne pourtant m’est parvenue. Mais pas un des journaux de Jersey dont tu me parles. Ton apostrophe à Calcraft[116] est d’une haute et ironique éloquence. On ne peut rien faire de mieux. Tu me fais appel, mais je ne sais pas le premier mot de cette lugubre affaire Bradley[117]. Et puis, hélas ! que dire ? Bradley n’est qu’un détail ; son supplice se perd dans le grand supplice universel. La civilisation est sur le chevalet. En Angleterre on rétablit la fusillade, en Russie la torture, en Allemagne le banditisme. À Paris, abaissement de la conscience politique, de la conscience littéraire, de la conscience philosophique. La guillotine française travaille de façon à piquer d’honneur le gibet anglais.

Partout le progrès est remis en question. Partout la liberté est reniée, partout l’idéal est insulté. Partout la réaction prospère sous ses divers pseudonymes : Bon ordre, bon goût, bon sens, bonnes lois, mots qui sont des mensonges.

Jersey, la petite île, était en avant des grands peuples. Elle était libre, honnête, intelligente, humaine. Il paraît que Jersey, voyant que le monde recule, tient à reculer, elle aussi. Paris a décapité Philippe, Jersey va pendre Bradley. Émulation en sens inverse du progrès.

Jersey affirmait le progrès ; Jersey va affirmer la réaction. Le 10 août, fête dans l’île : on étranglera un homme.

Jersey tient à avoir, comme un roi de Prusse ou comme un czar de Russie, son accès de férocité. Ô pauvre petit coin de terre!

Quel démenti à Dieu qui a tant fait pour ce charmant pays ! Quelle ingratitude envers cette douce, sereine et bienfaisante nature ! Un gibet à Jersey ! hélas, qui est heureux devrait être clément. J’aime Jersey, je suis navré.

Publie ma lettre si tu veux, et si tu le peux ; car c’est difficile. Tout aujourd’hui s’efforce d’étouffer la lumière. Ne nous lassons pas cependant ; et, si le présent est sourd, jetons dans l’avenir qui nous entendra les protestations de la vérité et de l’humanité contre l’horrible nuit.

Ton vieil ami
Victor Hugo[118].


À Émile de Girardin[119].


Bruxelles, 4 août [1866].

Cher grand penseur vous souvenez-vous toujours un peu de moi ? J’aurais besoin que vous ne m’eussiez pas tout à fait oublié, car j’ai un ami à vous recommander. M. Luthereau est un ancien imprimeur, artiste, écrivain, et journaliste. C’est un esprit élevé en même temps qu’un esprit spécial. À ce double titre, il vous intéressera. Votre Liberté a, je le sais, un succès inouï et mérité. Vous ne pouvez toucher à rien, sans y jeter la vie. Vous êtes né créateur. La haute originalité de votre intelligence donne à tous l’impulsion et la nouveauté. De là cette puissance sortie de vos mains, La Presse il y a trente ans, La Liberté aujourd’hui.

Je viens vous faire une question. Toutes les places sont-elles prises à La Liberté ?Si elles ne sont pas toutes occupées, M. Luthereau pourrait, je crois, vous être utile. Vous avez adopté des divisions excellentes, monde scientifique, monde littéraire, monde anecdotique, etc. Que diriez-vous si je vous indiquais une lacune : monde industriel ? Ce n’est certes pas un oubli, car votre esprit embrasse et combine tout. Est-ce l’absence d’un homme spécial ? En ce cas, j’appellerai votre attention sur M. Luthereau. Il a dirigé une imprimerie, il a rédigé le journal La Célébrité, il sait à fond toutes ces questions qui, au point de vue des intérêts généraux, se rattachent à l’industrie. C’est la probité servie par l’intelligence ; c’est le talent, plus le zèle. La presse politique s’occupe peut-être trop peu des intérêts matériels ; il y a beaucoup à faire dans cette région dans le sens de la démocratie et du progrès. Toute une catégorie très nombreuse de producteurs se rallierait au monde de lecteurs qui vous entoure déjà. Vous seriez l’écho de l’industrie comme vous êtes l’écho de la liberté.

Je n’insiste pas. Je connais votre puissance d’intuition et d’initiative. Ce que vous ferez sera bien fait. Je me borne, dans le cas où l’idée vous paraîtrait valoir la peine d’être essayée, à appeler votre attention sur M. Luthereau, digne et capable à tous les égards d’en mener à bien l’exécution.

Tenero duce.

Et puis, je suis heureux d’avoir une occasion de plus de vous dire que je suis profondément et cordialement votre ami.

Victor Hugo[120].


À Théodore de Banville.


Bruxelles, 8 août [1866].

Ô mon cher poëte, que de choses belles et que de choses charmantes ![121] Pas une page qui n’étincelle. Pas un mot qui ne chante et qui ne pense. Car chanter, c’est penser. L’Hymne, c’est le Verbe. Je l’ai, votre livre, cette eau vive si douce au cœur des misérables ; j’y bois, car j’ai souffert, et je suis altéré. J’ai soif. Gloire à vous, poëtes, irrigui fontes !

Vous êtes, vous, une des plus pures et des plus exquises sources, et vos gouttes d’eau sont des perles, et vos perles sont des larmes, et vos larmes sont ma joie. Tel est le poëte. C’est avec sa douleur qu’il console. On touche sa plaie et l’on est guéri. La magnifique poésie du dix-neuvième siècle, fille de la Révolution et de la liberté éternelle, met sur votre tête nue une de ses plus belles couronnes.

Je vous embrasse, ô doux poëte des poëtes, ô exilé idéal, ami des Dantes et des Homères. Vous avez tous les torts du cygne ; vous chantez comme lui, mais vous ne mourez pas.

À Alfred Asseline.


Bruxelles, 9 août [1866].

Mon cher Alfred, j’ai le cœur serré en pensant à cette horrible exécution de demain, dans notre Jersey. La lettre que je t’ai écrite a paru dans une foule de journaux, belges, anglais, allemands, etc., mais, hélas, n’empêchera rien. Tu t’es expliqué pourquoi ce que je te disais de ta belle lettre à Calcraft n’est pas dans mon texte publié. Tu avais écrit à Victor que pour des raisons diverses, tu renonçais à publier ton apostrophe au bourreau. De là la suppression faite. Depuis, j’ai lu ta lettre dans La Gazette de Guernesey, et j’ai regretté le retranchement.

À bientôt. Dans six semaines, je serai à Hauteville-House. Il y aura un crêpe sur Jersey. Tous ici, nous vous aimons tous là-bas.

Tuus.

V. H.[122]

Si M. Paul de Saint-Victor est encore à Trouville, je salue ce noble esprit et ce grand talent. Dis-le-lui[123].


À George Sand.


Bruxelles, 14 août 1866.

Le bruit de votre illustre nom m’arrive toujours, quoique, devenu solitaire chronique (ce qui finit par être une surdité), je ne sache plus rien de ce qui se passe. L’idée du Don Juan de Village[124] est haute et profonde, comme tout ce qui vient de votre grand esprit. L’immuabilité de l’éternel fond humain, le cœur partout identique à lui-même, la corruption de la ville accentuée par la sauvagerie du village, le vice poussant dans l’herbe aussi bien qu’entre les pavés, don Juan paysan, cela est vrai de la grande vérité qui est en même temps la grande originalité. Et ce vice dompté par l’amour, ce tigre sur le dos duquel saute l’enfant ailé, le plus doux et le plus puissant des belluaires, c’est encore là de la grandeur charmante, de la grandeur digne de vous, madame.

