Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1459

Louis Conard (Volume 7p. 147-148).

1459. À SA NIÈCE CAROLINE.
Croisset, vendredi, 6 heures soir, 12 juin 1874.
Pauvre Loulou,

Moi aussi je n’étais pas gai avant-hier au soir, quand vous êtes partis ! Je ne crois pas que je sois plus tendre qu’autrefois, mais je suis plus bedolle. Je deviens vieux, et la solitude, par moments, me pèse davantage ; et puis ta société est si charmante, ma chère fille, qu’on la regrette et qu’on la désire.

Hier matin, j’ai reçu une lettre d’Achille me disant que je pouvais amener Julie à l’Hôtel-Dieu. C’est ce que j’ai fait immédiatement. Je l’ai installée dans sa chambre, où tout était prêt, du reste. Émile a été la voir aujourd’hui. Elle se trouve très bien, d’autant plus qu’Achille lui a donné grand espoir sur sa guérison.

Cette visite dans l’hôpital, où je n’avais pas mis les pieds depuis si longtemps, n’a pas été précisément d’une gaieté folle. De plus, j’ai été empoigné au milieu de Rouen par un violent mal de ventre, dû sans doute au cayeu (tu vois que je continue à ne te rien cacher), et par un mal de dents.

Il se peut même que demain ou lundi je me fasse extraire ma dernière molaire du côté droit ! J’ai peur d’être embêté par elle dans mon voyage de découvertes en Basse-Normandie. En fait de nouvelles, le serrurier est venu hier pour la serrure de la porte de l’escalier. Et tout à l’heure l’étameur a pris les glaces.

Lundi prochain je dînerai chez les Lapierre.

Le temps s’est singulièrement rafraîchi. J’espère qu’il en est de même à Paris. Je vais faire une petite promenade dans les cours, en compagnie de Julio, avant de dîner. Mais que Croisset est triste, sans sa propriétaire !

Remercie bien Ernest de la peine qu’il s’est donnée pour mon logement. Sans être « sublimes » ni l’un ni l’autre, soignez-vous bien ou plutôt tâchez de n’avoir besoin d’aucun soin extraordinaire : pas de maladies, et pas d’accidents !

Je t’écrirai lundi ou mardi prochain.

Pense à moi souvent et envoie-moi de bonnes lettres.

Bon voyage[1], mes chers enfants. La pensée de

Ta vieille Nounou qui te bécote t’accompagne.


  1. M. et Mme Commanville venaient de s’embarquer pour la Suède.