1865.


À Auguste Vacquerie[1]


H.-H., 17 janvier [1865].

Un mot in haste. Ceci, cher Auguste, servirait le gouvernement dans la petite affaire de mon répertoire interdit, et non moi[2]. Ce serait l’avortement de la question. Elle ennuie un peu le gouvernement, et puisqu’elle est pendante, qu’elle reste pendante. C’est mon avis, c’est notre avis, ce sera, je pense, aussi le vôtre. Lisez cette lettre à Beauvallet, et soyez assez bon pour la lui transmettre. Je ne doute pas que vous l’approuviez. Il serait utile, je crois, qu’elle parût dans les journaux qui ont publié la nouvelle, Le Temps, La Presse, etc. Je confie le tout à votre sûre et douce amitié.

V.

Mon pauvre cher Victor et sa bonne mère partent demain pour Bruxelles. Me revoilà triste, hélas ! car la famille est un gros morceau du cœur.

Si vous avez le temps de voir Beauvallet, et d’achever l’explication de ma lettre par quelques paroles, ce serait, je crois, excellent[3].


À François-Victor.


H.-H. Dimanche [22 janvier].

Mon pauvre Victor, mon enfant bien-aimé, calme et apaise ton pauvre cœur[4]. J’espère que Bruxelles te fait déjà du bien. J’attends mardi une lettre de toi me donnant de bonnes nouvelles.

Tous les journaux, même le Times, ont mis mon allocution[5]. Je t’ai envoyé mon manuscrit par Lacroix. Tu recevras en même temps que lui les numéros du Star et du Mail and Telegraph. La sympathie et l’émotion sont universelles ici.

Mes trois bien-aimés qui êtes là-bas, je vous serre sur mon cœur. À bientôt.

V.

Remets ce mot à M. Lacroix. J’écris in haste.

Et je t’embrasse encore, mon doux et cher fils[6].


À Auguste Vacquerie.


H.-H. 24 janvier.

Vous savez que je passe ma vie à vous donner raison. Ce que vous dites est ce que je pensais. Le mieux est que le gouvernement ait empêché la chose[7]. S’il se ravisait et permettait (peu probable), publiez ma lettre. Mais tout est bien ainsi. Les journaux belges m’arrivent pleins des détails que vous me donnez, et citent les vers de Corneille, qui sont beaux en effet. Beauvallet a bien choisi. Si vous le rencontrez, félicitez-le de ma part.

Je vous envoie mon allocution sur cette tombe. Elle est arrivée d’autant plus à propos que les oraisons liturgiques protestantes qui venaient d’être récitées avaient offert la mort sous un aspect épouvantable. La face de fureur de Dieu. La Vengeance éternelle. La Colère divine qui est dans la mort, etc. Cette pauvre mort, comme on la traite ! Mon speech a été utile. Il a fait pleurer ceux qui avaient peur. J’ai réhabilité la mort. Elle est assez près de moi pour que je songe à me mettre bien avec elle.

Vous travaillez, je le sais, vos œuvres sont pour moi une grande et douce attente. Je vous envoie mon shake-hand. Merci.

Ex imo.
V.[8]


À Paul Meurice[9].


H.-H. 31 janvier [1865].

Je vous écrivais il y a un mois. Mon petit envoi du jour de l’an vous est-il parvenu } Depuis j’ai eu une vive douleur de contrecoup. Mon pauvre Victor, vous le savez peut-être, a été durement frappé. Il disait avec un accent qui me déchirait : Je n’avais pas mérité cela. Hélas, c’est vrai, après douze ans de tant de travail, de tant de fermeté et de tant de sérénité, — à mes côtés ! — avoir le cœur si profondément percé ! Il est à Bruxelles en ce moment avec sa mère et Charles. Il lui faudra quelque temps avant qu’il puisse supporter la vue de Guernesey. Moi, je suis ici, triste. — Je pense à vous, je vous aime, je vous écris. Cela me soulage, et votre pensée met du jour dans toute cette ombre qui m’entoure.

À toujours, ô dilectissime !
V. H.[10]


À Madame Victor Hugo[11].


H.-H. Samedi 18 [février 1865].

Chère amie, je sors de la Banque. Il y a un mistake. M. Collings a paru fort étonné. L’argent a dû être arrivé à Halifax fin janvier. Il va écrire immédiatement à Londres, A. pourra toucher les 700 fr. à la banque d’Halifax[12] fin mars sans faute. Remercie Auguste de ma part pour toutes les excellentes choses qu’il écrit. — Quant à la lettre dont me parle ta dernière ligne, il m’est difficile de comprendre qu’il ait pu être bon que je ne fusse pas consulté. Mon Victor, j’attends avec impatience ton explication de la lettre anglaise d’Halifax. J’ai déchiffré çà et là des mots qui m’inquiètent[13]. — Tu trouveras sous ce pli une lettre pour le Précurseur d’Anvers. Lis-la, puis cachette-la, mets-y un timbre poste, et envoie-la à Anvers. — Virginie a un mal de genou qui la tiendra pour quinze jours au lit, sans danger du reste, si elle est très prudente, ce que Corbin et moi recommandons. Comment va Lux ? Mon Charles, je t’embrasse, mon Victor, je t’embrasse, chère femme, je t’embrasse. À vous tout mon cœur, mes bien-aimés[14].


À François-Victor[15].


H.-H. 15 mars [1865].

Mon Victor, cette lettre m’arrive. Je te l’envoie en hâte[16]. Fais-moi savoir le plus tôt possible ce qu’elle contient. Tu sais ma profonde sollicitude. Je n’aurai pas de repos tant que cette pauvre enfant ne sera pas heureuse, et j’ai peur, hélas, de toutes les nouvelles d’Amérique.

Cette bonne Mme  de Putron qui t’aime tant est triste de n’avoir pas encore un mot de toi.

Je vous embrasse, mes aimés de là-bas, tendrement et tristement.

V.

Tout est bien ici[17].


À Auguste Vacquerie.


H.-H. 19 mars.

Vous me parliez l’autre jour, cher Auguste, en magnifiques termes, de mon vieux duel avec la peine de mort. Or, voici ce qui arrive. On élève en Italie une statue à Beccaria[18]. Une commission s’est formée pour cela, la commission, par son président, membre du parlement d’Italie, m’a fait savoir qu’elle m’avait inscrit sur la liste de ses membres et m’a prié d’accepter cette nomination. J’ai consenti. J’ai écrit une lettre que je n’ai pas voulu envoyer aux journaux, trouvant qu’on publie trop de lettres de moi. Mais les italiens n’ont pas été de cet avis, ma lettre a paru dans les journaux d’Italie, et est arrivée en France en italien, les journaux français (Le Temps du 15 mars, entre autres) l’ont traduite et publiée. C’est bien, mais cela fait un faux texte ; sur dix lignes il y a dix fautes. Voici, ci-inclus, le texte vrai.

Maintenant, une question, dont je vous laisse absolument juge, ô esprit maître, ô souverain bon sens. Cela vaut-il la peine d’être rectifié ? On me le dit ici, mais quant à moi, j’en doute. Si vous trouvez la rectification utile, voici deux copies, une pour Le Temps, l’autre pour La Presse. Si vous la trouvez — comme moi — à peu près inutile, jetez les deux copies au feu. — Je suis à vous, et encore à vous, et toujours à vous.

À Madame Victor Hugo[20].


H.-H. 29 mars [1865].

Chère amie, un mot en hâte. Je travaille dès le point du jour et le temps me manque pour écrire de longues lettres. Aujourd’hui j’ai terminé la deuxième partie de mon livre[21]. Il sera en trois parties. La troisième sera la plus courte. Je ne perds pas un instant. Du reste, je ne veux partir qu’ayant tout fini. La bonté du voyage, c’est de ne plus travailler. — Voici les nouvelles : le mal de jambe a quitté Virginie et pris Marie. — Sénat justifie son nom Cœna en faisant tous les soirs la cène avec nous chez notre voisine qui le gâte comme s’il était Lux en personne. — On m’écrit de Paris des choses qui doivent tenir en garde contre les demandes d’argent de M. Chenay. Je crains qu’il n’ait cherché (réussi peut-être) à emprunter ici de l’argent à E. Le Ber (après avoir essayé l’an passé sur Marquand). — M. Marquand est venu ce matin m’annoncer son mariage avec Mme  de Garis. Il me prie d’être son témoin. Il se marie le 12 avril. (Mon Victor, écris donc, je t’en prie, à cette excellente madame de Putron). — Ce matin, Julie m’a parlé du désir qu’elle aurait d’aller à Paris. Je lui ai dit : Si c’est pour rester près de ton mari, à merveille, et j’en serai charmé. Si c’est pour revenir, je te prie de ne pas faire coïncider ton absence avec la mienne. Si tu pars la première, j’attendrai ton retour. Moi parti, mes manuscrits (trois malles maintenant) restent dans la maison, plus tous mes travaux préparés pour le livre 93, etc., etc. Il importe que quelqu’un de plus qu’une domestique soit là. Marie est de bonne garde. Mais elle ne pourrait m’écrire et m’avertir, si de certains accidents possibles se produisaient. Julie a trouvé tout cela fort juste, et il a été convenu que l’un de nous deux resterait ici quand l’autre serait absent.

