Correspondance 1812-1876, 6/1875/CMXXXVI


Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 349-351).


CMXXXVI

À MADAME EDMOND ADAM, À PARIS


Nohant, 11 juillet 1875.


Chère Juliette, vous avez dû recevoir toutes les photographies publiées. Nous avons encore à recevoir des épreuves du salon de Nohant, de Titite vue de face, de moi, et d’autres marionnettes. Si l’envoi ne vous arrive pas, c’est qu’il s’est égaré. Dites-moi demain ce que vous avez reçu, et je compléterai la collection qui vous est destinée. C’est le photographe de Châteauroux que j’avais chargé de vous expédier la grande vue. Elle est très réussie. Le jardin était tout fleuri et il n’y avait pas un souffle de vent dans les branches, circonstance rare chez nous au printemps. Dans le Midi, il y a un autre inconvénient : la lumière est trop franche et les objets viennent trop noirs et trop secs. Des arbres réussis comme douceur et netteté sont difficiles partout à obtenir, et j’ai jugé cette photographie digne d’être encadrée parce qu’elle est intrinsèquement très belle.

La rougeole est si bien installée au pays, que tout le monde y passe. Titite en est sortie très vite et bénignement. Maintenant, c’est Lina qui est sur le flanc avec la fièvre et un masque de rougeurs très vives. Nous la soignons, en attendant le tour d’Aurore, qui se préserve jusqu’à présent. Ma fête a été gaie quand même. Titite était guérie et Lina n’avait rien encore. Plauchut nous a régalés d’un brillant feu d’artifice, et, cette fois, Titite, devenue grande et brave, n’a pas mouillé ses chausses. On a mis tous les petits cadeaux et bouquets dans votre beau plateau de laque et on l’a admiré comme une merveille.

Nous n’avons pas de sinistres dans nos pays de plaine, et les orages n’ont pas eu de violence. Le jardin est une oasis de fleurs et de verdure. Le jardinier qui n’a plus à arroser, nous disait tout à l’heure : — J’engraisse !

Titite est marraine aujourd’hui, avec Plauchut pour compère. Elle est pourtant protestante ; mais le curé n’y fait pas attention. Ils sont partis pour Vic : les petites portant des bouquets plus gros qu’elles, l’enfant et la sage-femme avec elles dans l’omnibus, et le cornemuseux faisant brailler sa musette sur l’impériale ; la nourrice de mes filles, Amic, etc., tous enrubannés et chargés de sous neufs et de dragées ; les chevaux piaffant et reniflant, très embêtés par cette musique bruyante ; les passants épatés !… C’était vraiment un beau départ. J’attends le retour et je vous quitte pour aller donner de la tisane à Lina.

Je vous embrasse tous et pour tous, bien tendrement.

G. S.