1850.


À Brofferio[1].


Paris, 8 février 1850.

Vous avez voulu que le parlement d’Italie fît écho à l’Assemblée de France. Du haut de cette tribune de Turin, qui est l’espoir de la liberté et de l’indépendance italiennes, vous m’avez adressé de nobles et éloquentes paroles. Votre voix a été au fond de mon cœur. J’ai besoin de vous le dire. L’Italie peut compter sur moi comme elle compte sur vous. Je me regarde comme le plus humble de ses fils, et je viens serrer la main à vous, qui êtes l’un des plus glorieux.

Ayez foi dans la France ; la France et l’Italie ont un passé commun : la gloire, et un avenir commun : la liberté !

Recevez, monsieur, l’assurance de ma haute et fraternelle considération.

Victor Hugo.[2]


À Paul Meurice[3].


Lundi [18 mars 1850].

Cher poëte, nous ne vous avons pas eu hier soir, mais je vous ai ce matin[4]. Votre noble esprit entre chez moi avec le premier rayon de soleil. Merci. À la manière dont vous admirez, je sens que vous aimez. Être aimé d’un homme comme vous, c’est là une gloire qui me va au cœur.

À bientôt, n’est-ce pas ? À dimanche dans tous les cas.

Je vous serre la main.

Victor Hugo.[5]
À Madame Henriette Vauthier.


Madame,

Je ne suis rien qu’un homme honnête et je n’ai pas d’autre passion parmi les hommes que la justice et la vérité, je suis de ceux qui souffrent, avec ceux qui aiment, avec ceux qui travaillent, je hais toutes les formes de la tyrannie et je n’ai qu’un vœu dans ce monde, faire tomber les armes et les chaînes.

Votre lettre si noble et si douloureuse va au fond de mon cœur. Si je devais être récompensé, madame, vos remerciements me récompenseraient bien au delà du peu que j’ai fait et du peu que je vaux ; dites à celui que vous aimez et dans lequel vous souffrez que ma main se tend vers lui fraternellement. Hélas ! pourquoi donc dans cette France y a-t-il encore des haines ?

Veuillez recevoir, madame, l’hommage de mon douloureux respect.

Victor Hugo[6].
7 avril 1850. Dimanche.


À Monsieur Allier,
directeur-fondateur de Petit-Bourg[7].


2 juin 1850.
Monsieur,

Lorsque, il y a deux ans, le conseil d’administration de la colonie de Petit-Bourg m’offrit, avec une unanimité qui est pour moi un bien précieux souvenir, l’honneur de le présider, une pensée que vous voulûtes bien, vous, monsieur, particulièrement faire valoir près de moi, détermina, vous vous en souvenez, mon acceptation ; ce fut l’idée qu’il me serait donné peut-être d’être utile à ces pauvres enfants du peuple pour lesquels est instituée votre pieuse fondation. Depuis cette époque, j’ai fait, vous le savez, en toute circonstance, tout ce qui a été en mon pouvoir pour répondre à l’honorable confiance du conseil d’administration, et si je ne me suis pas toujours occupé de Petit-Bourg autant que je l’aurais voulu, c’est que d’impérieux devoirs publics réclamaient d’un autre côté tout mon temps et tout mon dévouement.

Aujourd’hui j’apprends, à n’en pouvoir douter, que la présence d’un membre de l’opposition à la tête de votre conseil semblerait inspirer aux hommes de l’administration et du gouvernement quelque froideur pour la colonie de Petit-Bourg. Or Petit-Bourg, pour l’œuvre si onéreuse et si charitable qu’il a entreprise, a besoin de l’aide du gouvernement. Cette aide retirée ou simplement diminuée, l’existence de la colonie est compromise. Ceci, monsieur, me dicte une résolution qui sera comprise et approuvée par toutes les consciences honnêtes.

Permettez-moi de laisser de côté toute considération personnelle et de ne me préoccuper que des cent cinquante pauvres enfants auxquels nous voulons assurer le double avenir de chrétien et de citoyen ; j’ai voulu servir Petit-Bourg en entrant parmi vous, je veux le servir encore en me retirant.

J’ai l’honneur de vous envoyer, et je vous prie de faire agréer à mes honorables collègues du conseil d’administration, ma démission des fonctions de président.

Moi disparu, tout motif de refroidissement des hommes du pouvoir pour la colonie disparaît, et les secours dont vous avez besoin ne seront désormais, j’espère, ni refusés, ni ajournés.