Chère amie, tu n’aurais probablement pas écrit la lettre en question, si tu avais su des choses que tu ignores et que je te dirai.

Mon Victor, voici mon épreuve corrigée. Le titre est provisoire. Il m’en faut une 2e. Fais toi-même les corrections anglaises et les substitutions de noms que tu m’indiques. Veille bien à ce que ce ne soit point publié séparément. — Mon Charles, notre voisine est dans l’enchantement de toi et de ta lettre. — Je vous embrasse et je vous embrasse et je vous embrasse, voilà pour trois, mes bien-aimés.

J’écrirai à M. Rogeard[22]. Envoie-moi ta dédicace coupée, sur laquelle je dois un peu me proportionner. M. Rogeard est d’un groupe où il y a beaucoup de pointus.

Le quatrain latin de Charles est un chef-d’œuvre[23].


À François-Victor[24].


H.-H. mercredi 5 avril [1865].

Veille, mon Victor, à ce que l’épreuve corrigée me soit renvoyée le plus vite possible. Voici, sous ce pli, une traite de 1 600 fr. à vue à l’ordre de ta mère sur Mallet frères. Ces 1 600 fr. se décomposent ainsi :

1° 1 000 fr. pour Bruxelles.

2° Ad. Ses mois de mars et d’avril, son supplément pour achats de saison :

300 300 1 600 fr.

Ce supplément de saison de 300 fr. est une concession de ma déférence à ta chère et admirable mère, mais j’ai bien peur que cet argent, dans l’état d’esprit où est la pauvre enfant, ne soit détourné de son objet, et employé à des poursuites et à des voyages déplorables[25] qui consommeraient sa perte. — Enfin j’ai promis à ta mère et j’exécute ma promesse. —

Quand tu verras Bancel, remercie-le pour moi. J’aurai grande joie à lui serrer la main à Bruxelles. — Ci-incluse la lettre pour M. Rogeard. Mets-la sous enveloppe et envoie-la-lui. — Il a fait aujourd’hui un peu de soleil. J’en ai profité pour promener en cab deux dames, dont Julie. — Les chiffres que tu m’envoies me semblent graves. Mais M. Lacroix pourrait-il prouver ? S’il le peut, qu’il le fasse. Cela serait utile à lui comme à moi. — Le toutou continue d’être très bien portant, très gai, et très gâté par tout le monde sans exception. Il passe toutes ses soirées chez notre voisine. Il me prie de dire à Charles qu’il ne trouve pas une grande différence entre porter le titre de Boissy ou le nom de Sénat. Au point de vue politique, il se dévoue et il préfère Sénat. Le mariage de M. Marquand et de Mme  de Garis est toujours fixé au 12. Je vous serre dans mes bras, mes trois bien-aimés.

V.
Renseignements pris à la Bank, l’argent a été touché à Halifax, par Ad.[26].
À Jules Janin[27].


H.-H. jeudi 6 avril [1865] 4 h.

Les académies vivent de gloire, j’admire souvent leur sobriété, mais cette fois l’académie française sera gourmande, et vous nommera[28]. J’en suis sûr, et tellement sûr qu’en entendant sonner quatre heures, je déclare la chose faite, et je vous écris pour vous remercier de la bonté que vous avez d’être notre confrère. Je tiens à ce que vous soyez de l’académie puisque j’en suis, à ce qu’il paraît. Une fois n’est pas coutume, l’académie peut bien nommer Jules Janin. Elle s’en vengera demain en retournant aux bonshommes médiocres qui lui plaisent. Bravo donc. — Je crie bravo à l’académie par-dessus les moulins de Montmartre et à vous par-dessus les falaises de l’Océan.

Victor Hugo[29].


À François-Victor. À Madame Victor Hugo[30].


H.-H 17 avril [1865].

Charge-toi, mon Victor, de transmettre ce mot à M. Frédérix. As-tu remercié pour moi Bancel ? J’ai écrit il y a six semaines à Mme  Busquet (Alfred) sous le couvert de M. Pagnerre. Lettre de félicitations. Pas de réponse. Demande à M. Pagnerre s’il a fait parvenir ma lettre. M. Marquand est marié, et aux anges depuis cinq jours. — Chère amie, Julie a dû t’écrire ce qu’on nous dit à la Banque. Ad. avait écrit elle-même, on lui avait répondu, et elle avait l’argent. À propos d’Ad. un mot très important. Tu m’as demandé pour elle 1° 150 fr. par mois, ce qui fait par an 1 800 fr. — 2° 300 fr. pour saison deux fois par an, ce qui fait par an 600 fr. ;

total……… 2 400.

Or Ad. écrit que tu lui as dit 300 fr. par mois. Hâte-toi de rectifier cette erreur. Car malheureusement, cet argent qu’elle rêverait, tu sais l’usage qu’elle pourrait en faire. Je tiendrai ce que je t’ai promis, rien de plus. — C’est déjà dangereux. Elle met l’argent en réserve pour se perdre, la pauvre enfant. — Billet de faire part de Mme  Ménessier, annonçant le mariage de son fils Emmanuel. Charge-toi de lui écrire pour nous deux. Je suis accablé de travail et de lettres.

— Voici qui me vient de Paris (d’un ami de M. Chenay). M. Chenay se serait vanté d’une carotte de 500 fr. qu’il te tirerait. Tu les emprunterais pour les lui donner. J’ai répondu : M. Chenay est capable de le dire, ma femme n’est pas capable de le faire. — Chère bien-aimée, écris-moi si les notes des marchands d’ici que je t’ai envoyées sont dues, et s’il faut que je les paye. — Kesler est allé passer ses vacances de Pâques à Jersey. Sénat est de plus en plus gentil. Julie, Virginie ou moi, nous le promenons tous les jours. Il ne suit encore qu’en fantaisiste. Je presse Julie pour la copie. La semaine de Pâques l’a un peu retardée. À propos, mon Charles, on fait gras ici le vendredi. Je ne suis ni pour ni contre. Julie et Marie, ces deux dévotes, arrangent cela comme elles veulent. Je vous serre tous les trois dans mes bras.

Je ne perds pas une minute. Ce matin, à 5 h. 1/2, j’étais au travail[31].


À Auguste Vacquerie[32].


H. H. 27 avril 1865.

Merci, cher Auguste, de vos belles et bonnes lignes dans La Presse. Merci pour vos envois où je sens votre amitié. Les Débats et le Temps me sont arrivés. Les autres point. Est-il vrai qu’il y ait dans L’Avenir national un long en-tête de Peyrat ? Kesler, qui arrive de Jersey, dit l’avoir vu sur le bateau. Les suppressions de chaque journal sont curieuses. Le Temps ôte la lettre de Voltaire ; les Débats ôtent le développement anti-royaliste sur l’Angleterre. Je suis comme vous. J’aime mieux faire un livre nouveau que publier un ouvrage fait ; c’est moins de peine et plus de résultat. La publication ne peut manquer tôt ou tard. De là le retard des Chansons des rues et des bois.

Avez-vous ouï parler d’une chose de cet être pour qui j’ai créé le mot philousophe, le sieur Pierre Leroux. Cela s’appelle la Grève de Samarez et aurait le désir d’être insolent contre vous et contre moi[33]. Le Pierre Leroux dédie ce livre aux Péreire, souteneurs de Bonaparte. J’ai toujours pensé qu’il y avait du mouchard dans ce vieil escroc. — Vous savez, ce pauvre Henry que vous aviez surnommé le laboureur, un peu sauvage, mais bon ouvrier. Ce matin il est venu chez moi fort gai, il a travaillé, puis a été travailler dans un jardin voisin au grand soleil. Je travaillais aussi sur mon toit. Tout à coup Henry est tombé comme foudroyé. Nous avons envoyé chercher tous les médecins possibles. On l’a sinapisé. Rien ne l’a réveillé. On l’a transporté chez lui au Catel, à deux lieues d’ici. J’y suis allé. Je me suis approché de son lit. Sa femme m’a dit : il n’a pas ouvert les yeux. On lui parle. Il ne répond pas. Il ne connaît plus personne. — Je lui ai pris la main, et j’ai crié à haute voix : Henry. Il a ouvert les yeux et a dit : Ah ! Monsieur ! Puis il a souri. On espère maintenant le sauver.