Regardez à vos pieds. Vous y verrez mon admiration.

Victor Hugo.[125]
À Jules Claretie[126],
un des rédacteurs deL’Événement,
5, rue du Coq-Héron.


Bruxelles, 31 août [1866].

Monsieur, je vous remercie de m’avoir fait lire vos belles pages sur la guerre[127] et votre livre pathétique et émouvant[128]. Un souffle de progrès vivifie votre généreux esprit. Un drame poignant n’est qu’un drame ; si de hautes idées humaines et sociales y sont mêlées, c’est une œuvre. Voilà ce que vous avez fait, cher et noble écrivain.

Vous êtes digne de combattre la réaction favorisée par l’empire, et reparaissant aujourd’hui, en littérature comme en politique, sous tous ses pseudonymes, bon ordre, bon goût, etc., mots qui sont des mensonges. Ceci que je souligne, récemment écrit par moi, a fait grincer de colère tous les journaux absolutistes belges, anglais, etc. C’est un succès qui m’encourage, et qui vous encouragera aussi. Continuez. Vous êtes une âme vaillante en même temps qu’un charmant esprit. Je suis heureux de vous avoir l’autre jour serré la main dans ma maison, et je vous envoie mon remerciement dans un applaudissement.

Victor Hugo[129].


À Madame Chenay.


Chaudfontaine, 3 septembre [1866].

Tes lettres, chère Julie, nous sont bien arrivées. Ma femme en ce moment ne peut ni lire ni écrire ; mais nous l’entourons, et nous suppléons à ses yeux. Je l’ai amenée ici, parce que le paysage est un rideau vert. L’été, fournaise partout, est ici une simple étuve. On n’y rôtit pas, on y fond. C’est plus doux. Ma femme se trouve bien de cette buée chaude et de cette ombre fraîche. Elle a toute une forêt pour abat-jour.

Nous serons à Bruxelles vers le 10 septembre, et, si l’équinoxe ne s’y oppose pas trop, je compte être fin septembre et même plus tôt à Guernesey. Il est grand temps que je me remette au travail. Tout le monde est bien ici ; moi, mes spasmes nocturnes m’ont un peu repris, mais je n’en parle pas à ma famille qui s’inquiéterait, et il n’y a pas de quoi. Une simple friction à propos dissipe le symptôme. Je t’envoie les tendresses de tous ceux dont tes lettres nous parlent, plus le joli petit sourire du citoyen Georges. Victor est à Spa. Je t’embrasse sur les deux joues, chère Julie.

Ton frère.


À Jules Claretie[130].


Bruxelles, 17 7bre [1866].

Mon jeune et gracieux confrère, aucune conscience et aucune vérité dans mes biographes jusqu’ici, Rabbe excepté, dans le Dictionnaire Boisgelin (très ancien, 1828). M. Vapereau, faux républicain estampillé, m’est hostile, ce qui n’est rien, et fort inexact, ce qui est quelque chose. Du reste, j’eusse été bien ravi de causer avec vous. Je compte sur votre venue à mon rocher de Guernesey. Hauteville-House pavoisera pour votre arrivée. J’y serai en octobre.

Vous êtes un noble esprit et un beau talent, compétent en style, en art, en conscience, en idéal, je suis heureux d’être entre vos mains[131].

À vous. Ex imo.

Victor Hugo.

Serrement de main à M. Bertall, que j’ai été charmé de connaître[132].


À Paul Meurice.


Bruxelles, 24 septembre.

Les pourparlers ont eu lieu[133] dans les meilleurs termes, avec complète adhésion aux divisions excellentes indiquées par vous. Il a paru qu’il serait Abon même d’en faire dans le livre trois faux-titres. Je me rallie à tout ce que vous trouvez vrai, et il me semble, tant c’est juste, que c’est ma propre pensée exprimée par vous. Il est évident qu’une de mes prédestinations était d’être votre ami, car c’est une espèce de loi pour moi de toujours approuver quand vous parlez, de même que de toujours applaudir quand vous écrivez. Je ne pourrais faire autrement. C’est ma nature qui est ainsi.

Envoyez-moi, dès que vous pourrez, la table, ou le tableau, du livre. Cela me sera utile pour ce que j’ai à écrire. J’ai promis cela pour le 15 décembre. Je vais repartir bientôt pour Guernesey. Quand vous reverrai-je ? Il est triste d’être absent de ce Paris que vous allez remplir cet hiver d’un bruit de gloire et de succès.

Je vous envoie les effusions de tous et de toutes.

À vous profondément.


À Paul Meurice.


18 octobre.

Me voici de retour. J’ai reçu votre douce lettre. Mon porte-monnaie est tellement à sec que j’attends avec quelque impatience la rentrée de ce bon M. Nicolet. Espérons que, grâce à lui, mon droit ira de plus en plus fort. Je ris, quoique ou parce que n’ayant pas le sou. — Voudrez-vous être assez bon pour transmettre ma réponse (ci-jointe) à notre excellent et gracieux ami M. Ph. Burty. Je dis non[135] et j’ai la conscience que vous m’approuvez. Il y a péril déjà à être une sorte de tête de colonne dans ce livre-Légion créé par vous. L’attitude la plus simple est la meilleure. M. Burty me comprendra, et n’insistera pas. Je n’en suis pas moins fort chatouillé dans ma vanité qu’il ait cru un croquis de moi présentable en si grande compagnie.

À quand votre drame, votre succès et ma joie ?

V.

J’attends toujours la table du livre Paris. Je n’aimerais point l’addition au titre que je vois dans les journaux : Par ses illustrations. On ne se dit point ces

choses-là à soi-même. C’est votre avis, n’est-ce pas ?[136]
À Monsieur Lozes-Préval.


H.-H., 18 octobre 1866.

J’ai été absent, et votre lettre me parvient seulement aujourd’hui. Vos vers sont un noble effort en faveur d’une noble cause qui est la cause même de l’humanité[137]. Je vous remercie de vouloir bien me dédier cette scène pathétique, et j’en autorise, monsieur, dans les termes que vous m’indiquez, la représentation, à cette seule condition que le théâtre donnera aux pauvres ma part d’auteur, fixée comme vous et le directeur du théâtre le jugerez convenable.

Croyez à mes sympathies et à mes vœux sincères pour que votre succès égale votre talent[138].


À Madame Victor Hugo[139].


H.-H., jeudi 25 [octobre 1866].

Je commence par t’embrasser sur les deux yeux — ça les guérira — pour la bonne nouvelle. Tu vas nous arriver. Bravo ! accours vite. Hauteville va se pavoiser. — Le ravitaillement de 4 ou 5 mille francs annoncé par Meurice pour octobre n’est pas venu. Je compte qu’il viendra en novembre sans quoi je serais fort embarrassé, et il faudrait aviser.

En attendant, je gratte le fond de mon tiroir et je t’envoie en une traite à ton ordre sur Mallet frères : 900

Sur lesquels le reliquat dû : 109

Redû à Adèle pour octobre : 100

209 francs.

Ces 209 francs défalqués des 900 francs il reste des 900 francs 691 francs sur lesquels tu prélèveras l’argent nécessaire pour ton voyage (le plus court possible), et tu remettras le surplus en compte pour la dépense de la maison de la place des Barricades à celui de nos chers enfants que tu choisis pour faire ton intérim. Recommande-lui l’économie. De notre côté, nous en ferons ici, car nous avons un déficit à combler. Je doute que mon livre puisse être fini à temps pour paraître en 1867. Je travaille à force. Arrive, chère bien-aimée.