Pour prévenir toute objection et pour le cas où le conseil aurait la bonté d’hésiter en présence de ma démission, permettez-moi d’ajouter que cette détermination, puisée dans ce que la conscience a de plus rigoureux et de plus élevé, est irrévocable. Tous, à ma place, vous feriez ce que je fais.

Ces pauvres et chers enfants, je veux, je le répète, les servir et non leur nuire. Qu’il ne soit pas dit que quoi que ce soit de nos tristes discordes publiques ait jamais pu rejaillir jusqu’à eux ! D’ailleurs, je ne leur dis pas adieu, et si je cesse d’être votre président, je reste votre souscripteur. Ceci, je pense, ne portera pas ombrage au gouvernement.

Recevez, monsieur, et veuillez transmettre à MM. les membres du conseil, avec mes vifs remercîments pour tant de témoignages de cordialité qui ont marqué nos relations, l’assurance de mes sentiments les plus sincèrement dévoués.

V. H.[8]
À Monsieur Henri de Lacretelle.


À l’Assemblée, 3 juin 1850.

Merci, cher poëte. Quelles belles et bonnes paroles vous m’envoyez ! La lutte est vive, les ennemis sont ardents, les haines hurlent à pleins poumons, mais que votre serrement de main m’est doux au milieu de cette mêlée ! En ce moment, pendant que je vous écris, j’entends aboyer la droite ; ma pensée cherche la vôtre à travers ce vacarme, et il me semble que je ressens la douce contagion de votre sérénité.

Que vous êtes heureux parmi vos fleurs et vos arbres, avec votre bon père qui vous parle, avec votre charmante femme qui vous sourit ! Vous avez la nature, la poésie, l’amour, le bonheur. Nous, nous n’avons sous les yeux que la rage dans le sénat et la honte dans les lois. Que cette minute que nous traversons est laide et petite ! Heureusement que le siècle est grand.

Faites-nous de beaux vers, envoyez-moi de nobles pages et aimez-moi.


À Charles Edmond[9].

Puisque la persécution, monsieur, vous oblige à quitter la France, vous trouverez, j’espère, sur une autre terre l’accueil hospitalier que méritent vos sentiments élevés et votre esprit sympathique et noble. Ceux qui vous connaîtront vous apprécieront bien vite, et je serai heureux pour ma part d’apprendre qu’on ne vous fait pas trop regretter la France.

Nous vous reverrons ici, monsieur, je n’en doute pas, vous connaîtrez la prospérité après l’adversité, mais vous reviendrez à votre vraie patrie qui est la France et qui ne vous repoussera pas toujours, soyez-en sûr. Je ne vous dis donc pas adieu, et je vous envoie, avec tous mes souhaits de bonheur, l’assurance de tous mes sentiments de cordialité.

Victor Hugo[10].
9 juin 1850.
À François-Victor[11].


[2 juillet 1850.]

Il paraît certain qu’une dépêche télégraphique annonce la mort de Robert Peel[12]. Informe-toi, et annonce-le[13]. Car ceci serait un grand événement.

M. Peel était l’espoir, la chance, le pont du parti tory. Aujourd’hui le pont est rompu, le parti tory reste sur l’autre rive, sur la rive du passé, sans aucun moyen de rejoindre ni le présent, ni l’avenir. Palmerston[14] reste seul, et le progrès. C’est un rude coup d’en haut. La providence vote après les Communes, et vote de même[15].


À Paul Meurice.


Mon cher ami, L’Événement d’aujourd’hui me parvient à dix lieues de Paris, et j’y lis avec regret un feuilleton de votre jeune et spirituel collaborateur M. Gaiffe. Vous savez que je suis un de vos lecteurs les plus sympathiques, nous défendons sur des terrains différents les mêmes principes, et vous permettez dans l’occasion à mon amitié quelques observations. Laissez-moi vous dire que cet article, qui m’a paru injuste pour trois poëtes de talent[16], m’a vivement contristé. Dans l’idée que je me fais de L’Événement, il me semble que ce n’est pas dans un tel journal que les hommes de talent peuvent être attaqués.