Cher Auguste, je vous aime du fond du cœur.

V. H.[34]


Monsieur J. Aicard[35].
(Élève au lycée, Nîmes.)
Hauteville-House, 4 mai [1865].

Vous avez bien fait de m’envoyer vos vers. Ils sont émus et touchants. On y sent la palpitation d’un jeune et noble esprit. Courage, mon doux poëte. Adorez passionnément la vérité, la justice et la liberté, et aimez-moi un peu.

Victor Hugo[36].


Au prince Dolgoroukow.


Hauteville-House, 5 mai.

Prince, votre lettre du 2 mai m’arrive aujourd’hui 5. Je serai charmé de vous voir et de serrer la main qui a écrit ces nobles, éloquentes et vaillantes pages[37].

Madame Victor Hugo est absente, et ma masure est livrée aux ouvriers. Hauteville-House n’est pas présentable en ce moment, et c’est un grand regret pour moi de vous laisser descendre à l’hôtel.

Ce que je vous demande ainsi qu’à votre honorable compagnon de voyage, et ce que vous ne me refuserez certainement pas, c’est de me faire l’honneur de dîner chez moi tous les jours, pendant votre trop court séjour à Guernesey.

Je vis en garçon, en paletot, en chapeau mou ; vous dînerez avec vos habits de voyage, sans aucune gêne et sans aucune cérémonie.

Je me fais une fête de vous connaître.

Votre ami,
Victor Hugo[38].


À François-Victor.


H.-H. Lundi 8 mai.

Un tas de choses à te dire, mon Victor bien-aimé. D’abord grosse affaire. Voici ma réponse au Gonfalonier de Florence (jubilé de Dante), elle sera lue publiquement pendant les fêtes de Florence, le 15 mai. Ne serais-tu pas d’avis qu’il serait bon qu’elle parût ce jour-là même dans l’Indépendance ? c’est ton avis, charge-toi de la remettre toi-même à M. Bérardi, auquel je serre bien cordialement la main ; tu ferais précéder la lettre d’un petit en-tête collectif que voici.

Le prince Dolgoroukow qui est, comme tu sais, empereur légitime des moscovites et le Stuart de Russie, a fait un livre énergique contre Louis Bonaparte. Il m’y piédestalise. Je lui ai écrit un mot de remercîment. Il réplique en venant me faire une visite à Guernesey. Il arrive demain. Que n’êtes-vous là, vous trois bien-aimés ! Je hais de faire le maître de maison dans ce logis, désert sans vous. J’ai invité à dîner pour demain avec cet empereur toute la famille des Putron, plus Kesler, L. et B. Talbot, et Danovan

Pyrke, mon traducteur. Je vous serre dans mes bras tous les trois[39].
À M. Antony de Menou[40].


Hauteville-House, 10 mai [1865].

De vos trois lettres, monsieur, une seule m’est parvenue, la dernière. Je m’empresse de vous répondre.

Je ne connais rien de vous, que votre malheur, qui est grand, et votre courage, qui est plus grand encore. Je vous estime de savoir si bien souffrir.

J’espère que vous vous trompez sur votre situation. Il est impossible qu’elle soit désespérée. Une telle ardeur au travail indique une vitalité profonde. Vous verrez certainement cet avenir auquel vous vous intéressez si généreusement.

Tous ces travaux dont vous me parlez viennent d’une idée excellente et élevée. Il est beau à qui souffre tant de vouloir être utile aux autres.

Vous méritez le succès ; vous l’aurez.

Et vous vivrez. Courage.

Victor Hugo[41].


À Auguste Vacquerie[42].


H.-H. 11 mai [1865].

Voici, cher Auguste, ma réponse à la lettre que m’a écrite le Gonfalonier de Florence[43]. Je ne songerais pas à la publier dans les journaux de France si je ne craignais qu’elle n’y paraisse traduite de l’italien comme ma lettre sur Beccaria. Si vous croyez cela possible, voulez-vous être assez bon pour remettre une de ces deux copies à La Presse et l’autre au Siècle. J’y joins un petit en-tête bien fait par Kesler ; peut-être faudrait-il ne pas le répéter littéralement dans les deux journaux. Jugez-en.

Mme  Poujade me demande de travailler à la Parisienne. Lisez ma réponse. Si vous la trouvez bien, voudrez-vous la mettre sous enveloppe et l’envoyer. Tout va bien ici. Henry est rétabli. Je passe un peu pour avoir fait un miracle. Ce miracle, il paraît que St Magloire l’avait déjà fait, absolument dans les mêmes conditions. Je suis donc le plagiaire de St Magloire. Le bon, c’est que Henry a repris son travail. Le pauvre diable a été mort deux heures. On me fait beaucoup de visites en ce moment, le docteur Dann, le révérend Kelly, le prince Pierre Dolgoroukow, le rédacteur du Bath examiner, etc.

Un bon serrement de main solitaire d’un ami tel que vous, voilà ce qu’il me faudrait. Est-il vrai que Peyrat ait été aigre-doux pour moi dans son en-tête sur ma préface-Shakespeare ? J’ai dit que je ne le croyais pas, et je ne le crois pas.

À vous.
Ex imo animo.

J’ai vu dans les journaux l’annonce d’une ode de moi à Dante ; ce n’est ni le moment, ni le lieu d’une manifestation purement littéraire. Je regrette que le jubilé de Dante soit venu à cette heure comme une exigence impérieuse ; j’aurais voulu prendre la parole sur une chose non moins grande, mais plus pressante et plus immédiate, sur l’affaire d’Amérique. Je n’ai pu refuser ce que le comité italien me demandait[44].


À Mme  Victor Hugo. À ses fils[45].


H.-H., 15 mai [1865].

In haste, comme nous disons, nous autres anglais. Ce matin j’ai reçu cette dépêche électrique du comité italien. Talbot, là par hasard, l’a copiée pour le Star. Je t’envoie l’original pour L’Indépendance. Il me semble que le comité italien m’écrivant du milieu de la fête et me donnant des nouvelles de la statue de Dante, c’est beau. Au reste, vous êtes tous trois mon grand conseil privé, et vous déciderez. Tout ce que vous faites est bien fait. Mon Victor, je paierai ces 8 sh. pour ton fiacre et je ne veux pas de remboursement. — Ces dames ont commencé aujourd’hui le collationnement de la copie de Julie sur mon manuscrit. Tu sais quel zèle elles y mettent.

Ceci n’est pas une lettre. C’est un monosyllabe, un oui envoyé à tout ce que vous dites et à tout ce que vous faites. À bientôt. Je vous embrasse mes trois bien-aimés. À bientôt, à bientôt.

V.

Ce mot pour M. Lacroix. Les journaux italiens annoncent avec grand éclat la réception de ma lettre[46].


À Albert Lacroix.


H.-H. 15 mai [1865].
Mon cher Monsieur Lacroix,

J’hésite à publier cette année quoi que ce soit. J’aurai deux ouvrages terminés, le roman et Les Chansons des rues et des bois. Mais je voudrais me mettre tout de suite à 93, et ces deux publications me prendraient en correspondance et en correction d’épreuves cinq ou six mois, ce qui m’effraie. J’ai peu d’années devant moi, et plusieurs grands livres à faire ou à finir. C’est ce qui me rend si avare de mon temps. Enfin, je songerai à tout ce que vous voulez bien me demander. Vous savez combien je suis votre ami, et vos conversations avec mon fils François-Victor ont dû éclairer bien des choses dans votre esprit. J’aurai probablement bientôt occasion de vous serrer la main à Bruxelles, ainsi qu’à vos honorables associés, mes amis.

Bien vôtre,
Victor H.[47]


À Théodore de Banville.


Hauteville-House, 21 mai [1865].