Je vous serre tous quatre dans mes bras[140].


À Auguste Vacquerie[141].


Hauteville-House, 4 9bre [1866].

Vous êtes un maître, et tous les pas que vous faites sont de grands pas. Je n’ai appris qu’hier votre succès[142], et vous même ne saurez ma joie qu’après-demain mardi, ce mois de novembre nous joue le mauvais tour d’espacer la poste. Comme je vous l’avais prédit, vous avez vaincu, et vaincu avec d’autant plus de gloire que l’ennemi a voulu lutter. Votre œuvre magistrale en a eu aisément raison ; vous avez battu la coterie imbécile avec le grand style, la grande émotion et la grande philosophie. Tout est dans votre drame, le pathétique puissant et l’enseignement profond. Triomphez donc. Vous êtes un de ces lumineux esprits que les hautes cimes réclament et à qui les coups de foudre font fête. Là est l’impuissance de la haine, le bruit qu’elle fait s’ajoute à la gloire ; votre théâtre, cher Auguste, agrandi d’année en année par votre fier travail, sera un des rayonnements de notre siècle. Il brûlera quand seront éteints et oubliés tous ces petits grands succès du quart d’heure. Vous êtes un chef d’âmes.

Continuez, mon ami, cette hautaine et puissante marche en avant. Semez les idées et recueillez la gloire. Je suis à vous, je vous applaudis, et je vous aime.

Victor H.

Ma femme va nous arriver. Quelle excellente idée vous auriez de l’accompagner jusqu’ici, et d’apporter dans mon hiver et dans ma nuit votre lumière de triomphateur.

Tâchez ![143]
À Paul Meurice.


H.-H., 14 novembre 1866.

Voulez-vous me donner votre avis souverain ? On m’assure que je devrais adhérer à la Société dont voici les statuts, et que je perds annuellement un assez fort droit d’auteur (sociétés orphéoniques, concerts, etc.) qui me serait payé, si j’étais de cette société. J’ai donné cette branche de mon droit d’auteur à mes pauvres petits commensaux du jeudi, et ils en profiteraient. Qu’en pensez-vous ? Voyez-vous inconvénient à ce que je me fasse admettre dans cette association ? Il me semble qu’il n’y a que des avantages. Soyez assez bon pour lire les statuts.

À propos de musique, Guernesey sans le sou tire lâchement la langue après l’argent que lui doit le Théâtre Italien. Quand donc plaira-t-il à maître Nicolet de faire financer maître Bagier? Adjuva, nos.

Autre desideratum. Je n’ai nulle nouvelle du livre Paris. M. Lacroix devait m’envoyer la table, ou le tableau, du livre. Nous voici au 14 novembre, rien. Savez-vous où en est la chose, vous qui avez créé l’idée ? M. Lacroix était très pressé de mon speech d’introduction ; il le voulait avant le1er décembre. Il me laisse sans renseignement. Le retard sera sa faute. Voulez-vous être assez bon pour le lui faire dire ? Ici encore adjuva nos.

Je vous envoie mon plus tendre shake hand.


À Émile de Girardin.


Hauteville-House, 19 9bre [1866].

Vous n’êtes pas seulement puissant par la pensée, vous êtes puissant par l’initiative. Vous essayez, mérite immense. Vous avez le goût de la marche en avant. C’est pourquoi je m’adresse toujours à vous dans les cas hardis. En voici un : M. Aug. Boïto est un écrivain italien du premier ordre, et en même temps, (comme Mazzini, comme Petrucelli della Gattina) un écrivain français excellent. Voulez-vous lui ouvrir La Liberté ? Ce qu’il écrira sera supérieur ; je vous le garantis. Répondre du talent, c’est presque répondre du succès. Tous les généreux instincts de la liberté et du progrès sont dans M. A. Boïto. Il vous remettra cette lettre.

Je salue votre ferme et profond esprit, et je vous serre la main[145].
À François-Victor[146].


H.-H., 29 9bre [1866].

Tout ce que tu m’écris me décide. Il faut absolument que les bonnes feuilles me soient communiquées. Remets, je te prie, tout de suite cette lettre à M. Lacroix. La préface est presque faite, mais j’y renoncerais plutôt que d’endosser le livre sans le connaître. J’ai mûrement réfléchi. Il y va de ma dignité. Dis à M. Lacroix que cela est la condition sine quâ non. Le traité prévoit le cas. Voici un mot que tu transmettras à notre cher Frédérix.

Ta mère soigne ses yeux et n’arrive pas encore. Je ferai en sorte qu’elle soit ici dans du coton. J’ai lu à Julie (et à Marie) les passages de ta lettre. Remercie ma chère, gracieuse et très aimée fille Alice. Je lui recommande mon indigence. Les 4 ou 5 000 francs annoncés par Meurice pour octobre ont manqué, les 2 000 francs probables de la préface Lacroix sont remis en question. Pourtant je vous enverrai de l’argent samedi. Ta lettre m’est arrivée aujourd’hui après trois heures, la banque fermée.

Garde-toi d’écrire La Place Royale pour ce bon roi de Prusse. Tu ne me dis pas où tu en es de L’Académie peinte par elle-même. Il y avait ces jours-ci sur toi dans Le Soleil vingt lignes bien bonnes et qui m’ont été au cœur, mon enfant bien-aimé.

Trois bons baisers paternels pour finir.

V.

Fais comprendre ma lettre à M. Lacroix. Il faut qu’il sente bien que la chose est nécessaire, et n’implique du reste aucune défiance, mais seulement le respect de moi-même et le soin de ma situation très délicate à tous les points de vue. J’ai, tu le sais, pour notre ami Louis Ulbach en particulier une très sincère et très vive cordialité[147].


À Albert Lacroix.


H.-H., 29 novembre.

Mon cher monsieur Lacroix, le cas prévu par notre traité se présente. Sur l’annonce faite par les journaux, mes amis politiques m’écrivent de toutes parts pour me demander si j’ai bien réfléchi en acceptant de coopérer à un livre dont je n’ai pas lu une ligne et dont, pourtant la responsabilité dans une certaine mesure me reviendra. À cela, qui est fort juste, il n’y a qu’une réponse à faire :

Je connais le livre.

Il faut donc que je connaisse le livre Paris. J’ai dans l’homme de cœur et de talent qui dirige la rédaction confiance absolue, mais mon excellent et cher confrère Louis Ulbach, à qui je vous prie de communiquer cette lettre, sera le premier à me comprendre et à m’approuver. Ma situation est compliquée et délicate. Tel mot, qui semble acceptable à Paris, ne l’est pas à Guernesey. De plus, je ne puis mentir. Il faut donc, si vous continuez à souhaiter ma collaboration, que les bonnes feuilles me soient intégralement communiquées. Cela ne fera point de retard appréciable, car la dernière bonne feuille lue, j’enverrai la préface. Vous avez vous-même renoncé à l’envoi au 1er décembre, car vous ne m’avez pas même envoyé la Table que vous deviez m’adresser si promptement. Depuis mon départ de Bruxelles (7 octobre) je n’ai rien reçu de vous.

Il y a, dans la lecture préalable du livre, une question de dignité pour moi. Les questions de dignité, une fois qu’on se les pose, sont impérieuses pour la conscience, et ne se discutent pas. Je répète du reste que cela n’entraînera aucun retard ; mon travail est presque achevé. J’y renoncerais pourtant plutôt que de renoncer à la communication que je vous demande, et qui d’ailleurs me sera au plus haut degré utile, nécessaire même pour terminer.

