Correspondance 1812-1876, 6/1873/DCCCLXXXVIII


Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 274-275).


DCCCLXXXVIII

À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE,
À ANGERS


Nohant, 4 janvier 1873.


Il ne faut pas que cette année qui commence vous emporte, comme vous le redoutez. Non, les âmes aimantes survivent à tout et supportent tout ; elles achèvent sur la terre l’existence de leurs amis partis avant elles ; elles les y font vivre encore dans leur culte et dans leurs souvenirs. Ne devançons point l’heure où il plaira à Dieu de nous réunir à ce que nous avons aimé ; et alors nous laisserons, nous aussi, quelque chose de nous dans les cœurs qui nous auront été dévoués. On ne meurt pas tout entier sur la terre et pourtant on vit plus pleinement ailleurs. Il n’y a ni vengeances ni supplices, il n’y a que justice et bonté dans le sein de Dieu, où nous existerons éternellement sous quelque forme et à quelque titre que ce soit. Cela, nous l’ignorons, et c’est cette ignorance du sort qu’il nous réserve qui fait la douceur et le mérite de notre confiance en lui ; ne seront damnés, croyez le bien, que ceux qui auront cru à la damnation ; mais cette damnation, que nous rêvons éternelle et terrible, ne saurait être qu’une nouvelle épreuve supportable et passagère. Dieu n’existe pas, ou il est bon ; toute religion qui n’aboutit pas à la confiance, nous enseigne la peur de Dieu, c’est-à-dire la haine du vrai.

Je vous dis ma religion, qui me rend heureuse, et je voudrais que vous fussiez calme et heureuse aussi ; car vous méritez de l’être, en dépit de toutes vos douleurs.

Croyez que je m’y intéresse vivement et que je vous suis dévouée de cœur.

G. SAND.