J’achève, cher poëte, votre nouveau recueil. Avant de le relire, je vous écris. C’est un de vos plus charmants livres. Que de raison, que de vérité, que de science et d’art dans cette gaîté ! et comme c’est exquis, la sagesse masquée de grâce ! Vous savez que depuis longtemps j’ai dit que vous êtes un grand poëte de l’Anthologie. Rien ne manque à cette lyre forte et délicate que vous avez dans l’esprit. Vous avez le grand vol et le doux murmure, la gentillesse, l’élégance gamine du moineau franc, le sautillement de branche en branche, et tout à coup de puissants coups d’aile et la fuite à travers les

nuées. Tout cela, c’est le poëte.
À M. Alexandre Laya.


Hauteville-House, 3 juin 1865.

C’est, monsieur, le 31 mai, il y a quatre jours seulement, que votre livre excellent m’est parvenu. Je l’ai lu avec émotion, et aussi avec reconnaissance, car vous me citez dans un de vos plus remarquables chapitres (abolition de la surveillance légale)[48]. Vous avez, monsieur, la science du juriste et l’initiative du philosophe ; ceci est la double force de votre livre. Vous mettez hardiment et noblement à nu ces misères organiques que vous nommez avec une éloquente énergie : Les Plaies légales. Vous réclamez contre ce que j’ai appelé un jour à la tribune : l’irréparable et l’indissoluble ; deux murailles terribles, que l’homme n’a pas le droit de construire et qu’il édifie pourtant, l’une dans la loi pénale, l’autre dans la loi sociale. Vous apportez à votre tour votre protestation contre l’iniquité rédigée en code. C’est bien, en attendant mieux… Vous verrez ce beau succès et vous en aurez votre part.

Je vous serre la main,

Victor Hugo[49].


À Philippe Burty.


Hauteville-House, 4 juin 1865.
Cher monsieur,

Vous n’avez pas reçu en vain une charmante et profonde intelligence, vous devez tout comprendre, même qu’on soit en retard avec un homme comme vous, même qu’on réponde le 4 juin à une lettre du 4 janvier. Tout m’est parvenu ; vous êtes un tentateur ; vous m’envoyez tout ce qui peut m’attirer dans l’eau-forte ; j’y penche, vous, vous voulez m’y faire tomber. Je résiste le plus que je peux. Ce travail me charmerait, mais ai-je du temps pour mon plaisir, moi qui ai à peine le temps pour mon devoir ? Je suis levé à cinq heures du matin, je travaille sans cesse, et vous voyez qu’en dépit de ma bonne volonté, une réponse de moi se fait attendre six mois. Je suis bien content que mon dessin carte de visite vous ait fait plaisir. C’est ma maison du vieux Blois dont j’ai pris le croquis. Elle est aujourd’hui démolie. Je suis épris de la Gazette des Beaux-Arts. C’est vraiment un inappréciable recueil, et quant à la splendide eau-forte de ce pauvre grand artiste, je connais peu de choses plus belles et je n’en connais pas de plus navrante. J’intitule cela « Paris Fou ». Je pars dans quinze jours pour une excursion de trois mois. Je serai de retour à l’automne.

Venez donc me voir sur ma roche, regarder mon océan et manger mon raisin.

Je vous serre la main.

Victor Hugo[50].


À Brofferio.


Hauteville-House, 9 juin 1865.
Mon éloquent et cher ami,

J’ai reçu hier, seulement, 8 juin, vos trois admirables articles du 3, du 5 et du 11 janvier, dans le journal Le Alpi, sur mon livre William Shakespeare. Je m’empresse de vous remercier ; mais cette lettre vous parviendra-t-elle ? Je l’adresse un peu au hasard. Il me semble qu’un nom comme le vôtre est aussi facile à trouver en Italie qu’un phare sur la mer. J’ai reconnu dans vos trois articles sur mon livre toute votre haute éloquence, et ce ferme caractère, et cette verve puissante et charmante, et toutes les formes éclatantes de votre esprit qui vous font aussi éminent comme écrivain que comme orateur. Votre place est parmi les grandes renommées d’Europe. L’Italie vous possède, mais le monde vous a.

Je suis profondément touché de ce souvenir que, du milieu de votre succès et de votre triomphe, vous envoyez à mon exil.

Votre amitié est un des sourires que me laisse entrevoir dans mes ténèbres la destinée. Je vous envoie toute mon émotion attendrie.

J’aime en vous le combattant de l’Italie, l’athlète de la liberté, l’orateur de la lumière. Je me rappelle qu’il y a quatorze ans, je vous donnais rendez-vous au Parlement d’Europe.

Pourquoi pas ? Les temps approchent.

Je vous serre la main.

Victor Hugo[51].
À Alexandre Dumas.


Hauteville-House, 16 juin [1865].
Cher Dumas,

Je viens de lire votre lettre dans La Presse[52]. Je l’ai lue sans surprise. De vous, rien ne m’étonne en fait de vaillance, et, en fait de lâcheté, rien ne m’étonne de ces gens-là. Vous êtes la lumière ; l’empire est la nuit ; il vous hait, c’est tout simple, il veut vous éteindre, c’est moins simple. Il y perdra son souffle et sa peine. L’ombre qu’il versera sur vous ajoutera à votre rayonnement.

Incident glorieux pour vous en somme, et honorable pour moi, et dont je félicite notre vieille amitié.

Je serre vos mains dans les miennes[53].


À Charles. À François-Victor[54].


Dimanche 25 juin [1865]. H.-H.

Le collationnement est terminé. J’ai gardé jusqu’à présent le secret du titre, je vous le confie à vous, mes bien-aimés. Ne le dites encore à personne. Le livre sera intitulé :

L’Abîme[55].

Il sera divisé en trois parties :

1° partie : Sieur Clubin (divisée en six livres).

2° partie : Gilliatt le malin (cinq livres).

3° partie : Déruchette (trois livres).

Les livres subdivisés en chapitres portent des titres. Ainsi les six livres de la première partie sont intitulés :

Livre I. L’homme mal famé[56] ;

Livre II. L’archipel de la Manche ;

Livre III. La Chaise Gild-Holm-ur ;

Livre IV. Déruchette et Durande ;

Livre V. Le Revolver ;

Livre VI. Le capitaine sobre et le timonier ivre ;


et ainsi pour les autres livres. Mais ne dites pas encore tous ces détails. L’ouvrage fera, je pense, trois volumes, format des Misérables, édition de Bruxelles (première).

Le collationnement étant fini, le départ est fixé (sauf incident ou gros temps, peu probable) au mercredi 28 juin ; l’arrivée à Bruxelles sera par conséquent le vendredi 30 ou le samedi 1er juillet. Mon Victor, notre compagne de voyage, qui t’adore tout bonnement, te remercie des peines que tu as prises. Cet hôtel de la rue Royale lui semble bien cher. Pourrais-tu obtenir qu’elle eût une chambre (sans salon) au premier et qu’elle mangeât chez elle, le tout pour une moyenne de 10 fr. par jour ? Autrement elle pourrait être forcée de retourner à l’Hôtel de la Poste où jamais, (seule et ne faisant pas d’extra) elle n’a dépensé plus de 6 fr. par jour. Elle me recommande de te transmettre tous ces détails. J’obéis.

Je n’ai pas encore vérifié page à page le contenu de mon livre l’Abîme. Je ferai ce calcul à Bruxelles. J’étais si en train de travailler que je n’ai pu, en faisant l’Abîme, m’empêcher d’écrire en six jours une petite comédie en un acte, la Grand’mère, que je vous lirai. J’ai grand besoin de voyage, de déplacement, de changement d’air, de nos bonnes petites journées en voiture. J’aurais besoin, pour un livre, de voir l’Écosse et l’île de Man[57]. Qu’en dirais-tu, Victor ? Qu’en dirais-tu, Charles ? Cela va coïncider avec le voyage annuel de votre bonne mère à Paris. J’ai encore beaucoup à faire dans ces deux jours-ci. J’ai déjà de grandes préparations de travail pour le 93 ; je classe et je mets tout cela en ordre, pour retrouver mes matériaux et mes notes prêts à mon retour. Il me tarde d’être avec vous deux dans notre petit chez nous roulant à deux chevaux ; mais quand serons-nous réunis à Hauteville avec votre mère bien-aimée ? Donc à vendredi ou à samedi. Je vous serre dans mes bras[58].


À Auguste Vacquerie[59].


Dim. 1er juillet [1865].