Croyez à toute ma cordialité.

Victor Hugo[148].


Au rédacteur en chef de L’Orient.


Hauteville-House, 1er décembre 1866.

Monsieur, je reçois votre noble lettre. Elle m’émeut profondément. Hélas ! il est trop tard cette fois, et mon cœur en saigne ; la Crète, c’est la Grèce[149]. Comptez sur moi comme écrivain et comme citoyen. Lisez la lettre que je vous envoie. Ne pouvait-on m’avertit à temps ? J’appartiens à la Grèce autant qu’à la France. Je donnerais pour la Grèce mes strophes comme Tyrtée et mon sang comme Byron. Je voudrais être tenu au courant du mouvement grec. À la plus prochaine occasion j’élèverai la voix, n’en doutez pas. Votre pays sacré à mon profond amour. Je pense à Athènes comme on pense au soleil.

Votre frère,
Victor Hugo.

Je vous envoie un journal reproduisant ma lettre à L’Orient.


À Madame Victor Hugo[150].


H.-H., 4 Xbre [1866].

Chère bien-aimée, toi avant tout. Fais passer tout d’abord ce qui te soigne le mieux, et ce qui te plaît le plus. Ici, comme à Bruxelles, tu n’as autour de toi que des bras ouverts. Puisque le médecin te garde, c’est très bon signe ; cela prouve qu’il attend un effet prochain, et une amélioration rapide. J’y compte bien aussi, car tu sais que je ne doute pas plus de la bonté de tes yeux que de leur beauté. Cela dit, arrive-nous quand tu pourras, quand tu voudras. Le plus tôt sera le mieux pour mon vieux cœur qui t’aime bien. Je suis dans un coup de feu. Tout à faire à la fois. J’ai reçu d’Athènes (par M. Spartali, consul général de Grèce à Londres) une prière irrésistible d’intervenir pour les insurgés de Candie. C’est presque officiel, comme tu vois. Je t’envoie ma réponse à cette voix d’Athènes. J’ai reconnu dans ta lettre l’écriture de mon cher et charmant ami, le docteur Émile. Je le remercie avec effusion. Et je t’embrasse, et je t’embrasse.

Tout va bien ici. Seulement je n’ai plus le sou.

Transmets ces exemplaires de ma première aux Candiotes à Auguste et prie-le de les communiquer aux journaux amis, qui inséreront ce qu’ils pourront. Le Fils fait le tour de notre goum et y a le plus grand succès. C’est une idée pathétique, un drame poignant, et un style magistral. Voici ce que j’écris et ce que je crie, de ma stalle d’océan[151].


À Madame Victor Hugo.


H.-H., 14 décembre 1866.

Chère bien-aimée, c’est ta fête, et c’est aussi la mienne, puisque tes yeux vont tout à fait mieux. Vos beaux yeux, Madame, tiennent leur promesse, et je les remercie. Maintenant pour bouquet je t’offre une bonne action que tu eusses faite. Je te la donne. La voici :

Notre pauvre Kesler est à la côte. Croirais-tu qu’il en est venu à devoir cinq mille francs ? Il faut qu’il renonce à son genre de vie trop onéreux. Je le recueille chez moi. Il logera à Hauteville-House, sera nourri, chauffé, servi, défrayé. Il n’aura plus de dépense, et continuera de donner des leçons. Or il gagne 3 000 francs par an. Avec la vente de ses meubles, et une année de ses leçons, il sera libéré. Il est vieux, et dans l’âge de ne plus trop travailler. C’est pourquoi il restera chez moi tant qu’il voudra, toujours si cela lui plaît, et je partagerai avec lui, sur le radeau d’exil, ma croûte de pain, tant que j’aurai une croûte de pain. Il est sauvé, tranquille, heureux, et je t’envoie son bonheur pour ta fête.

Dis à Auguste que ma prochaine lettre sera pour lui, j’ai à répondre aux diverses choses qu’il m’a écrites ; tout ce qu’il fait est bien.

Bien-aimée, continue de te guérir, et prends en bloc toutes les tendresses qu’a pour toi mon vieux cœur.


À Albert Lacroix.


H.-H., 15 Xbre 1866.

J’attends toujours, mon cher monsieur Lacroix, les nouveaux détails que m’annonçait votre lettre. Dans la communication d’épreuves qui me sera faite, je recommande expressément de ne pas m’envoyer l’article de Louis Blanc, mon éminent et excellent ami. Voici pourquoi :

L’article de Louis Blanc est sur l’Ancien Paris. Or, dans ma préface, j’indique, et c’est là mon sujet, le rôle de Paris dans le passé, dans le présent et dans l’avenir. Dans les pages sur le passé, je pourrais me rencontrer avec Louis Blanc, et il importe, s’il y a rencontre, qu’elle soit fortuite ; aussi je vous prie, ainsi que mon vaillant et cher ami Louis Ulbach, de ne point me communiquer le travail de Louis Blanc. Il va sans dire que je suis parfaitement tranquille sur la nuance démocratique de ce travail, nécessairement très beau, mais je n’ai pas la même tranquillité pour beaucoup d’autres

noms[153].
À Albert Lacroix.


H.-H., 16 décembre [1866].
Mon cher monsieur Lacroix,

Au moment de terminer mon travail pour votre Paris, je compte les pages, et je m’aperçois que c’est presque une œuvre, et plus, beaucoup plus étendue que je ne croyais. Cela fera environ trois feuilles. Cela dépasse peut-être la somme que vous voulez y mettre. Or c’est un tout complet, qui aura un certain à-propos à cause des gros projets militaires du moment, et je n’en pourrais rien retrancher. (C’est une affirmation de la paix). Il m’importe donc de savoir si ces trois feuilles ne dépassent point votre programme, avant de continuer. N’en pouvant rien ôter, je serais forcé de renoncer au travail. Écrivez-moi le plus tôt possible. Ne m’envoyez aucune épreuve du livre, cela va sans dire, tant que la question n’est pas résolue. J’ai reçu hier une lettre on ne peut plus excellente de notre vaillant et cher ami Louis Ulbach. J’y répondrai quand vous m’aurez répondu et selon ce que vous m’aurez répondu.

Mille affectueux compliments.

Victor H.[154].


À Gustave Doré[155].


Hauteville-House, 18 décembre 1866.
Jeune et puissant maître,

Je vous remercie. Ce matin, à travers une tempête digne d’elle, votre magnifique traduction des Travailleurs de la mer m’est arrivée. Vous avez tout mis dans ce tableau, le naufrage, le navire, l’écueil, l’hydre et l’homme. Votre pieuvre est épouvantable et votre Gilliatt est grand. C’est là une belle page ajoutée à votre in-folio d’œuvres charmantes et terribles.

Ce spécimen splendide de mon livre exige le reste. Dieu, vous, et l’éditeur le voulant, il est certain que cela sera. Je serai pour vous l’occasion d’un monument de plus.

Je vous envoie mes applaudissements et en remerciement mes effusions les plus cordiales.

Victor Hugo[156].


À Paul Meurice.


H.-H., dimanche 19 décembre.

