Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1821

Louis Conard (Volume 8p. 229-230).

1821. À SA NIÈCE CAROLINE.
Mardi matin, 11 heures [11 mars 1879].

Ce n’est pas drôle, pauvre chérie ! Mais ce pouvait être pire, et j’aime mieux ça ! C’est fini, nous savons à quoi nous en tenir.

Nous voilà au fond de l’abîme ! Est-ce le fond ? Il s’agit d’en sortir maintenant, c’est-à-dire de pouvoir subsister. Quels sont « les projets qui seront sages et auxquels tu espères que j’accéderai ? » Je me perds dans le vide et rêvasse anxieusement. J’en ai fait de mon côté qui me semblent bien impraticables (comme de donner des leçons ! etc., etc.).

Il y a une économie que nous pouvons réaliser, c’est que je n’habite plus du tout Paris. Le sacrifice en est fait dans mon cœur. Ce ne serait pas tous les jours gai ; mais au moins, ici, je serais tranquille. Oh ! la tranquillité ! le repos ! le repos absolu !

Sans doute, Laporte m’avait parlé de F***, mais j’avais mal compris, n’ayant pas toujours la tête à moi maintenant. Tu me dis que « les nôtres en valent bien d’autres ». Je me suis même convaincu que la mienne valait beaucoup, mais on n’emploie pas un rasoir à fendre du bois, ni un cheval de course à charrier des moellons. Les machines délicates se détériorent plus facilement que les grossières. Je me sens ébréché et fourbu. N’importe ! C’est un soulagement de savoir que Flavie ne perdra rien. Quant à Raoul-Duval et Laporte, comment ferons-nous ? Voilà ce qui me tourmente ; réponds-moi là-dessus.

Et je persiste à ne pas comprendre quelle garantie je puis offrir à F***, puisque je n’ai plus rien. Il me demande ma parole, je la lui donne. Mais je ne pourrai tenir ma promesse, et je le sais : je suis donc un coquin. Dans quel état doit être ton pauvre mari !

[…] J’ai reçu ce matin l’Histoire du Vieux Temps de mon disciple, avec une dédicace qui m’a été au cœur. Les lignes imprimées en ton honneur sont charmantes de tact et de délicatesse. Ne trouves-tu pas ?

À 3 heures et demie, je vais avoir la visite de Popelin qui repartira demain matin. Je vais tâcher d’avoir l’air gai, pour le bien recevoir.

Le 28 est de vendredi en 15 ! Le 29 j’espère embrasser ma pauvre fille, et causer avec elle un peu longuement…

Bonne pioche ! et tâche d’être forte pour trois.

Vieux.