Me voici à Bruxelles, cher Auguste, j’ai autour de moi ma femme et mes fils, j’ai sous les yeux une lettre d’Adèle, j’ai dans ma poche un talisman, un mouchoir de Léopoldine, j’ai dans le cœur le souvenir de Charles Vacquerie, et votre pensée ; vous voyez que je puis croire mon groupe au complet. Cependant la présence, c’est beaucoup et vous me manquez. Quelle joie j’aurais à vous serrer la main. J’y supplée en vous écrivant, comme ce gorille qui croque un caillou quand il n’a pas de noix. Rien ne vaut votre parole, votre vaillante conversation, votre moi vivant s’affirmant par le regard et par l’esprit. Quand vous verrai-je ?

Tuus.


À Monsieur Ch.-L. Chassin.


11 juillet 1865.
Mon cher concitoyen,

Votre lettre à Guernesey ne m’est point arrivée, mais l’expression de votre honorable désir me parvient à Bruxelles, où je suis encore pour une semaine ou deux. Je serai charmé de voir mon nom parmi les noms chers et respectés dont vous m’envoyez la liste[61]. Votre belle pensée d’une médaille à Lincoln ne pouvait mieux se compléter que par l’envoi à la veuve, au nom de la démocratie française.

Recevez mon plus cordial serrement de main.

Victor Hugo[62].


À Frédéric Morin.


Bruxelles, 3 août 1865.

Cher philosophe, votre gracieux envoi m’a charmé. J’ai lu vos articles excellents ; j’ai lu vos Origines de la Démocratie. C’est un beau livre. Je me suis souvent arrêté sur ces pages profondes, leur faisant des questions auxquelles elles répondaient, conversation d’âme à âme entre vous et moi, à travers un livre. C’est que ce livre a la transparence de la lumière et le rayonnement de la vérité. J’ai causé avec votre ouvrage comme je causerais avec vous, et je vais l’emporter en voyage et m’en faire accompagner, car il est maintenant mon ami.

Vous donnez à la justice ses hautes et réelles formules, vous voyez l’histoire avec le regard du penseur, vous indiquez au Progrès sa vraie route dans l’avenir, en lui expliquant son véritable itinéraire dans le passé ; vous êtes la science servie par le style, le philosophe doublé de l’écrivain.

Je vous remercie de m’avoir fait lire cette œuvre enthousiaste et sagace, éloquente et logique ; je vous remercie de m’y avoir cité ; je vous remercie de l’avoir écrite.

Quand vous reverrai-je ? Vous m’avez laissé un souvenir cordial et charmant. Je sens encore la chaleur de votre serrement de main.


Votre ami,
Victor Hugo[63].


À Andrew Johnson.


[Septembre ou octobre 1865.]

L’Europe connaît votre noble carrière comme ouvrier, comme sénateur, comme gouverneur d’état. Elle attend beaucoup de vous comme président des États-Unis.

Je salue avec respect dans vos mains le drapeau de la république.

V. H.

Deux morts ont tué l’esclavage. La mort de Lincoln achève ce qu’avait commencé la mort de John Brown.

Ces deux meurtriers, Wysse en 1859, Booth en 1865, l’un en dressant le gibet, l’autre en frappant du poignard, ont été deux libérateurs involontaires. Ils ont montré leur principe, l’esclavage, debout et en quelque sorte

au pilori, entre deux assassinats[64].
À George Sand.


Bruxelles, 4 octobre 1865.

J’ai été absent et errant tout l’été. Je traverse Bruxelles pour marier mon fils Charles, puis retournerai à mon caillou en pleine mer. Paul Meurice me parle de vous, je sens le besoin de vous écrire. Voulez-vous me permettre de vous dire que je suis à vous du fond du cœur. Il y a des heures dans la vie où une sympathie, plus attendrie et plus profonde que jamais, se mêle à l’admiration qu’inspire un grand esprit. C’est ce sentiment-là que je vous envoie ; c’est ce respect-là que je mets à vos pieds[65].


À Émile Deschamps.


Hauteville-House, 5 nov. 1865.

J’arrive, cher Émile, et je trouve votre lettre du 28 juin. J’espère que quelque journal, tombé sous vos yeux par hasard, vous aura dit mon absence et par conséquent expliqué mon silence. Charles vient de se marier, et j’ai été, loin de mon trou de rocher, bénir un jeune bonheur. Je n’envoie pas de billets de faire part ; n’étant plus qu’un proscrit oublié, mais à vous je dis avec un serrement de main : aimez-moi dans mes enfants qui vous aiment.

Je viens de vider mon sac de vers dans un volume[66]. Je vous l’envoie. Admettez-le, frère en poésie, au foyer de votre cœur, sous les ailes de votre esprit.

Victor Hugo[67].


À Brofferio.


6 novembre 1865.
Mon éloquent et très cher ami,

Vous aurez appris, je l’espère, mon absence en lisant un journal quelconque et vous aurez compris les raisons de mon silence.

Aujourd’hui, je trouve votre noble et généreuse lettre du 24 juin. J’y vois, exprimées dans votre belle langue, toutes mes aspirations, toute mon indignation, toutes mes espérances, et votre cœur, en s’ouvrant ainsi, me trouve à l’unisson.

Tout ce que vous dites de la France, je l’augure, moi, pour l’Italie. Nous avons, vous et moi, le même symbole : le Progrès, la même foi : Dieu, la même patrie : la Liberté.

Cher concitoyen des États-Unis d’Europe, je vous embrasse et vous aime.

Victor Hugo[68].


À Auguste Villemot[69].


Hauteville-House, 12 nov. [1865].

La critique des poëtes, c’est la grande critique. Vous le prouvez tous les jours, mon noble et cher confrère, et vous venez d’en donner une démonstration éclatante en parlant des Chansons des Rues et des Bois. C’est la philosophie même de l’art que vous avez développée dans cette page si forte et si pleine. Vous avez dit avec la simplicité du connaisseur profond, une foule de choses neuves. Qui parlera du lac, et de la candeur, et de la blancheur, et de la sérénité, et des belles ailes qui nagent et qui volent, qui en parlera, si ce n’est le cygne ! Je vous remercie, mon vaillant ami, d’avoir donné au poëte le Welcome du poëte. Il y a toujours de l’orage autour de moi ; ce n’est rien ; car une page comme celle que vous venez de m’écrire dans Le Temps[70] à travers la nuit et la distance, a fait tout de suite au-dessus de ma tête le ciel bleu. Quelle sagesse vraie et fine, en même temps que haute, dans ce que vous dites de la gaîté des bonnes consciences ! Je me rappelle avoir bien ri avec vous. Aimez-moi toujours un peu. Je vous envoie mon tendre et fraternel serrement de main.

Victor Hugo[71].
À Madame Victor Hugo[72].


H.-H., 22 nov. [1865].

Victor te remettra, chère amie, une traite de 1 200 fr. à ton ordre et à vue sur Mallet frères. Le mois de décembre de Charles payé, le loyer et la location de meubles[73] payés (du 15 nov. au 15 Xbre) et tous les reliquats remboursés, cela fait 556 francs mis en compte à la maison. La nouvelle servante à l’essai fonctionne ici depuis deux jours. Elle paraît zélée. Julie la dresse. Je recommande qu’elle soit un peu élégante et pas bigote. Tu vois que je vais au devant de tes souhaits. Je voudrais que tous, vous reprissiez en gré ce pauvre Hauteville-House, si désert sans vous. Mon cœur se remplit d’ombre quand je rentre dans vos chambres vides. Pourtant avant tout, je veux que vous soyez heureux. Je veux qu’aucun cœur ne souffre, excepté le mien. Aimez-moi tous, mes bien-aimés, car je suis à vous et en vous. Vous êtes ma vie, lointaine et pourtant adhérente à mon âme. Chère femme bien-aimée, tes lettres sont bien douces. La tendresse y est à l’état de parfum. Je respire une lettre de toi comme la fleur de notre radieux printemps. Oh oui, il faut nous réunir tous. Je vous serre dans mes bras. Je te remercie de tes préoccupations pour l’économie et des soins que tu donnes à la maison[74].


À François-Victor[75].


H.-H., 22 novembre [1865].

Voici, mon Victor une traite de 1 200 fr. sur Paris. Ces 1 200 fr. se décomposent ainsi[76]. Je t’envoie aussi sous ce pli les deux premières pages pour MM. Chrétien de L’Yonne et J. Lesire. Dis à M. Verboeckhoven de leur faire remettre les exemplaires à Paris.

L’intention du journal de Charleroi est bonne, mais les chiffres pour Les Rayons et les Ombres et N. D. de Paris sont loin d’être exacts.