J’ai une tristesse, vous la devinez. Que vais-je devenir tout seul ? Vous avez une idée. Je l’épouse, il est naturel que je vous suive. Je signe un traité, j’écris une préface, et quand c’est fait, voilà que vous n’êtes pas du livre[157] ! ni Auguste ! ni aucun de mes fils ! C’est à n’y rien comprendre. Est-ce que c’est donc irrémédiable ? Je ne sais que faire. Comme on est bête quand on est absent. Quelle paralysie que la distance ! Écrivez-moi et rassurez-moi, et, s’il est possible, s’il n’y a pas d’obstacle de premier ordre, ce que j’ignore, rentrez avec moi. Quid sine te ! Et transmettez ce vœu à Auguste, et aimez-moi.

Oui, je vous serai obligé et reconnaissant de me faire admettre dans la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Voudrez-vous adresser la demande en mon nom au président de la Commission et au siège de la Société, 19, faubourg Montmartre. À propos de commission, que fait la Commission dramatique ? La pieuvre Bagier nous suce bien paisiblement, ce me semble.

Encore une prière ; vous connaissez ce charmant écrivain M. Henri Rochefort, il est de vos amis ; savez-vous s’il est de retour à Paris ? et voulez-vous lui transmettre ce mot ? Je cherche à l’attirer à Guernesey. Oh ! comme je vous y voudrais ! car moi aussi je suis une pieuvre, et rien n’est tenace comme une vieille amitié.

Ubique et semper tuus.

À François-Victor.


H.-H., 19 décembre [1866].

Tu me tentes bien, mon Victor, avec ta Place Royale[159], car une page de toi sur moi m’est bien douce, et cette page, tu l’écrirais avec une grâce et une délicatesse absolues, mais le silence vaut mieux encore. Réfléchis et tu seras comme moi d’avis qu’il faut dérouter toujours nos ennemis, lesquels croiront ce sujet choisi par toi et par moi pour notre glorification. Or le silence sur nous, gardé par nous, c’est à la fois de bon goût et de bonne guerre. Donc, si tu m’en crois et je suis sûr déjà que nous sommes d’accord, prononce à propos de la Place Royale tous les noms que tu voudras, hors le nom de Hugo.

Kesler sombrait. On allait l’arrêter pour dettes (à la poursuite de Béghin). Je le recueille chez moi. Il sera logé, nourri, etc., n’aura plus de dépenses et paiera ses dettes avec le produit de ses leçons. Cela augmente mes charges, mais c’est un proscrit de sauvé.

Assemblez-vous en conseil, mon Charles et mon Victor, et donnez-moi votre avis sur ceci :

Impossible de finir le roman avant l’exposition[160]. (Cette préface pour Paris est assez longue et m’a pris un mois. C’est bête, mais c’est comme cela). J’aurais le temps d’écrire Torquemada et de publier un volume de drame. Mais je n’aurais plus derrière mon roman mes…[161] pour exterminer toutes les oppositions et mettre à néant toutes les haines. — Que me conseillez-vous ?

Votre mère m’écrit qu’elle m’arrive[162].


À Auguste Vacquerie[163].


H.-H., 23 Xbre [1866].

Vous ai-je dit et redit le succès de lecture du Fils, dans notre goum ? Je vous sais une admiratrice passionnée qui pourrait presque jouer la pièce. Vous avez le puissant style qui se grave dans les cerveaux où il y a de la cervelle. Vos scènes creusent l’âme par le pathétique et l’esprit par l’expression. Quelle puissance que le mot juste ! Allez, vous pouvez être bien tranquille. La qualité du succès que vous avez s’appelle dans l’avenir, gloire. Il faut bien que le scribouillage ait le présent puisqu’il n’a pas l’avenir. J’ai écrit en effet à M. Piédagnel. Il peut réclamer ma lettre aux bureaux de la Vigne. Son article était excellent et charmant. Mon droit à mes œuvres complètes est momentanément épuisé. Je lui envoie les Misérables. Voulez-vous prendre la peine de lui transmettre ce bon. Quant à la dame musicienne, elle peut m’écrire une lettre dans laquelle elle me dira que, d’après mon consentement, elle mettra en musique et pourra publier une série de quarante pièces à son choix, prises dans mes œuvres çà et là, à raison de vingt francs pour chaque pièce versés dans les mains de M. Paul Meurice pour mes petits enfants pauvres, et à la condition de ne jamais faire de choix ni de versement pour moins de trois pièces à la fois.

Vous êtes-vous remis à quelque grande œuvre ? À quoi travaillez-vous en ce moment ? — Les yeux de ma femme vont toujours de mieux en mieux. Elle va nous arriver. Nous la mettrons dans du coton. — Vous savez que ce pauvre Kesler sombrait, je lui ai tendu la perche, et le voilà sur mon radeau. Il fait désormais partie de Hauteville-House. Il rayonne, et c’est une joie pour moi de le voir sauvé et heureux.

Tuus.


À Auguste Vacquerie[165].


H.-H., 29 Xbre [1866]. Samedi.

Gros temps. Le courrier est en retard.

En même temps que cette lettre, cher Auguste, vous recevrez, par envoi chargé, sur votre signature, un rouleau ficelé de papier gris à votre adresse (mentionnant : envoi de Mme  J. Chenay) contenant sept dessins. Un est pour vous, cela va sans dire, Fracta, sed invita. Cette devise, qui serait celle de la république et qui serait celle de la gloire, me paraît bien située en votre voisinage. Voudrez-vous lui donner place dans votre chambre ? Serez-vous ensuite assez bon pour transmettre le plus promptement et le plus sûrement possible les six autres dessins 1° à Paul Meurice, 2° à Paul de Saint-Victor, 3° au docteur Mandl (32, rue Tronchet), 4° à M. Ph. Burty (4, rue du Petit-Banquier), 5° à M. Lecanu, 6° à notre excellent et cher Émile Allix. Chaque dessin porte sa destination écrite de ma main.

Dites, je vous prie, à ma femme que je lui remettrai moi-même son dessin d’étrennes à Guernesey. Je ne lui écris pas, espérant qu’elle nous arrivera le 1er de l’an.

Dimanche 30, 5 h, du soir.

Le courrier arrive, j’ai votre lettre, et je n’ai que le temps de fermer celle-ci. 1° L’envoi Frond ne m’est pas encore parvenu. Dès que je l’aurai, je ferai ce qu’il désire. Merci d’avance, ex imo, pour ma biographie écrite par vous sur votre airain. 2° Je n’ai pas reçu davantage le livre Pensées et réflexions de M. H. Boucher. M. Bouchet m’est profondément sympathique, dites-le-lui. Dès que j’aurai son livre, je lui écrirai.

(Ce qui suit est très confidentiel : Il ne faut pas que Guérin vienne à Guernesey en ce moment. La plaie faite par lui à Marquand est, pour des raisons diverses, plus à vif que jamais. Il surgirait entre les deux beaux-frères des complications déplorables, surtout dans ce petit pays commère. Ne dites rien de cela à Guérin, mais trouvez moyen que Lequeux ait besoin de lui et ne puisse lui donner de congé. Dites la chose à ma femme, elle la connaît du reste. Recommandez-lui le secret.)

Je souhaite à l’année 1867 un Fils. Tâchez de le lui faire.

Siempre tuyo.


À Charles. — À François-Victor[167].


H.-H., Dim. 30 Xbre [1866].

Mes enfants bien-aimés, je commence par vous embrasser tous les trois — tous les quatre — tendrement. Maintenant, causons. — Charles, Hetzel m’a retenu les mille francs que tu lui devais. Il s’est dit autorisé par une lettre de toi à se payer sur moi, et il l’a fait. Tu devais me rembourser à 50 francs par mois, mais je viens de lire ta lettre, mon Charles, et je te fais don de ces mille francs. Je continuerai de te payer ta pension sans retenue.

