Correspondance 1812-1876, 6/1873/CMV


Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 300-302).


CMV

À M. CHARLES-EDMOND, À PARIS


Nohant, 13 décembre 1873.


Comment ! vous écrivez remord sans s à la fin ? En voilà un crime ! Seulement je l’aurais écrit de même, et, depuis Littré, je me paye, au courant de la plume, toutes les fautes d’orthographe possibles ; je la garde pour la correction des épreuves, et voilà l’effet des méthodes parfaites. Elles nous rendent paresseux ; c’est une question grave à examiner.

Annoncez un roman de moi ; j’ai assez payé Buloz ce droit-là pour m’en servir. Vit-on jamais plus drôle de situation ? Il me donnait le maximum (que je ne lui demandais pas) avec joie. Je lui demande le minimum et il consent à regret. Il est jaloux de ma prose, c’est l’Othello de la copie. J’en ris avec mes enfants, mais ne parlez pas de cela. Sa fureur contre vous en augmenterait et il se vengerait par ces éreintements pour lesquels il trouve des rédacteurs faits pour lui.

Je voudrais vous le donner bientôt, ce roman ; mais il me faut mûrir un sujet qui ait de l’animation ou une couleur historique intéressante en feuilletons.

Tenez bon pour mademoiselle Broizat[1] (rôle d’Edmée). Je n’ai pas vu mademoiselle Petit, je n’en puis médire, mais j’ai vu l’autre, et je la crois excellente.

Puisque le rôle de Jean le Tors est distribué, je voudrais qu’au moins Clerh jouât le bonhomme Patience : Duquesnel le lui a promis ; faites pour Clerh ce que vous pourrez.

J’ai cherché, dans mes dessins, de quoi satisfaire M. de Goncourt. Mais ce ne sont que notes de voyage qui n’ont d’intérêt que pour moi et qui, par eux-mêmes, n’ont aucune espèce de mérite ni de valeur. Or, si ce n’est qu’une affaire de curiosité, pour montrer au public combien les littérateurs dessinent bêtement, c’est pas la peine de se donner un ridicule.

J’espère encore un mot de vous demain matin pour savoir comment a marché la représentation. Tachez que la pièce danoise dure longtemps, afin que je n’aille pas à Paris par le froid, et que je la voie en préparant Mauprat.

À vous de cœur, cher ami, et toutes les tendresses de Maurice et de ces demoiselles. Quant à Lina, intrépide comme personne, elle est au marché du samedi et fait ses emplettes.

G. SAND.

  1. On allait reprendre Mauprat à l’Odéon.