Correspondance avec Élisabeth/Descartes à Élisabeth - Paris, juillet 1644 (?)

- Descartes à Élisabeth - Egmond du Hoef, novembre 1644 Correspondance avec Élisabeth - Élisabeth à Descartes - La Haye, 1er août 1644


Madame,

Mon voyage ne pouvait être accompagné d'aucun malheur, puisque j'ai été si heureux, en le faisant, que d'être en la souvenance de Votre Altesse ; la très favorable lettre, qui m'en donne des marques, est la chose la plus précieuse que je pusse recevoir en ce pays. Elle m'aurait entièrement rendu heureux, si elle ne m'avait appris que la maladie qu'avait Votre Altesse, auparavant que je partisse de La Haye, lui a encore laissé quelques restes d'indisposition en l'estomac. Les remèdes qu'elle a choisis, à savoir la diète et l'exercice, sont, à mon avis, les meilleurs de tous, après toutefois ceux de l'âme, qui a sans doute beaucoup de force sur le corps, ainsi que montrent les grands changement que la colère, la crainte et les autres passions excitent en lui. Mais ce n'est pas directement par sa volonté qu'elle conduit les esprits dans les lieux où ils peuvent être utiles ou nuisibles ; c'est seulement en voulant ou pensant à quelque autre chose. Car la construction de notre corps est telle, que certains mouvements suivent en lui naturellement de certaines pensées : comme on voit que la rougeur du visage suit de la honte, les larmes de la compassion, et le ris de la joie. Et je ne sache point de pensée plus propre pour la conservation de la santé, que celle qui consiste en une forte persuasion et ferme créance, que l'architecture de nos corps est si bonne que, lorsqu'on est une fois sain, on ne peut pas aisément tomber malade, si ce n'est qu'on fasse quelque excès notable, ou bien que l'air ou les autres causes extérieures nous nuisent ; et qu'ayant une maladie, on peut aisément se remettre par la seule force de la nature, principalement lorsqu'on est encore jeune. Cette persuasion est sans doute beaucoup plus vraie et plus raisonnable, que celle de certaines gens, qui, sur le rapport d'un astrologue ou d'un médecin, se font accroire qu'ils doivent mourir en certain temps et par cela seul deviennent malades, et même en meurent assez souvent, ainsi que j'ai vu arriver à diverses personnes. Mais je ne pourrais manquer d'être extrêmement triste, si je pensais que l'indisposition de Votre Altesse durât encore ; j'aime mieux espérer qu'elle est toute passée; et toutefois le désir d'en être certain me fait avoir des passions extrêmes de retourner en Hollande.

Je me propose de partir d'ici, dans quatre ou cinq jours, pour passer en Poitou et en Bretagne, où sont les affaires qui m'ont amené ; mais sitôt que je les aurai pu mettre un peu en ordre, je ne souhaite rien tant que de retourner vers les lieux ou j'ai été si heureux que d'avoir l'honneur de parler quelquefois à Votre Altesse. Car, bien qu'il y ait ici beaucoup de personnes que j'honore et estime, je n'y ai toutefois encore rien vu qui me puisse arrêter. Et je suis, au-delà de tout ce que je puis dire, etc.