Victor, je ne veux rien t’acheter, et je veux tout te donner. Tu dois neuf cents francs. Je les paierai. Je te donne ces neuf cents francs, et toi aussi, tu continueras de recevoir ta pension tout entière. Quant à tes livres, je les accepte, non pour moi, mais pour la bibliothèque de Hauteville-house, qui est à vous, afin qu’un jour ces livres, si tu en as besoin, te rappellent ici. — Tels sont mes verdicts.

Mes embarras et ma surcharge à cette fin d’année ont été tels que me voilà, moi aussi, avec des dettes de tous les côtés. J’y ferai face ; mais malheureusement le roman ne sera pas prêt[168].

À cause des fermetures de banque et des intermittences de poste je ne pourrai vous envoyer d’argent que mercredi 2 janvier. Vous recevrez en conséquence le 4 ou le 5 une traite sur Paris de 1 800 fr. Je continue de recommander à Alice le délabrement de mes finances.

Charles, le vers de Marion de Lorme est toute une histoire. Je l’avais fait ainsi :

Hélas ! que diraient ceux qui me voyaient si gaie

Mme  Dorval a trouvé plus dans sa voix de dire :

Ah ! qu’est-ce qu’ils diraient ceux qui m’ont vu si gaie

Grosse faute. Tu as raison. Et l’on a imprimé sur son rôle où elle avait fait l’incorrection, la correction, de sa main. Cela m’a échappé. Je rectifierai, si j’en ai le temps. Sinon, vous rectifierez, vous, dans l’édition princeps que vous ferez après ma mort. Continue-moi, mon Charles, ces excellentes revisions de mon vieux texte altéré par les imprimeurs et les copistes[169].

5 heures du soir. Je n’ai plus que le temps de fermer cette lettre. La grosse mer apporte et remporte en hâte le packet.

Je reçois à l’instant la nouvelle que les yeux de votre mère vont on ne peut mieux. Elle n’attend pour partir que la permission du médecin. — Je finis cette lettre comme je l’ai commencée, par un tendre embrassement[170].

