(tome 1p. 589-594).
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1842.


À Monsieur David, statuaire[1].


[Début de février 1842.]

Est-ce que vous voudriez, mon bon David, vous charger de mettre l’adresse à la petite lettre ci-incluse. Elle est pour M. Adrien Maillard, votre jeune compatriote que j’ai vu chez moi. Je vous épargnerais cette peine si je savais son logis.

Vous m’avez encore envoyé de bien belles médailles. C’est la monnaie de bronze avec laquelle vous acquittez votre péage à la postérité. Moi, un de ces matins, je vous adresserai deux gros méchants volumes[2] qui pourront servir à faire des cocottes à votre joli petit enfant.

Mettez-moi aux pieds de votre femme.

Je vous serre la main.

Victor H.[3]


À Hector Berlioz[4].


15 février 1842.

Vous savez, mon cher grand poëte, que Dieu dispose. Plaignez-moi donc ; vos admirateurs de la place Royale vont passer leur soirée au chevet d’un enfant malade[5], au lieu d’aller vous applaudir avec vos admirateurs de tout Paris[6]. J’enverrai deux de vos fanatiques remplir nos deux stalles.

Votre ami.
Victor Hugo.


À Bocage,
Directeur du théâtre de l’Odéon[7].
21 mars 1842.

Vous recevrez, monsieur, presque en même temps que cette lettre, une communication d’un de mes amis sur laquelle je vous demande la permission d’appeler votre attention. M. Auguste Vacquerie qui vous destine un rôle et qui désire vous en entretenir, est un des jeunes écrivains les plus distingués de la nouvelle génération. C’est plus qu’un écrivain, c’est un poëte. Je lui crois très sérieusement un grand avenir ; je lui sais un grand talent. Vous avez déjà beaucoup de gloire ; ce serait en ajouter une nouvelle à toute celle qui vous entoure déjà, que d’aider de votre beau talent et de votre puissant concours au début d’un jeune homme qui, avant peu, aura rang parmi les maîtres.

Je suis heureux de saisir cette occasion de vous redire combien je suis parfaitement à vous.

Victor Hugo[8].
À Jules Lacroix.


14 avril 1842.

Vous avez cent fois raison, cher poëte : faites un tissu homogène[9]. Dans la langue française, il y a un abîme entre la prose et les vers ; en anglais, c’est à peine s’il y a une différence. C’est un magnifique privilège des grandes langues littéraires, du grec, du latin et du français, d’avoir une prose. Ce privilège, l’anglais ne l’a pas. Il n’y a pas de prose en anglais. Le génie des deux langues est donc profondément distinct dans cette question. Ce que Shakespeare a pu faire en anglais, il ne l’aurait certes pas fait en français. Suivez donc votre excellent instinct de poëte, faites en français ce qu’eût fait Shakespeare, ce qu’ont fait Corneille et Molière. Écrivez des pièces homogènes. Voilà mon avis.

Et puis, je vous aime de tout mon cœur[10].


À Madame Dorval.

On m’annonce, mon admirable Tisbe, que vous êtes engagée à l’Odéon. J’en félicite l’Odéon. Il faut un miracle pour peupler cette effroyable solitude, mais vous demander un miracle, c’est tout simplement vous demander ce que vous savez faire. J’espère donc ; et votre réapparition sera pour nous tous un grand bonheur.

Vous connaissez certainement le talent et le nom de M. Auguste Vacquerie. C’est un des premiers et des plus nobles esprits de la nouvelle génération. C’est un poëte, dans la plus haute acception du mot. Il a une fort belle pièce qui est reçue à l’Odéon, et dans cette belle pièce un beau rôle qui voudrait être joué par vous. M. Vacquerie désirerait en causer avec vous-même et se présentera chez vous un de ces jours. Je crois qu’il y a dans son œuvre un grand succès, et que vous y feriez particulièrement un effet profond. Voyez et lisez. Je serais charmé, quant à moi, d’être un jour remercié par M. Auguste Vacquerie et par vous tout à la fois.

Je mets tous mes hommages à vos pieds.

Victor Hugo[11].
30 juillet [1842].
À Monsieur Almire Gandonnière.


31 juillet 1842.

Je connais votre nom, monsieur, et j’aime votre talent, prose et vers. Tout ce que vous faites part du cœur. Or le cœur est la grande source, fons aquarum.

Vous avez raison de louer ce prince[12] : il méritait la louange du poëte. C’était un noble cœur et un charmant esprit. Il avait, entre autres dons rares, les deux grandes qualités que doit avoir un roi de notre siècle : l’intelligence de soi-même et l’intelligence d’autrui.


À Léopoldine.


Paris, ce 18 août [1842].

Merci, ma fille chérie, ma Didine bien-aimée, de ta bonne petite lettre. Écris-moi ainsi tous les jours. J’ai été bien heureux de savoir que mon Toto respirait l’air de là-bas à pleine poitrine. Voici un petit dessin que je lui envoie pour l’en remercier. Dis-lui pourtant de se ménager beaucoup, de ne pas se fatiguer, de ne pas tousser, de rentrer de bonne heure. Dis aussi tout cela à ta bonne mère que Toto doit aimer comme un ange. Embrasse-la bien pour moi ainsi que mon Charlot et ma Dédé.

