Correspondance avec Élisabeth/Élisabeth à Descartes - Crossen, 30 juin 1648.

- Descartes à Élisabeth - Egmond, 31 Janvier 1648 Correspondance avec Élisabeth - Descartes à Élisabeth - Paris, juin ou juillet 1648


Monsieur Descartes,

L'enflure que j'ai eue au bras droit, par la faute d'un chirurgien qui m'a coupé partie d'un nerf en me saignant, a empêché de répondre plus tôt à votre lettre du 7e de mai, qui me représente un nouvel effet de votre parfaite générosité, au regret que vous avez de quitter l'Hollande y pouvoir espérer de m'y faire jouir de l'utilité de votre conversation, qui véritablement est le plus grand bien j'y attendais et l'unique sujet qui m'a fait songer aux moyens d'y retourner, à quoi l'accommodement des affaires d'Angleterre m'aurait autant servi que le désespoir d'en voir en celles d'Allemagne.

Cependant on parle du voyage que vous avez proposé autrefois, et la mère de la personne à qui votre ami a donné vos lettres a reçu ordre de le faire réussir sans qu'on sache son pays que cela vient de plus loin que de son propre mouvement. On a mal choisi la bonne femme pour ménager un secret, elle qui n'en eut jamais. Toutefois elle fait le reste de sa commission avec beaucoup de passion, et voudrait qu'un tiers y volât; ce qu'il n'est point en dessein de faire, mais il l'a remis à la volonté de ses parents, qui sera sans doute pour le voyage, et s'ils envoient l'argent qui y est nécessaire, il est résolu de l'entreprendre, puisque en cette conjoncture il aura moyen peut-être d'y rendre service à ceux à qui il le doit, et qu'il pourrait retourner avec la bonne femme susmentionnée, qui ne prétend pas d'y demeurer non plus. Il n'y a que ceci de changé des raisons qui vous ont été écrites contre ledit voyage, et la mort de cette femme (qui est assez maladive), ou qu'elle soit obligée de partir avant que la réponse des parents de l'autre arrive, sont les plus apparentes pour le rompre. J'ai reçu, passé trois semaines, une lettre fort obligeante du lieu en question, pleine de bonté et de protestations d'amitié, mais qui ne fait nulle mention de vos lettres, ni de ce qui a été dit ci-dessus; aussi on ne l'a mandé à la bonne femme que de bouche par un exprès.

Je ne vous ai pas encore rendu compte de ma lecture de la version française de vos Principes de philosophie. Combien qu'il y ait quelque chose dans la préface, sur quoi' j'ai besoin de votre explication, je ne l'ajoute pas ici, parce que cela en grossirait trop ma lettre. Mais je prétends vous en entretenir une autre fois, et me promets qu'en changeant de demeure, vous conserverez toujours la même charité pour

Votre très affectionnée amie à vous servir,

Élisabeth.