Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1646

Louis Conard (Volume 8p. 17-18).

1646. À MADAME TENNANT.
Paris, 16 février 1877.
Ma vieille amie, ma chère Gertrude.

Comment allez-vous, vous d’abord, puis vos deux filles, votre fils, et tout ce que vous aimez, tout ce qui vous intéresse ?

Dimanche dernier, j’ai été agréablement surpris de voir entrer chez moi Hamilton[1]. J’aime à croire qu’il vous a calomniée, car il m’a dit que vous ne viendriez pas à Paris ce printemps. Il se trompe, n’est-ce pas ?

J’ai travaillé cet hiver frénétiquement. Aussi mon volume peut paraître à la fin d’avril prochain. Tourgueneff commence aujourd’hui à traduire le troisième conte. Il paraîtra en français dès qu’il sera paru en russe.

À propos de littérature, pouvez-vous me rendre le service suivant ? Vous n’ignorez pas qu’on veut élever à Paris une statue à George Sand ? Une commission s’est formée dans ce but, et j’en fais partie. Le président m’a demandé aujourd’hui si je ne connaissais pas lord Houghton. Je me suis rappelé qu’il était de vos amis. Donc pouvez-vous lui demander s’il consent à laisser mettre son nom parmi les membres de la commission ? C’est un honneur que nous lui demandons de nous faire. Cette condescendance ne l’engagera à rien de plus. S’il y consent, on lui adressera cette demande officiellement. Voulez-vous, chère Gertrude, vous charger de cette commission ?

Vous rappelez-vous la famille Bonenfant, à Trouville ? La seconde fille (qui n’était pas née en 1842) a tellement entendu parler de vous à ses parents, qu’elle donnera votre nom de Gertrude à une fille dont elle doit accoucher dans trois mois. C’est son beau-frère qui m’a appris cela, ce matin, et ça m’a fait bêtement plaisir. Mais pourquoi bêtement ? Effacez cet adverbe.

Remerciez bien Dolly pour sa gentille épître. Comme les choses sont mal arrangées dans ce monde ! Pourquoi ne vivons-nous pas dans le même pays ? J’aurais tant de plaisir à vous voir souvent ! Et à renouer la chaîne du vieux temps, qui n’a jamais été brisée d’ailleurs.

Il me semble que nous avons bien des choses à nous conter dans le « silence du cabinet », ma chère Gertrude !

Une question : Pourquoi paraissez-vous étonnée de ce que j’aie pu faire un conte intitulé : Un Cœur simple ? Votre ébahissement m’intrigue. Douteriez-vous de mes facultés de tendresse ? Vous n’avez pas ce droit-là, vous !

Je cause souvent de vous avec Caroline. Mille bénédictions sur votre maison. Je vous serre et baise les deux mains.


  1. Hamilton Aïdé.