  1. Inédite.
  2. Bibliothèque Nationale.
  3. Proudhon vécut et mourut pauvre. Le père du socialisme, comme le désigne Jacques Bourgeat, poursuivit à travers les luttes, les condamnations, les injures, l’œuvre qu’il jugeait utile à l’humanité. Sa doctrine, exprimée pour la première fois en 1839, dans un concours organisé par l’Académie de Besançon, affirme ses aspirations vers l’égalité sociale, vers l’indépendance morale de chacun ; dans son mémoire : Qu'est-ce que la propriété ? — il conclut : La propriété, c’est le vol.
    Victor Hugo en exil donna crédit à des bruits fâcheux qui, s’ils étaient exacts, suffiraient à déshonorer la mémoire de Proudhon.
  4. Marquis de Massa, très assidu aux fêtes de Compiègne et de Saint-Cloud, et volontiers organisateur des plaisirs de Leurs Majestés.
  5. Gustave Simon. Victor Hugo et Louise Colet. Revue de France, mai-juin 1926.
  6. Boué de Villiers, rédacteur-gérant de L’Union républicaine de l’Eure.
  7. Le Progrès. Bordeaux. 1er mars 1866.
  8. Inédite.
  9. Le manuscrit des Travailleurs de la Mer.
  10. L’Archipel de la Manche.
  11. « Il y a risque en effet à la publication immédiate. C’est alourdir le roman d’un document, curieux, mais étranger au drame.
    Pourtant j’aime mieux le risque actuel que le risque éventuel. Je puis mesurer le premier, non le second. Du moment où le manuscrit n’est plus en mes mains seules, il peut lui arriver des aventures. Une indiscrétion d’un commis de la maison Lacroix, ou même d’un associé, suffit. Je puis voir paraître brusquement cette chose dans une revue, dans un journal, dans Le Figaro, que sais-je ? par fragments ou autrement. Cela peut me tomber sur la tête au moment où je garderai systématiquement le silence, et de la façon la plus inopportune. J’exècre les épées de Damoclès.
    Il me faut ou la publication immédiate (malgré ses inconvénients) ou la publication avec la deuxième édition bonne et utile, avec l’avis du don gratuit aux premiers acheteurs (voir la note de l’autre page) — ou enfin la restitution immédiate de ce chapitre préliminaire entre vos mains. »( Note de Victor Hugo.)
  12. « Notez ceci : Sans cette distribution, on punirait les premiers acheteurs de leur empressement.
    Nul rapport avec le précédent de N.-D. de Paris. Il s’agissait pour N.-D. de Paris d’une augmentation d’un volume, mêlée au texte même, quatre ans après la première édition, écourtée par la faute de Gosselin.
    Avec un tirage de 2 000 à part du Chapitre préliminaire (ce n’est qu’un peu de papier) on satisferait le public, et l’on donnerait un bon exemple en librairie. Bonne réponse à une condamnation. » (Note de Victor Hugo.)
  13. Collection Louis Barthou.
  14. Lettres à Philippe Burty. La Revue, octobre 1903. Sans signature.
  15. Une deuxième condamnation fut prononcée en effet contre Lacroix (un an de prison et 1 500 francs d’amende); l’associé de Lacroix, Verboeckhoven, fut condamné à 1 500 francs d’amende, et l’imprimeur, Poupart-Davyl , à trois mois de prison et 300 francs d’amende.
  16. Les Travailleurs de la Mer. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  17. Inédite.
  18. Bibliothèque Nationale.
  19. « Pauvre Albert Glatigny ! la mauvaise chance le poursuivit toute sa vie, et malgré son réel talent de poëte, il ne connut jamais le succès. Les Vignes folles, écrites à vingt ans, ne furent publiées qu’en 1860 ; il en avait fait paraître quelques vers dans les journaux ; on l’imprimait, mais on ne le payait pas. L’illustre Brizacier, pièce fort intéressante dans laquelle Glatigny s’était peint lui-même, ne fut représenté qu’après sa mort. Il admirait passionnément Victor Hugo qui ne lui refusa jamais son appui, et même, après la mort du poëte, obtint pour sa veuve une pension.
  20. Communiquée par le British Museum, Londres. — Voici la lettre qui annonçait à Victor Hugo l’envoi du drame Chastelard :
    « Aug. 10/65.
    « Monsieur,
    « Vous avez peut-être oublié, parmi tant de choses plus importantes qui doivent vous occuper, que vous avez bien voulu, il y a maintenant deux ans, accepter la dédicace du livre auquel je travaillais encore ce temps-là. C’est ce livre que je vous envoie aujourd’hui.
    « Ce n’est qu’une œuvre de collégien que je vous dédie ; mais puisque vous avez trouvé dans les articles imparfaits et tronqués que j’ai pu publier sur Les Misérables, quelque chose qui ne vous a pas déplu, j’espère que vous recevrez avec la même bonté le livre que j’ose enfin vous offrir. Croyez au moins que si j’avais quelque chose de meilleur à vous envoyer, je ne vous enverrais pas une œuvre d’adolescent. Peut-être ferai-je mieux à trente ans ; mais en attendant j’ai voulu vous donner ce que j’ai de mieux. S’il y a dans ce livre, comme on m’a dit à Paris et à Londres, quelque chose de bon, c’est à vous que je le dois (*). Grâce à vous, je sais au moins qu’il y a une page qui ne périra pas : c’est celle qui porte votre nom.
    « Recevez, monsieur, l’assurance de ma profonde admiration et de ma reconnaissance éternelle.
    « Algernon Swinburne. »
    (*) Les lignes en italiques sont rayées.
  21. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice.
  22. Le 25 janvier 1866, Emmanuel des Essarts écrivait à Victor Hugo pour lui demander une recommandation près de Lacroix, chez qui le manuscrit de La Révolution littéraire était déposé.
  23. Bibliothèque Nationale.
  24. Inédite.
  25. Collection Louis Barthou.
  26. Brouillon relié dans le manuscrit des Actes et Paroles. Pendant l’exil Reliquat. Bibliothèque Nationale.
  27. Inédite.
  28. Publié en 1865.
  29. Collection Nadar.
  30. Inédite.
  31. Victor Foucher venait de mourir le 3 février 1866.
  32. Suivent les comptes.
  33. Bibliothèque Nationale.
  34. Inédite.
  35. Communiquée par M. le baron de Villiers.
  36. Inédite.
  37. Bibliothèque Nationale.
  38. Inédite.
  39. L’immense triomphe de M. Ponsard, Le Lion amoureux représenté le 18 janvier 1866.
  40. Collection Louis Barthou.
  41. Inédite.
  42. Bibliothèque Nationale.
  43. Dans une lettre datée du 22 février 1866, Millaud, directeur du Petit Journal et du Siècle, offrait à Victor Hugo un demi-million pour avoir l’autorisation de publier en feuilletons Les Travailleurs de la Mer dans Le Siècle ; il comptait avec cette publication faire lui-même cinq cent mille francs de bénéfice. (Les Travailleurs de la Mer. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.)
  44. La Presse, 5 mars 1866 ; lettre publiée ensuite dans Les Travailleurs de la Mer. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  45. Louis Ulbach était parti de Paris pour aller présenter à Victor Hugo Villemessant et Dumont, rédacteur en chef et directeur de L’Événement et lui offrir, pour la publication des Travailleurs de la Mer en feuilletons cent mille francs comptant. À Saint-Malo ils avaient été retenus par le temps et n’avaient pu atteindre Guernesey. Louis Ulbach avait donc écrit ces propositions à Victor Hugo.
  46. Les Travailleurs de la Mer. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  47. Les Travailleurs de la mer. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  48. Inédite.
  49. Bibliothèque Nationale.
  50. Les Travailleurs de la Mer. Le Soleil.
  51. La Presse, février 1902.
  52. Inédite.
  53. Le Lion amoureux.
  54. Bibliothèque Nationale.
  55. Inédite.
  56. Paul Meurice entrevoyait la possibilité de fonder, avec Millaud, un nouveau journal où Charles, Victor, Vacquerie et lui-même, auraient accès et participeraient aux bénéfices ; il voyait le lancement fructueux et rapide si la primeur de L’Archipel de la Manche était réservée aux abonnés. Mais il restait toujours cette question de la prime à servir à tout acheteur de la première édition des Travailleurs de la Mer.
  57. Guérin était, à la librairie Lacroix, chargé des envois.
  58. Bibliothèque Nationale.
  59. Inédite.
  60. Bibliothèque Nationale.
  61. Inédite.
  62. Mme  Drouet, qui habitait Hauteville-féerie, et Mme  de Putron, mère de la fiancée de François-Victor morte l’année précédente.
  63. Bibliothèque Nationale.
  64. Inédite.
  65. Bibliothèque Nationale.
  66. Albert Wolff collabora d’abord à La Gazette d’Auffbourg, vers 1857, il y envoyait des lettres sur le salon de peinture ; puis il entra au Figaro, et écrivit de temps en temps des articles à L’Événement. Il y protesta contre Hetzel qui, de passage Bade avec Victor Hugo, avait voulu assurer le plus possible la tranquillité du poète en cachant de son mieux sa présence à Bade.
  67. L’Événement, 29 mars 1860.
  68. Collection Louis Barthou. Conférencia, 15 février 1921.
  69. Inédite.
  70. Bibliothèque Nationale.
  71. Albert Wolff avait, dans L’Événement du 28 mars 1866, assez malmené le dernier drame de Paul Meurice, Fanfan la Tulipe.
  72. M. Lacroix venait de vendre au Soleil le droit de publier en feuilletons Les Travailleurs de la Mer.
  73. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice.
  74. Feuilleton sur Les Travailleurs de la Mer. La Presse, 4 avril 1866.
  75. Collection Paul de Saint-Victor.
  76. Inédite. — Note de Victor Hugo : « Lettre profondément touchante et intéressante que je t’envoie. Tu pourras la citer dans quelque page émue ». (Envoyée à Madame Victor Hugo, le 24 avril 1866.)
    Paris, 2 avril 1866.
    Monsieur,