Ton petit père,
V.

Il m’est survenu, comme président de l’Institut, un petit travail qui me cloue ici. Dès que je serai libre j’irai tous vous voir et vous embrasser ; j’en ai le désir autant que vous, mes bien-aimés.

Embrasse aussi pour moi ma chère Julie. Mille hommages à mesdames

Collin[13].
À Léopoldine.


Ce mercredi, 31 août [1842].

Je reçois avec bien de la joie, ma fillette chérie, toutes les bonnes nouvelles que tu me donnes. Ta mère est rétablie de sa petite indisposition ; mon Toto va de mieux en mieux. Dieu soit loué ! J’ai bien redouté Saint-Prix, je le bénis maintenant.

Je ne pense pas pouvoir aller vous embrasser là-bas avant vendredi, et encore il faudra que je m’en retourne le lendemain de bonne heure. Je présume que j’arriverai avec M. H. Didier qui m’a écrit pour me le demander. Ta mère trouvera sans doute moyen de le coucher.

Remercie, je te prie, mesdames Collin, en attendant que je le fasse moi-même. Je sais qu’elles sont bonnes, mais je suis doublement touché quand leur bonté se répand sur vous. Embrasse pour moi ton excellente mère sur les deux joues, et puis Charlot et Dédé, et Julie. Voici une petite lettre pour mon Toto, dont le bonhomme est charmant. Toi, ma fille chérie, je t’embrasse comme je t’aime, bien tendrement.

V.

Soigne-toi bien aussi, toi. Prends garde à tes maux de tête. Mange bien, ris bien, amuse-toi bien. Chers enfants, votre santé à tous est mon bonheur[14].


À Léopoldine.

Voici, mon enfant chérie, un petit mot pour Toto. J’ai bien peur que mon travail ne m’empêche de vous aller voir avant les premiers jours de la semaine qui vient. Cela me fait plus de peine encore qu’à vous. Tu sais, vous savez tous que mon bonheur est d’être au milieu de vous, mes enfants. Il me faut bien du courage pour rester ici quand vous êtes là-bas.

Embrasse ta bonne mère pour moi, ma fillette bien-aimée. Dis à mon gros Charlot que, puisqu’il dessine, il ait soin de toujours dessiner d’après nature, lentement et soigneusement et fidèlement. C’est le moyen d’arriver un jour à faire vite et sûrement. Dis à ma Dédé qu’elle pense un peu à moi quand Gipon et Gipus le lui permettront. Surtout amusez-vous bien tous là-bas, portez-vous bien, et soyez heureux. — J’espère que dans cinq ou six jours je trouverai Julie coiffée en chinoise ; en attendant embrasse-la bien pour moi.

Excuse-moi près de mesdames Collin de n’être pas allé les voir la dernière fois, et offre-leur tous mes respects. Et puis, chère enfant, toutes ces commissions faites, prie ta mère de t’embrasser pour moi ; elle seule peut le faire aussi tendrement.

Ton petit père,
Ce mercredi, 7 septembre [1842].


À Léopoldine.


Ce vendredi [Fin septembre 1842].

Merci, ma fille chérie, de ta bonne petite lettre. Hélas ! je ne puis venir, je suis dans mon deuxième acte[16] jusqu’aux genoux, jusqu’au cou, jusqu’aux yeux, jusque par-dessus la tête. Embrasse ta bonne mère pour moi, et puis voici trois gribouillis. Tirez-les au sort entre vous quatre. Quand je viendrai, je donnerai un baiser à celui ou à celle qui n’aura rien eu.

Ton petit papa,

  1. Inédite.
  2. Le Rhin, paru le 28 janvier 1842.
  3. Bibliothèque d’Angers.
  4. Compositeur célèbre aujourd’hui, Berlioz fut très discuté de son vivant ; sa puissante originalité le fit considérer comme un révolutionnaire de la musique. Pauvre, il dut, pour vivre, faire de la critique musicale dans divers journaux avant d’imposer ses œuvres au grand public. Actuellement, les mêmes œuvres sont acclamées.
  5. François-Victor.
  6. Berlioz donnait, la salle Vivienne, un concert (La Symphonie funèbre, Rêverie-Caprice, etc.).
  7. Bocage, acteur, ne comptait plus ses succès dans les théâtres du boulevard, quand il prit la direction de l’Odéon.
  8. Archives de la famille de Victor Hugo.
  9. Jules Lacroix avait demandé à Victor Hugo s’il convenait de traduire Shakespeare entièrement en vers alexandrins ou de mêler, comme dans le texte anglais, la prose et les vers.
  10. Archives de la famille de Victor Hugo.
  11. Au verso de la seconde page formant enveloppe, ces deux notes de Vacquerie : « La pièce dont il est question dans cette lettre est Formosa. A. V. — Cette lettre a été écrite en 1842. Je l’ai achetée en 1883, en vente publique, 91 francs 30 centimes. » — Formosa ne fut représentée au théâtre de l’Odéon que le 16 mars 1883.
  12. Le duc d’Orléans, mort le 13 juillet.
  13. Archives de la famille de Victor Hugo.
  14. Archives de la famille de Victor Hugo.
  15. Archives de la famille de Victor Hugo.
  16. Le deuxième acte des Burgraves a été fini le 1er octobre 1842.