(tome 1p. 630-634).
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1847.


À Victor Foucher[1].


Paris, 11 janvier 1847.

Voici, mon cher Victor, un brave et courageux homme digne de tout ton intérêt. Il s’appelle M. Pierre Cauwet[2], et il te remettra cette lettre. Il est ouvrier et homme de lettres, je l’aime à ce double titre. Il a femme, mère, sœur, toute une pauvre famille dont il est l’espoir et le soutien. Aide-le de ton mieux[3], mon cher frère, dans sa noble et pénible tâche. Je t’en serai obligé du fond du cœur.

Je te serre la main.
Victor H.[4]


À Arsène Houssaye.


6 février 1847.

Madame Victor Hugo me dit l’affreuse douleur qui vient de vous frapper[5]. Mon cher poëte, je vous envoie ainsi qu’à la pauvre mère ma plus vive et ma plus profonde sympathie. Je sais trop souffrir pour savoir consoler. Vous avez perdu la grâce du foyer, la fleur, la joie, le doux et charmant avril de la vie. Hélas ! le même malheur m’a éprouvé. Vous en sortirez comme moi ; la vie reprend son cours parce que Dieu le veut.

Nous sommes les forçats de la destinée et de la pensée ; on va, on vient, on travaille, on sourit même ; mais, quoi qu’on fasse, il y a toujours une chose sombre et morne dans le cœur, le souvenir de l’enfant disparu. Que Dieu vous aide, cher poëte ! Je ne puis que vous tendre la main, et baisser la tête sous vos afflictions comme sous les miennes.


À Lamartine.


24 mars 1847.

Incedo per ignes. Tout ce que j’ai déjà lu de votre livre[6] est magnifique. Voilà enfin la Révolution traitée par un historien de puissance à puissance. Vous saisissez ces hommes gigantesques, vous étreignez ces événements énormes avec des idées qui sont à leur taille. Ils sont immenses, mais vous êtes grand.

Parfois seulement, dans l’intérêt même de cette sainte et juste cause des peuples que nous aimons et que nous servons tous les deux, je voudrais que vous fussiez plus sévère. Vous êtes si fort que vous le pouvez, vous êtes si

noble que vous le devez. Mais je suis ébloui du livre et ravi du succès.
À Théophile Gautier.


28 juillet [1847].

Vous croyez, ô Albertus, qu’il vous suffit d’écrire de ravissantes choses sur la Hollande et de charmantes choses pour moi, et que je n’ai plus rien à désirer. Mais non, je veux mon chat !

C’est cela ! vous vous en allez, et vous laissez une jolie femme en proie aux souris, et moi en proie à la jolie femme ! Je réclame mon chat !

Et, pour ses quatre griffes, je vous offre mes deux mains.

tuus.


À Mademoiselle Alice Ozy[7].
Mlle  Alice Ozy, la charmante actrice du théâtre des Variétés, avait demandé à Victor Hugo de faire pour elle quelques vers. Il lui avait envoyé ce quatrain :

Platon disait, à l’heure où le couchant pâlit :
— Dieux du ciel, montrez-moi Vénus sortant de l’onde !
Moi, je dis, le cœur plein d’une ardeur plus profonde :
— Madame, montrez-moi Vénus entrant au lit ![8]


Billet d’Alice Ozy :

Grand merci, monsieur ! Les vers sont charmants, un peu légers peut-être si je me comparais à Vénus, mais je n’ai aucune prétention à la succession.


Réponse de Victor Hugo :

Un rêveur quelquefois blesse ce qu’il admire !
Mais si j’osai songer à des cieux inconnus,
Pour la première fois aujourd’hui j’entends dire
Que le vœu de Platon avait blessé Vénus.

Vous le voyez, madame, je voudrais bien vous trouver injuste ; mais je suis forcé de vous trouver charmante. J’ai eu tort et vous avez raison. J’ai eu tort de ne me souvenir que de votre beauté. Vous avez raison de ne vous souvenir que de ma hardiesse. Je m’en punirai de la façon la plus cruelle et je sais bien comment.

Veuillez donc, madame, excuser dans votre gracieux esprit ces licences immémoriales des poëtes qui tutoient en vers les rois et les femmes, et permettez-moi de mettre, en prose, mes plus humbles respects à vos pieds.

Dimanche, midi [15 août 1847].


À Henry Mürger,[9]
28, rue de la Victoire.
[18 septembre 1847.]

La lettre est écrite, monsieur, et sera au comité en même temps que votre demande[10]. Je suis honteux pour mon époque et pour mon pays que des hommes de votre talent n’aient pas devant eux une belle et large carrière de travail. Tout le monde profiterait, vous et nous. Dans tous les cas, je suis heureux de vous appuyer.

Croyez à mes plus affectueux sentiments.

Victor Hugo[11].
À Théophile Gautier.


Vendredi, 4 octobre [1847][12].