Je t’enverrai une lettre d’un professeur de lycée qui me parle de toi et de ta traduction-monument avec enthousiasme. Tu vois que j’ai un bon morceau de mon orgueil en toi, et dans mon Charles. Savez-vous que vous êtes tous deux de fiers arguments en faveur de l’hérédité ? Mais chut ! N’invoquons pas l’exception contre la règle.

Je t’aime profondément, mon Victor. Tu es bon et charmant.

V.

J’ai écrit à notre excellent ami Gustave Frédérix. Je pense qu’il vous a communiqué ma lettre. Mon Victor, dis à M. Verboeckhoven que samedi 25 peut-être, ou au plus tard au courrier suivant qui vous arrivera mercredi 29, il recevra le premier volume des Travailleurs de la mer avec toutes les indications nécessaires pour imprimer vite et bien. Je pense que je pourrai livrer les deux autres volumes dans le courant de décembre. Il sera donc facile de paraître fin janvier. Je corrigerai autant d’épreuves à chaque courrier qu’on m’en enverra[77].


À George Sand.


Hauteville-House, 28 novembre 1865.

Vous venez de m’écrire, dans L’Avenir National[78], une admirable lettre. Cette page me paye mon livre. Vous êtes un des plus grands esprits de la France et du monde, et, ce qu’il y a de plus beau dans le monde, un esprit fait de cœur. C’est le cœur, le cœur profond, qui parle, dans tout ce que vous dites , urbi et orbi. Ayant en vous toutes les tendresses, vous avez le droit de promulguer toutes les vérités. C’est une sublime et douce chose de voir reparaître, dans nos siècles de doute et de lutte, sous la magnifique figure de George Sand, la femme prêtresse. Votre pensée est, à ses heures, héroïque, parce qu’elle est bonne. De là votre puissance. Ce que vous dites de la vie, de la mort, du tombeau, de l’immense gamme des âmes sur la lyre de l’infini, des ascensions sans fin, des transfigurations sans nuit, tout cela, que vous faites voir et que vous faites penser, est vrai et pur, magnanime à dire, nécessaire à entendre. Quelques esprits, en ce siècle, font tapage par la négation ; c’est aux grandes âmes qu’est réservée l’affirmation. Vous avez le droit au oui. Usez-en. Usez-en pour vous et pour tous. Dieu a, au milieu des hommes, une preuve, le génie. Vous êtes, donc il est. Je considère une page affirmante comme un service rendu au genre humain, et quand cette page est écrite par vous, elle a une lumière double, la gloire s’ajoutant à la vérité.

Vous êtes triste, ô consolatrice. Ceci augmente votre grandeur. Laissez-moi vous dire que je suis profondément ému[79].


À Madame Victor Hugo. À ses fils[80].
Ma femme et mes enfants.


H.-H., 5 Xbre [1865].

J’enverrai par le prochain courrier le bon pour l’exemplaire de mes œuvres complètes destiné à M. Bérardi. Il y a en effet plus que droit.

Mes bien-aimés, je vous demande de ne pas insister, en ce moment du moins, près de MM. Verboeckhoven et Lacroix pour avoir communication, soit du manuscrit, soit des épreuves des Travailleurs de la mer. J’ai pour cela les raisons les plus sérieuses. J’ai plus d’ennemis que jamais, rien ne doit transpirer de ce livre, et il faut que toute la responsabilité reste sur les éditeurs. Je leur ai recommandé un secret absolu. Insistez de votre côté sur l’importance de ce secret, et donnez l’exemple en ne réclamant aucune communication. De cette façon, je pourrai exiger le huis-clos des épreuves, nécessaire plus que jamais, j’y insiste, et vous le comprenez. Aidez-moi. C’est une marque d’affection que je vous demande. Dès que je croirai possible, et sans inconvénient, de vous communiquer les bonnes feuilles, vous les aurez. En attendant, aidez-moi et aimez-moi. La haine est plus aux aguets que jamais ; il faut la déjouer.

Tendre embrassement à tous[81].


À Paul de Saint-Victor.


Hauteville-House, 10 décembre 1865.

La solitude serait pesante sans la communion avec les grands esprits. Je les cherche dans le passé, et ils me répondent ; je les cherche dans le présent, et ils me répondent aussi. Mes livres sont les lettres que je leur écris. Vous venez de m’accuser réception des Chansons des Rues et des Bois[82].

Vous avez lu ce livre et vous en parlez magnifiquement. Vous avez le don de formuler l’art en une ligne et d’écrire un poëme en une page. Votre critique peint, et dans votre éloquence il y a une philosophie. Du reste, c’est la règle ; c’est la règle sans exception : qui est splendide est profond.

Cette loi est dans la nature comme dans l’art. Elle éclate dans le soleil, et se répercute dans Homère.

Sur cette roche où je vis dans la brume et dans la tempête, je suis parvenu à me désintéresser de toute chose, excepté des grandes manifestations de la conscience et de l’intelligence. Je n’ai jamais eu de haine, et je n’ai plus de colère. Je ne regarde plus que les beaux côtés de l’homme ; je ne me courrouce plus que contre le mal absolu, plaignant ceux qui le font ou qui le pensent. J’ai profondément foi au progrès, les éclipses sont des intermittences, et comment douterais-je du retour de la liberté puisqu’à tous mes réveils j’assiste au retour de la lumière !

Vous êtes, dans ce temps trop tourné vers la matière, un distributeur d’idéal, vous rendez aux esprits cet immense service de leur faire comprendre l’âme universelle, démontrée par les chefs-d’œuvre dans l’art comme par les prodiges dans la création. Vous êtes une des lumières du beau et du vrai. Toutes les fois que mon nom tombe de votre plume, il me semble que j’entends un bruit de gloire. Je vous remercie.

Votre ami,
Victor Hugo.

J’ai à peine le droit de vous dire ce que je pense de votre admirable article ; laissez-moi pourtant ajouter un mot. Jamais analyse plus puissante et plus pénétrante n’a été au cœur d’une œuvre. Ensemble et détail, tout est saisi. Rien n’échappe à votre vision magistrale. La critique souveraine, c’est cela[83].


À Verboeckhoven.


H. H. 12 décembre [1865].

In haste. Je reçois votre mot, cher monsieur Verboeckhoven, et d’abord, dites ma profonde sympathie à M. Lacroix[84]. Ces pertes-là, qui font saigner le cœur, voilà, hélas ! les vraies plaies, les seules. Je ne sache pas de douleurs plus poignantes. J’écrirais à Mme  Lacroix si je ne sentais qu’il ne faut pas, dans une si horrible angoisse, toucher au cœur d’une mère, même pour le consoler. Lisez, je vous prie, ces quelques lignes à M. Lacroix et transmettez-lui mon serrement de main, muet, ex imo corde.

Maintenant, j’arrive à votre lettre. Vous avez choisi la publication première sans le chapitre préliminaire. Je n’approuve ni ne désapprouve. Les deux partis me paraissent bons à prendre. Seulement vous vous trompez, ce chapitre préliminaire (l’Archipel de la Manche) tient au cœur même du livre. Il n’en sera d’ailleurs que mieux accueilli comme préface de la seconde édition. Vous vous trompez encore en croyant, sans le chapitre préliminaire, à des volumes de 340 pages. Vous n’aurez, je le crois, que des volumes de 320 pages au plus. Avec le chapitre préliminaire vous auriez eu trois volumes de 360 pages au moins chaque. Je vous engage à dilater le plus possible, puisque vous vous privez de ce chapitre, dans la première ou les premières éditions. Il y aura deux pages de préface, il faut donc paginer à partir de 6 et non de 4. Rectifiez, je vous prie.

N’oubliez pas que la disjonction du chapitre préliminaire et son ajournement entraînent trois conditions absolues :

1° La remise sous cachet dudit chapitre jusqu’à ce qu’on le mette sous presse (huis clos nécessaire) ;

2° La fixation préalable de l’édition à laquelle on le joindra (sera-ce la 2e ? la 3e question) ;

3° Le tirage spécial et la mise à la disposition du public dudit chapitre, qui devra être livré gratuitement à tout acheteur des premières éditions sur la présentation de son exemplaire (qu’on estampillera en livrant la préface). Ceci fut fait pour la grande préface du Dernier jour d’un condamné. La loyauté l’exige. Autrement on punirait les premiers acheteurs de leur empressement, en leur décomplétant leur exemplaire par une addition si importante, qui leur manquerait.

