Correspondance avec Élisabeth/Descartes à Élisabeth - La Haye, 6 juin 1647

- Élisabeth à Descartes - Crossen, mai 1647 Correspondance avec Élisabeth - Descartes à Élisabeth - Egmond, 20 novembre 1647


Madame,

Passant par La Haye pour aller en France, puisque je ne puis y avoir l'honneur de recevoir vos commandements, et vous faire la révérence, il me semble que je suis obligé de tracer ces lignes, afin d'assurer Votre Altesse que mon zèle et ma dévotion ne changeront point, encore que je change de terre. J'ai reçu depuis deux jours une lettre de Suède de Monsieur le Résident de France qui est là, où il me propose une question de la part de la Reine, à laquelle il m'a fait connaître en lui montrant ma réponse à une autre lettre qu'il m'avait ci-devant envoyée. Et la façon dont il décrit cette Reine, avec les discours qu'il rapporte d'elle, me la font tellement estimer, qu'il me semble que vous seriez dignes de la conversation l'une de l'autre; et qu'il y en a si peu au reste du monde qui en soient dignes, qu'il ne serait pas malaisé à Votre Altesse de lier une fort étroite amitié avec elle, et qu'outre le contentement d'esprit que vous en auriez, cela pourrait être à désirer pour diverses considérations. J'avais écrit ci-devant à ce mien ami Résident en Suède, en répondant à une lettre où il parlait d'elle, que je ne trouvais pas incroyable ce qu'il m'en disait, à cause que l'honneur que j'avais de connaître Votre Altesse, m'avait appris combien les personnes de grande naissance pouvaient surpasser les autres, etc. Mais je ne me souviens pas si c'est en la lettre qu'il lui a fait voir, ou bien en une autre précédente, et pour ce qu'il est vraisemblable qu'il lui fera voir dorénavant les lettres qu'il recevra de moi, je tâcherai toujours d'y mettre quelque chose qui lui donne sujet de souhaiter l'amitié de Votre Altesse, si ce n'est que vous me le défendiez.

On a fait taire les théologiens qui me voulaient nuire, mais en les flattant, et en se gardant de les offenser le plus qu'on a pu, ce qu'on attribue maintenant au temps; mais j'ai peur que ce temps durera toujours, et qu'on leur laissera prendre tant de pouvoir, qu'ils seront insupportables.

On achève l'impression de mes Principes en français; et pour ce que c'est l'Epître, qu'on imprimera la dernière, j'en envoie ici la copie à Votre Altesse, afin que, s'il y a quelque chose qui ne lui agrée pas, et qu'elle juge devoir être mis autrement, il lui plaise me faire la faveur d'en avertir celui qui sera toute sa vie, etc.