Est-ce que vous croyez, cher Albertus, que tout le monde verra votre charmant chef-d’œuvre, excepté moi ? Je viens d’en lire des vers exquis. Attendez-vous à m’apercevoir un de ces soirs par le trou de la toile, installé à l’orchestre, et vous applaudissant comme vous m’avez applaudi, car je vous aime comme vous m’aimez, con toda mi alma.


À Théophile Gautier.


22 octobre [1847].

Ma femme est hors de danger[13], et vous venez d’avoir deux succès coup sur coup, cher Théophile ; je me sens tout content, et j’ai besoin de vous l’écrire.

J’entends dire de toutes parts que votre pièce de l’Odéon est ravissante[14]. Quant à Pierrot posthume, je crois que j’en sais tous les vers par cœur. Je ne connais rien de plus charmant que votre prose si ce n’est votre poésie. Je ne sais pas si je suis votre poëte, mais à coup sûr vous êtes le mien. Je me sens vers vous de ces élans qu’il me semble que Virgile avait vers Horace.

Et puis je vous serre la main.


À Monsieur Buloz,
administrateur de la Comédie-Française.


Permettez-moi, monsieur, d’appeler sur la supplique ci-jointe votre plus bienveillant intérêt[15]. Dans l’ère de prospérité que vous inaugurez si heureusement, se souvenir du passé est à la fois un honneur et un devoir. Vous comprendrez mieux que personne ce que mérite la veuve d’un des comédiens les plus distingués de l’ancien Théâtre-Français. Je serais heureux qu’elle vous dût un peu de pain dans ses vieux jours.

Recevez, je vous prie, la nouvelle assurance de mes sentiments les plus distingués.

Victor Hugo[16].
13 Xbre [1847].
  1. Inédite.
  2. Pierre Cauwet était en relations avec les principaux écrivains de l’époque ; il fit paraître plus tard dans l’Événement (10 mai 1851) un feuilleton très intéressant contenant des lettres de Victor Hugo, Béranger, etc.
  3. Victor Foucher était, en 1847, directeur général des affaires civiles au ministère de la Justice.
  4. Collection Louis Barthou.
  5. La fille unique d’Arsène Houssaye venait de mourir, à trois ans, d’une méningite.
  6. Histoire des Girondins.
  7. Brouillon. Archives de la famille de Victor Hugo.
  8. Variante au verso du brouillon :
    À cette heure charmante où le couchant pâlit,
    Où le ciel se remplit d’une lumière blonde,
    Platon souhaitait voir Vénus sortir de l’onde,
    Moi, j’aimerais mieux voir Alice entrer au lit.
  9. Henry Mürger avait quatorze ans quand il écrivit pour la première fois à Victor Hugo ; il sollicitait une entrée à l’Opéra pour assister à une représentation de la Esmeralda. Plusieurs fois il eut recours au poète dont l’appui ne lui fit jamais défaut. Gagné par la fièvre romantique, Mürger accumula vers et prose et vécut, mal, de ce qu’il trouvait à placer çà et là. Il dirigea un journal de modes. Enfin, en 1847, il fit paraître dans le Corsaire les Premières scènes de la Vie de Bohème qu’il réunit ensuite en un volume ; ce fut le commencement de la célébrité ; la pièce qu’il tira, en collaboration avec Théodore Barrière, de son roman, lui ouvrit les journaux et les revues. Il écrivit trois romans et un délicieux petit acte : Le bonhomme Jadis, qu’on joue encore au Théâtre-Français. Mürger mourut avant d’avoir atteint quarante ans, miné par une vie de misère et de travail.
  10. « ... Une impérieuse nécessité m’oblige à m’adresser au Comité des Gens de lettres pour le prier de patronner une demande de secours que j’adresse au ministre de l’Intérieur... J’ai pensé, Monsieur, qu’un mot de vous adressé en ma faveur au Comité déciderait ses membres à tenter une démarche auprès du ministre… Ma demande au Comité lui arrivera le lundi 19 septembre. » Lettre de Mürger, 17 septembre 1847.
  11. Communiquée par la librairie P. Bérès.
  12. Nous n’avons pas l’original de cette lettre, publiée en 1898, mais on a dû, alors, faire une erreur de lecture ; en 1847, le calendrier marque : vendredi 1er octobre ; et comme Victor Hugo se plaint de ne pas encore avoir vu Pierrot posthume, joué au théâtre du Vaudeville le 4 octobre 1847, c’est sans doute du vendredi 8 octobre qu’il faut dater cette lettre.
  13. Mme  Victor Hugo avait été atteinte de fièvre typhoïde.
  14. Regardez, mais ne touchez pas ! Cette « comédie de cape et d’épée », écrite en collaboration avec Bernard Lopez, fut représentée à l’Odéon le 20 octobre 1847.
  15. La veuve de Lafon, acteur du Théâtre-Français, demandait à Buloz une représentation à son bénéfice.
  16. Dans les Archives de la Comédie-Française, on a joint, à la lettre de Victor Hugo, le brouillon du refus de l’administrateur.