Vous êtes de ceux qui avertissent et qui conseillent le talent, mais en le glorifiant toujours. Et, en particulier, au moment où M. de Musset[17] se présente à l’Académie, L’Événement, journal des générations nouvelles et des idées vraies, doit, comme nous tous, ne le pensez-vous pas, son concours le plus cordial et le plus absolu à ce jeune et glorieux candidat, que je n’hésite pas, pour ma part, à ranger parmi les plus charmants esprits et les plus éminents poëtes de notre temps et de tous les temps.

Au reste, je ne fais là que vous dire ce que vous pensez et que vous rappeler ce que vous faites. Vous n’avez, pour satisfaire les plus généreuses consciences, qu’à rester d’accord avec vos traditions de tous les jours. Si j’étais à Paris, je vous le dirais ; je suis à la campagne, je vous l’écris. Vous me le pardonnerez, n’est-ce pas ?

Je vous serre la main.

Victor Hugo[18].
17 août [1850].


À Auguste Vacquerie[19].


Cher Auguste, au lieu de vous serrer la main, je vous écris, c’est triste. Au lieu d’aller chercher le beau soleil que vous voyez et les beaux vers que vous faites, je tends ma gorge, non au fer de Calchas, mais au nitrate d’argent du docteur Louis. C’est hideux.

Pensez un peu à moi. Je ferai effort pour vous aller voir, j’en ai bien besoin et bien envie. Cependant M. Louis me dit d’attendre encore. Mais je m’échapperai, je l’espère. À vous — toujours et du fond du cœur.

V.
[2 7bre 1850.]

Tous mes respects à madame votre mère et à madame votre sœur[20].


À Ziegler[21].
Mon cher Ziegler,

La personne qui m’envoie cette lettre pour vous la faire parvenir est une mère dont la fille est morte. Il s’agit d’un pauvre enfant, et c’est la vieille aïeule au bord de la tombe qui me prie, et c’est la femme morte couchée dans sa fosse qui vous supplie.

Au moment où elle a su qu’elle était condamnée à mort, Mme Eugénie Drouit a écrit ceci pour vous. À un pareil instant on dit vrai. Quant à moi, je la crois ; j’en croyais déjà ce sourire de l’enfant qui vous ressemble ; j’en crois à jamais la parole de cette mère qui a dit son dernier mot et qui ne parlera plus.

C’est à Dieu maintenant qu’elle recommande son fils dans le ciel pendant que je vous le recommande sur la terre.

J’accomplis ce devoir le lendemain du jour où j’ai failli moi-même perdre mon enfant.

Il me semble que Dieu même m’inspire en ce moment. Qu’il vous inspire aussi !

Cet enfant sera sauvé dans cette vie et une mère sera réjouie dans la tombe.

Lisez ceci. J’espère en vous. J’espère en votre cœur.

Votre vieil ami.

Victor Hugo.
7 9bre 1850[22].


À F. Ponsard[23].


Paris, 3 décembre [1850].
Mon cher confrère,

Je vous remercie. J’ai lu votre livre. C’est une œuvre forte et vivante. Le souffle révolutionnaire y est mêlé au souffle humain. Vous avez su joindre un drame[24] pathétique à l’épopée formidable que donne l’histoire. Et le style est excellent. Quand je vous verrai, j’aurai plaisir à causer avec vous de tout ce qui m’a touché et charmé.

Recevez mon meilleur serrement de main.

Victor Hugo[25].


À Pierre Cauvet[26].


[4 décembre 1850.]

Espérez, mon pauvre poëte, le désespoir n’est pas d’un cœur qui croit ni d’un esprit qui pense ; et puis, d’ailleurs, qu’est-ce qui vous alarme ? Aucun de ceux qui vous connaissent, et qui savent tout ce qu’il y a de noble et d’élevé en vous, n’a pu vous croire coupable. Quant aux juges, je suis convaincu qu’il y aura une ordonnance de non-lieu. J’ai vu deux fois votre malheureuse femme, et tout ce qu’elle m’a dit me prouve que l’accusation tombera d’elle-même.

Hélas ! nous autres hommes de l’opposition, nous sommes de bien mauvaises recommandations à cette heure ; pourtant, je trouverai moyen de faire savoir à votre juge d’instruction tout ce que je pense et tout ce que je sais de vous.

Allons, courage ; relevez la tête, puisque vous êtes innocent, et relevez votre âme puisque vous êtes chrétien.

Je vous serre la main.

Victor Hugo.