    Un enfant de quinze ans vient de mourir. Nous l’avons mis en terre le jeudi saint. Jeune par l’âge, il était homme par l’intelligence, il était poète par le cœur.
    Sur son lit de mort il a demandé à sa pauvre mère que l’on mît avec lui dans le cercueil une photographie de vous qui étiez pour lui presque un Dieu. Ce dernier vœu a été accompli et votre image repose sur la dépouille de celui qui vous aimait tant.
    Cet enfant que vous ne connaissiez pas s’appelait Gaston. Sa mère désolée s’appelle Mme  Lallemand et demeure rue des Martyrs , 28.
    Voilà, Monsieur, ce que je voulais vous dire et il n’a pas fallu moins que cette circonstance pénible pour que j’ose vous écrire.
    Je profite de cette occasion pour me dire, moi aussi, votre profond admirateur et je vous prie de recevoir l’assurance de mon respectueux et inaltérable dévouement.
    Mirambeau.
  77. Communiquée par Mme  Veuve Bertin.
  78. Inédite.
  79. Les Travailleurs de la Mer.
  80. Paul Foucher.
  81. Bibliothèque Nationale.
  82. Archives de la famille de Victor Hugo.
  83. Inédite.
  84. Bibliothèque Nationale.
  85. Inédite.
  86. Il s’agit du drame : Mille francs de récompense, publié dans l’Édition de l’Imprimerie Nationale. Théâtre inédit.
  87. Bibliothèque Nationale.
  88. Inédite.
  89. El Derecho y la Fuerza, poème philosophique dédié à Victor Hugo.
  90. Brouillon relié dans le Reliquat de Pendant l’exil. Bibliothèque Nationale.
  91. Inédite.
  92. Communiquée par M. Léon de Saint-Valéry.
  93. Verlaine publia ses premiers vers dans la Revue du Progrès en 1863 ; il collabora à plusieurs revues et donna quelques-uns de ses Poèmes saturniens au Parnasse contemporain ; Les Fêtes galantes et La Bonne Chanson le révélèrent et les volumes suivants le consacrèrent. Un scandale sur lequel nous n’insisterons pas fit un bruit fâcheux autour de son nom et provoqua son divorce. À partir de 1889, il erra d’hôpital en hôpital et mourut le 8 janvier 1896. En 1858, Paul Verlaine, alors élève de quatrième, avait dédié et adressé à Victor Hugo un sonnet et une lettre (Gustave Simon, Revue de France, 1er octobre 1924). Nous n’avons pas la réponse de Victor Hugo ; mais une correspondance suivie s’engagea en 1866 et se poursuivit jusqu’en 1873 ; Victor Hugo s’y montre affectueux, encourageant et consolateur dans les moments douloureux ; Verlaine déférent, admirateur enthousiaste et presque filial… Il devait renier tous ces beaux sentiments en 1887 dans Les Mémoires d’un veuf ; on y lit en effet : « ... tout ce qui part des Châtiments, Châtiments compris, m’emplit d’ennui, me semble turgescence, brume, langue désagrégée, monstrueuse improvisation, bouts rimés pas variés, facilité déplorable ». J’en passe, et des meilleurs.
  94. Poèmes Saturniens.
  95. Collection Louis Barthou.
  96. Cuvillier-Fleury, en posant sa candidature à l’Académie Française avait, pour remplacer la visite traditionnelle, écrit à Victor Hugo.
  97. Archives de la famille de Victor Hugo.
  98. Lacaussade, poète de l’île Bourbon, jugeait, dans une Ode à Victor Hugo, l’œuvre lyrique entière, de 1822 à 1865.
  99. Lettre du 6 janvier 1866.
  100. Collection Louis Barthou.
  101. Inédite.
  102. Victor ne pouvait se résigner, depuis la mort d’Émily de Putron, à retourner vivre à Guernesey.
  103. Collection Louis Barthou.
  104. Inédite.
  105. Bibliothèque Nationale.
  106. Communiquée par M. Andrieux.
  107. Inédite.
  108. Communiquée par M. Léon de Saint-Valéry.
  109. Robert Burns, poète écossais, chanta la gloire de sa patrie dans des poëmes qui sont restés célèbres en Écosse.
  110. Bibliothèque Nationale.
  111. Gringoire, comédie représentée au Théâtre-Français, le 23 juin 1866.
  112. Baudelaire était au plus mal.
  113. Inédite.
  114. Bibliothèque Nationale.
  115. Cette lettre a été publiée dans Actes et Paroles, Pendant l’exil, mais sans nom de destinataire ; elle forme le deuxième chapitre de l’année 1866 sous le titre : Bradley, Lettre à un ami. Nous préférons la donner telle qu’elle a été écrite à Alfred Asseline qui l’a reproduite dans son : Victor Hugo intime.
  116. Calcraft était le bourreau de Londres.
  117. Bradley, assassin, avait été condamné à la pendaison. La reine avait rejeté son pourvoi. Mais depuis cinquante ans on n’avait fait aucune exécution dans Jersey et il y avait division parmi les habitants, les uns pour, les autres contre la peine de mort.
  118. L’Étoile belge, 8 août 1866.
  119. Inédite.
  120. Archives Spoelberch de Lovenjoul.
  121. Le livre de Banville paru en 1866 a pour titre : Camées parisiens et contient en deux pages charmantes le portrait de Victor Hugo et de Mme  Victor Hugo.
  122. Le 27 juillet, à la demande de son cousin, Alfred Asseline, Victor Hugo avait public, dans les journaux étrangers, une lettre demandant la grâce de Bradley, condamné à mort. Il ne l’avait pas obtenue. Cette lettre, insérée dans Actes et Paroles, Pendant l’exil, parut sans nom de destinataire, le tutoiement avait été supprimé.
  123. Alfred Asseline, Victor Hugo intime.
  124. Comédie en 3 actes, écrite en collaboration avec Maurice Sand, et représentée au théâtre du Vaudeville, le 12 août 1866.
  125. Archives de Madame Lauth-Sand.
  126. Jules Claretie, romancier, dramaturge, fut avant tout un journaliste. Tout jeune, il collabora au Nain jaune, au Diogène, à L’Événement de 1866, à L’Avenir National, à L’Artiste, à La France où il signa Olivier de Jalin, puis au Figaro. En 1885, il devint administrateur du Théâtre-Français et le resta jusqu’à sa mort. Il inaugura en 1881 la série hebdomadaire de La Vie à Paris.
  127. L’Événement, 19 août 1866.
  128. Un assassin ; la 3e édition porte le titre : Robert Burat.
  129. Collection Jules Claretie.
  130. Inédite.
  131. Il s’agissait d’une biographie de Victor Hugo écrite par Jules Claretie et illustrée par Bertall.
  132. Collection Jules Claretie.
  133. Entre l’éditeur Lacroix et Victor Hugo qui devait écrire l’introduction de Paris-Guide projeté pour l’exposition de 1867. Paul Meurice, qui avait eu l’idée de cette publication, devait alors en avoir la direction générale.
  134. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice.
  135. Ph. Burty, chargé de la partie artistique de Paris-Guide, avait demandé un croquis de Victor Hugo.
  136. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice. Publiée en partie dans Paris. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  137. M. Lozes-Préval avait fait un monologue en vers sur le Dernier jour d’un condamné.
  138. Communiquée par les héritières de Paul Meurice.
  139. Inédite.
  140. Bibliothèque Nationale.
  141. Inédite.
  142. Le Fils, représenté le 30 octobre 1866, au Théâtre-Français.
  143. Bibliothèque Nationale.
  144. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice. Bibliotbsque Nationale.
  145. Archives Spoelberch de Lovenjoul.
  146. Inédite.
  147. Bibliothèque Nationale.
  148. Collection Louis Barthou. Paris. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  149. L’insurrection de Candie avait été noyée dans le sang, et dès le 14 novembre les insurgés avaient fait appel à Victor Hugo, le suppliant de plaider leur cause. Le 18 novembre, Victor Hugo écrivait au rédacteur du journal L’Orient, déplorant d’avoir été averti trop tard. « Mais non, il n’est pas trop tard, il y a encore des vivants à défendre » proteste le rédacteur en chef en adressant une nouvelle et pressante demande d’intervention. Le 2 décembre, Victor Hugo écrit et public la lettre qui forme le chapitre 3 de l’année 1866 : La Crète, Actes et Paroles. Pendant l’exil.
  150. Inédite.
  151. Bibliothèque Nationale.
  152. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  153. Communiquée par les héritières de Paul Meurice.
  154. Collection Louis Barthou. Paris. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  155. Gustave Doré, plus célèbre encore comme illustrateur que comme peintre, laisse une œuvre considérable. Les Travailleurs de la mer sont le seul roman de Victor Hugo que Gustave Doré ait illustré. Le groupe si vivant qui décore le monument d’Alexandre Dumas prouve que Doré était aussi un sculpteur de grand talent.
  156. Gustave Doré, par Édouard Tromp, 1932.
  157. Paul Meurice avait eu l’idée du livre Paris-Guide : il en avait donné le plan, les divisions et avait même décidé plusieurs écrivains illustres à y collaborer : Michelet, George Sand, Littré, etc. Lacroix l’avait prié de remettre tout son travail préparatoire à Louis Ulbach qui devenait le directeur de l’entreprise. Les sujets qui auraient pu être traités par Paul Meurice furent distribués à d’autres, Paul Meurice n’avait donc plus qu’à se retirer.
  158. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice.
  159. Les éditeurs de Paris-Guide publié pour l’exposition de 1867 et dont Victor Hugo avait écrit l’introduction avaient demandé à François-Victor un article sur la Place Royale.
  160. Quatrevingt-treize.
  161. Un mot illisible.
  162. Mes Fils. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. Bibliothèque Nationale.
  163. Inédite.
  164. Bibliothèque Nationale.
  165. Inédite.
  166. Bibliothèque Nationale.
  167. Inédite.
  168. L’Homme qui rit.
  169. Cette lettre n’ayant pas encore été, lors des réimpressions de Marion de Lorme, déposée à la Bibliothèque, la faute a été maintenue dans toutes les éditions.
  170. Bibliothèque Nationale.