Ne faites pas mettre encore en page le livre V (le Revolver), j’ai un chapitre ajouté très important à vous envoyer. — J’allais vous envoyer deux paragraphes nouveaux ajoutés au chapitre préliminaire. Je suspends l’envoi jusqu’à la mise sous presse. Je profiterai de l’ajournement pour compléter encore ce chapitre. Je reçois vos trois feuilles à deux heures de l’après-midi. Il est cinq heures du soir. Je vous les renvoie corrigées. Tout marchera vite de mon côté. Je vous recommande toujours, épreuves et manuscrit, le secret le plus absolu. Mon prochain envoi vous portera du manuscrit. — Il y a eu trois admirables articles : George Sand, Jules Janin, Paul de Saint-Victor, et d’autres encore[85]. M. Ch, Aubertin[86] a fait un très bon article.

Mille bien affectueux compliments[87].
À Philippe Burty.


H.-H., 14 décembre [1865].

Vous me demandez mon portrait, cher monsieur, et c’est moi qui vais vous le demander. Quoi ? mon portrait ? Oui, mon portrait. Faites-moi un plaisir, rendez-moi un service. Vous êtes à Paris, vous êtes influent et puissant, moi je suis absent et solitaire, voulez-vous voir pour moi mon excellent ami M. Carjat, à qui j’ai envoyé les Chansons des Rues et des Bois, et lui exposer ma détresse ? Il m’avait promis de m’envoyer mes portraits-cartes. Je n’en ai pas. En a-t-il encore ? S’il en a, peut-il m’en donner ? S’il vous en donne pour moi, prenez la meilleure épreuve et apportez-la moi ici vous-même, parce que j’écrirai au bas votre nom et le mien. J’ai du front, n’est-ce pas, de vous proposer ainsi, à brûle-pourpoint, mon rocher, mon océan, ma solitude et mon image. Je me figure que mon hiver peut vous tenter, vous qui êtes dans la lumière. Tels sont nos rêves.

Oh ! la ravissante petite fille[88]. Et comme ce charmant portrait accompagne bien votre charmante lettre ! Il la complète. À propos de belles choses, avez-vous lu l’admirable article de M. de Saint-Victor ? La Gazette d’ici l’a reproduit avec enthousiasme. Pensez un peu à moi. À bientôt.

Je vous serre la main ex imo.

Victor Hugo[89].


À François-Victor[90].


H.-H., 19 Xbre [1865].

Voici, mon Victor, ton remboursement[91]. J’ai eu le mois dernier une petite ophtalmie, à la vérité très aigüe. La voilà maintenant dans tous les journaux, et ce bobo devient un événement européen. Victor Hugo aveugle, un œil sévère fermé à jamais, cela plaisait aux hontes du temps présent. M. Le Ber pourtant vient de me dire que le Times annonce ma cécité avec quelque regret.

Je suis surmené de travail. Je vous embrasse tous, mes aimés,


À Madame Victor Hugo[93].


H.-H., 27 Xbre [1865].

Je suis dans un violent coup de feu. Quatre mots au galop. Chère amie tu trouveras sous ce pli un effet à ton ordre sur Mallet de 1 100 fr.[94].

Charge toi de prier Auguste de s’entendre avec P. Meurice pour me rendre le grand et très grand service qu’ils m’ont déjà rendu pour Les Misérables. Je place sous leur fraternelle providence Les Travailleurs de la mer. Au reste, j’écrirai prochainement de mon côté à tous les deux. Je suis accablé de travail et de crépuscule. Les jours fuient sous mon effort. Je répondrai bientôt en détail à la bonne lettre de mon bien-aimé Charles. C’était justement Lecanu que je voulais lui conseiller de prendre pour guide et point d’appui. Il paraît que c’est impossible dans le cas donné. Je le regrette. J’ai prévenu M. Verboeckhoven que je donnais la haute main pour l’impression et la publication à Paris des Travailleurs de la mer à MM. Vacquerie et Meurice, mes alter ego.

Profondes tendresses à vous quatre, mes aimés.

V. H.

J’ignore quel sera le succès des Travailleurs de la mer ; j’ai à compter avec tous ces acharnements coalisés. Mais je me sens cuirassé. Le premier volume est tout en exposition comme pour Notre-Dame de Paris. Cette exposition occupe les quatre premiers livres. Les dix livres qui suivent à partir du livre le Revolver sont un drame comme je n’en ai point fait de plus grand, si j’ai fait quelque chose dans ma vie. Je suis content de cette œuvre[95].


À MM. Lacroix et Verhoeckhoven.


H. H. Jeudi 28 [décembre 1865].

C’est à vous, mes honorables et chers éditeurs, que j’ai laissé l’option, et je ne la reprends pas.

Choisissez, je vous prie, entre ces deux partis à prendre :

1° Ajourner le chapitre préliminaire. Et en ce cas me renvoyer, courrier par courrier, la copie que vous en avez. Je vous en ai dit les raisons. Vous-mêmes ne devez pas souhaiter la responsabilité de ce manuscrit entre vos mains, à l’état inédit.

2° Publier immédiatement (dès la première édition, puisque nous ne pouvons être d’accord sur la distribution gratuite ultérieure aux premiers acheteurs) le chapitre préliminaire , l’Archipel de la Manche. Le serrer le plus possible. Séparer les paragraphes par deux lignes de blanc seulement où seront le chiffre et le titre, l’imprimer en assez petit texte pour qu’il ne fasse qu’une feuille et demie, le paginer en chiffres romains. De cette façon, tout inconvénient est évité. Il ne pèse plus sur le livre, et, au contraire, il l’aide et le fortifie. Le petit caractère, ôtant l’importance, ôte le prétexte même à la mauvaise foi. C’est une note, un renseignement, rien de plus. L’avantage, en outre, c’est que nous prouvons, par ce petit texte, que nous n’avons eu aucun désir de grossir les volumes. Je crois ce parti-là excellent. Le roman, en gros caractère, a toute l’importance et appelle immédiatement le lecteur.

Vous recevrez cette lettre après-demain soir samedi. Répondez immédiatement. Si c’est le renvoi de la copie que vous avez, c’est bien, cela me va, ajournons. Si vous optez pour la publication immédiate, cela me va aussi, et, par retour du courrier, vous aurez les deux paragraphes ajoutés. — Sous ce pli quatre feuilles.

Marchez aussi vite que vous voudrez.


À Madame Victor Hugo. À ses fils[96].


[28 décembre 1865.]

Merci, chère bien-aimée, de tout ce que tu m’écris d’utile sur Hetzel. Ma prochaine lettre en parlera.

Surtout, chers fils, comprenez-moi bien. Aidez-moi. Faites en sorte que cette affaire Chap. Prél.[97] soit terminée immédiatement et sauvez-moi de la prolongation de cette correspondance mortelle à mon travail ; faites en sorte qu’on ne me fasse plus écrire de lettres à ce sujet. Rien de plus simple. Vous avez pleins pouvoirs. N’hésitez pas à lire toute ma lettre à ces messieurs. Demandez en mon nom l’exécution des conditions sans lesquelles je n’eusse point donné l’option. La publication du chapitre préliminaire avant la 1re édition a des inconvénients, moins pourtant que cette publication ajournée indéfiniment et laissée à la discrétion de la maison Lacroix, le plus sage est qu’on publie (aux conditions dites) avec la deuxième édition, ou qu’on me renvoie le manuscrit. Je ne puis laisser ce manuscrit inédit et ajourné en des mains tierces. Demandez absolument qu’on vous le remette immédiatement (et qu’on détruise la composition, si elle est commencée). J’insiste jusqu’au rabâchage pour n’avoir point à revenir sur ceci. Ne lisez pas le manuscrit, et renvoyez-le-moi par la poste, paquet chargé (registered).

Je vous répète que vous pouvez être tranquilles et que vous serez contents de ce livre. J’ai fait aussi bien, mais pas mieux. Que le succès manque ou soit entravé, c’est possible. Mes éditeurs commencent.

Je n’ai plus que la place d’un million de tendresses pour vous[98].


À Auguste Vacquerie[99].


H.-H., 30 Xbre [1865].

Je pense comme vous de l’article de M. E. des Essarts[100]. Je lui écrirai, mais que j’eusse été ravi de lire votre lettre. Je suis bien bêtement attaqué, mais être défendu par vous ! comme cela redouble le prix de l’attaque. Comme j’aime mes ennemis puisque vous êtes mon ami !

Suis-je énormément indiscret en vous priant d’être, avec Meurice, ce que vous fûtes pour Les Misérables, cette fois en faveur des Travailleurs de la mer. Ideo precor. Voici que Claye va imprimer. — Les quatre premiers livres sont l’exposition. À partir du livre V (le Revolver) commence le drame, qui, sans temps d’arrêt et tout d’une haleine va jusqu’à la fin. Je crois qu’on ne regrettera pas les quatre premiers livres de préparation. Je pense que vous serez content quant au succès.