  1. Brofferio, avocat et député au Parlement de Turin, devint le chef de l’opposition démocratique et fonda plusieurs journaux. Il joua un rôle très actif dans la politique de son pays et, défendant les mêmes idées que celles de Victor Hugo, il échangea avec lui, de 1850 à 1865, une correspondance d’un grand intérêt.
  2. L’Évènement, 17 février 1850. Reproduit dans Actes et Paroles, Avant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  3. Inédite.
  4. Feuilleton de L’Événement (18 mars 1850) sur le drame Notre-Dame de Paris, tiré par Paul Foucher du roman de Victor Hugo.
  5. Bibliothèque Nationale.
  6. Jean Pierre Barbier. Juliette Drouet, sa vie, son œuvre.
  7. Inédite. — La colonie de Petit-Bourg adoptait les enfants pauvres, les orphelins et les enfants trouvés de Paris ; après la révolution de Février 1848, elle recueillit aussi les jeunes détenus au-dessous de 16 ans « acquittés comme ayant agi sans discernement ». En décembre 1848, Victor Hugo avait sollicité pour Petit-Bourg le patronage du président de la République, mais en 1850, passé définitivement dans les rangs de l’opposition, il craignit pour la colonie la suppression de la subvention du gouvernement.
  8. Brouillon. Archives de la famille de Victor Hugo.
  9. Inédite. — Charles Edmond, pseudonyme de Chojecky, sujet polonais ; homme de lettres, il collabora à des journaux d’opinion très avancée ; en 1849 il publia une brochure : Les révolutionnaires et les partis rétrogrades en 1848. Compromis dans un procès de presse, il se rendit en Égypte, puis en Suisse. Quand il revint en France, en 1850, un décret expulsa les Polonais. C’est alors qu’il reçut de Victor Hugo cette lettre. Il laissa plusieurs comédies et drames et quelques études historiques.
  10. Collection Jules Claretie.
  11. Inédite.
  12. Robert Peel, membre de la Chambre des Communes, très populaire en Angleterre.
  13. François-Victor était, avec son frère Charles, l’un des cinq fondateurs du journal L’Événement ; les trois autres étaient Paul Meurice, Auguste Vacquerie et Camille Erdan ; le premier numéro parut le 1er août 1848.
  14. Lord Palmerston, adversaire de la politique de Robert Peel, connut de grands succès à la Chambre des Communes.
  15. Bibliothèque Nationale.
  16. Alfred de Musset, Théophile Gautier, Sainte-Beuve.
  17. Alfred de Musset fut présenté à Victor Hugo par Paul Foucher, son camarade au collège Henri IV ; il lut ses premiers vers rue Notre-Dame-des-Champs et fut tout de suite apprécié et encouragé ; dès 1828 Musset écrit déjà à Victor Hugo : mon cher ami ; il y eut pourtant un nuage qui disparut bientôt, car lorsque Musset brigua les suffrages de l’Académie, sept fois le vote de Victor Hugo lui fut acquis ; la lettre du 17 août 1850 montre en quelle estime le chef de l’école romantique tenait le poète des Nuits.
  18. L’Évènement, 18 août 1850.
  19. Inédite.
  20. Bibliothèque Nationale.
  21. Inédite. — Ziegler, peintre de talent, eut des tableaux acquis par différents musées de France. Il fonda, près de Beauvais, une poterie qui porte son nom.
  22. Copie de Mme Drouet. Communiquée par M. Cornuau.
  23. Ponsard se destinait au barreau, mais une traduction de Manfred, écrite en 1837, le poussa à aborder le théâtre. Sa première tragédie, Lucrèce (1843), eut d’autant plus de succès qu’elle servait, par le retour au style noble et au « bon sens », les rancunes des classiques contre le romantisme ; venant après L’échec des Burgraves, on espérait que le triomphe de Lucrèce avait à tout jamais enterré le théâtre de Victor Hugo : on joue toujours Hernani et Ruy Blas et ceux qui ont vu jouer ou lu Lucrèce sont bien rares. Les pièces de Ponsard ne réussirent qu’à moitié ; il faut en excepter L’Honneur et l’Argent et Le Lion amoureux qui restèrent assez longtemps au répertoire.
  24. Charlotte Corday, drame représenté le 23 mars 1850, fut reprise au Théâtre-Français en 1902.
  25. Le Gaulois, 24 février 1902.
  26. Pierre Cauvet, accusé à tort de vol au Mont-de-Piété où il était employé ; reconnu innocent, il publia dans L’Évènement, 10 mai 1851, la lettre de Victor Hugo.