Les temps qui viennent feront ce qu’ils pourront de mes livres et de moi ce qu’ils voudront. Mais pour vous, je veux le succès ! Et votre prochaine œuvre l’aura, j’en réponds.

Encore un mot. Voici un pont des goths que je vous envoie. Je vous ai déjà envoyé un pont des mores. Ce sont mes souvenirs d’enfance et d’Espagne. En voulez-vous ?

  1. Inédite.
  2. Extrait de journal collé sur la lettre : — « Dans un temps comme le nôtre, il n’y a pas de petits faits, et tout ce qui émane du gouvernement a une signification qu’il ne faut ni exagérer ni méconnaître. Nous attachons donc une certaine importance à l’autorisation donnée à M. Beauvallet, par M. Duruy, de lire aux conférences de la rue Cadet : Hernani, Le Roi s’amuse, et les autres drames de Victor Hugo... Mais si M. Duruy croit, avec raison, que Don Carlos, Triboulet, François Ier et tous les personnages mis en scène par le poëte peuvent être, sans danger, présentés au public, pourquoi l’autorité paraît-elle penser qu’il n’en serait pas de même au théâtre, et pourquoi ne peut-on jouer les pièces qu’il est permis de lire publiquement ? Quand donc laissera-t-on à la Congrégation de l’Index ces procédés d’un autre âge ? »
  3. Bibliothèque Nationale.
  4. La fiancée de François-Victor, Mme  Émily de Putron, était morte le 14 janvier ; le 18, Mme  Victor Hugo avait emmené son fils à Bruxelles pour le soustraire aux émotions de l’enterrement.
  5. Victor Hugo avait prononcé sur la tombe une allocution dont il avait envoyé le manuscrit à François-Victor.
  6. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  7. L’autorisation pour la lecture publique d’Hernani fut retirée au dernier moment, et Beauvallet remplaça Hernani par Cinna.
  8. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  9. Inédite.
  10. Bibliothèque Nationale.
  11. Inédite.
  12. Adèle était, à cette époque, à Halifax.
  13. Cette lettre concernait Adèle, mais ne connaissant pas l’anglais, Victor Hugo ne pouvait en savoir le contenu.
  14. Bibliothèque Nationale.
  15. Inédite.
  16. Autre lettre en anglais, datée d’Halifax.
  17. Bibliothèque Nationale.
  18. César Beccaria, publiciste italien, lutta contre les iniquités de la justice criminelle et fut l’adversaire acharné de la peine de mort. Son écrit le plus célèbre est le Traité des délits et des peines. Nos philosophes français l’admiraient sans réserves.
  19. 'Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  20. Inédite.
  21. Les Travailleurs de la mer.
  22. Rogeard, ancien combattant du coup d’État, venait de publier Les propos de Labienus, violente critique du régime impérial. La lettre de Victor Hugo à Rogeard est publiée dans le Reliquat de Pendant l’exil. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  23. Bibliothèque Nationale.
  24. Inédite.
  25. La souffrance d’un amour malheureux portait Adèle à se rendre partout où M. Pinson était envoyé par ses chefs. Elle espérait toujours que, touché par cette persévérance, il l’épouserait.
  26. Bibliothèque Nationale.
  27. Inédite.
  28. Jules Janin ne fut élu qu’en 1871.
  29. Collection de M. Moulin.
  30. Inédite.
  31. Bibliothèque Nationale.
  32. Inédite.
  33. La Grève de Samarez, dont la première livraison est enregistrée le 2 mai 1863 dans la Bibliographie de la France, fut publiée en deux volumes, la plus grande partie du second n’est qu’une violente attaque de la philosophie de Victor Hugo. Quelques coups de griffe à Vacquerie.
  34. Bibliothèque Nationale.
  35. Inédite.
  36. Deux ans après avoir envoyé ces vers à Victor Hugo, Jean Aicard publia son premier volume : Les Jeunes croyances ; il avait dix-neuf ans. Alors, de 1867 à 1919, se succédèrent poésies, romans (le plus lu actuellement est Maurin des Maures), à-propos, études, drames, comédies (la plus applaudie, Le Père Lehonnard, connut un grand succès dans toute l’Europe et entra, en 1889, au répertoire de la Comédie-Française). — Communiquée par M. Léon de Saint-Valéry.
  37. La France sous le régime bonapartiste.
  38. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  39. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  40. Inédite.
  41. Réponse à la souscription demandée pour l’édition d’un livre : L’œuvre privilégiée d’un mourant. Antony de Menou mourut en 1865. Collection de M. Pauley.
  42. Inédite.
  43. Lettre et réponse sont publiées dans Actes et Paroles. Pendant l’exil. La lettre du Gonfalonier de Florence est reproduite dans l’historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  44. Bibliothèque Nationale.
  45. Inédite.
  46. Bibliothèque Nationale.
  47. Les Travailleurs de la mer. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  48. L’auteur fait allusion à Jean Valjean sortant du bagne et repoussé de partout.
  49. Le Figaro. 9 juin 1865.
  50. La Revue, octobre 1903.
  51. La Presse, 27 juin 1865.
  52. Du 14 juin 1865. Dumas y protestait contre la suspension de ses conférences, suspension provoquée par ses paroles sur Victor Hugo.
  53. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.<
  54. Inédite.
  55. Premier titre des Travailleurs de la mer.
  56. Plusieurs titres des livres ont été modifiés.
  57. Il s’agissait de la comédie : Mangeront-ils ?
  58. Collection Louis Barthou. Lettre reliée dans un exemplaire des Travailleurs de la mer.
  59. Inédite.
  60. Bibliothèque Nationale.
  61. Le Phare de la Loire avait demandé à Victor Hugo son adhésion à une souscription organisée pour offrir à la veuve de Lincoln une médaille commémorative. C’est Charles-Louis Chassin qui avait eu l’idée de cette souscription que Le Phare de la Loire organisa.
  62. Le Phare de la Loire, 2 août 1865.
  63. Archives de la famille de Victor Hugo.
  64. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  65. Archives de Mme  Lauth-Sand.
  66. Les Chansons des rues et des bois.
  67. Collection de Mme  Paignard. — Henri Girard, Émile Deschamps.
  68. Giornale d’Italia, Rome. (Coupure de journal sans date.)
  69. Auguste Villemot, journaliste, écrivit la plupart de ses articles dans Le Figaro, et publia quelques livres de critique.
  70. Le Temps du 5 novembre 1865.
  71. Communiquée par M. Matarosso, libraire.
  72. Inédite.
  73. Mme  Victor Hugo avait loué des meubles à Bruxelles pour s’y installer après la mort d’Émily de Putron, François-Victor ne voulant pas revenir à Guernesey.
  74. Bibliothèque Nationale.
  75. Inédite.
  76. Suivent les comptes.
  77. Bibliothèque Nationale.
  78. Article du 24 novembre 1865 sur Les Chansons des rues et des bois.
  79. Archives de Mme  Lauth-Sand.
  80. Inédite.
  81. Bibliothèque Nationale.
  82. La Presse, 7 décembre 1865.
  83. Collection Paul de Saint-Victor.
  84. Albert Lacroix venait de perdre un enfant.
  85. Sur Les Chansons des rues et des bois.
  86. Aubertin, journaliste, professeur, maître de conférences à l’École Normale, a publié plusieurs livres sur la littérature française.
  87. Travailleurs de la mer. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  88. Philippe Burty avait envoyé à Victor Hugo le portrait de sa fille avec ces lignes : « Ne sachant comment vous remercier, je vous envoie le portrait de ma petite fille, un joli poëme blond et rose qui a été ébauché il y a cinq ans. Elle s’appelle Madeleine. Elle est fine comme le parfum de l’ambre ». 25 novembre 1862.
  89. La Revue, octobre 1923.
  90. Inédite.
  91. Suivent les comptes de ménage.
  92. Bibliothèque Nationale.
  93. Inédite.
  94. Suivent les comptes.
  95. Bibliothèque Nationale.
  96. Inédite.
  97. Chapitre Préliminaire.
  98. Collection Louis Barthou.
  99. Inédite.
  100. Emmanuel des Essarts, professeur de rhétorique et de littérature française, laissa plusieurs ouvrages de critique et quelques volumes de poésies. — Bibliothèque Nationale.