Correspondance 1812-1876, 6/1872/DCCCLV


Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 213-214).


DCCCLV

À EDME SIMONNET, À PARIS


Nohant, 20 juin 1872.


Bon courage, mon cher mignon, travaille, ne te laisse pas trop distraire. Tu feras bien d’aller le dimanche chez madame Adam. Certainement tous mes amis t’adopteront et t’aimeront. Tu seras là en bonne et honnête compagnie et tu t’y décrasseras du provincialisme trop accusé de la Châtre. Si cette vie, bien différente des brasseries du quartier Latin, te plaît et t’attire, ton but pourra bien être de rester à Paris par la suite. Mais il ne faut pas te laisser entraîner par les choses agréables du présent. Il ne faut pas rentrer tard ; il faut avoir le cerveau frais tous les matins ; enfin, il faut triompher.

Sois tranquille pour l’avenir, si tu gagnes cette courte et décisive victoire. Du moment que je serai sûre de ta raison, de ta volonté, de ton goût pour les choses et les personnes distinguées, de ton mépris pour la triste oisiveté bête que tu me décrivais si bien dans nos causeries du soir, je m’appliquerai à te ramener en temps possible à Paris, et à t’y faire un milieu où tu ne te sentiras pas déchoir intellectuellement et moralement. Il faut à présent traverser quelques épreuves.

Rien ne réussit à qui ne s’aide pas avec énergie ; car, tu l’as vu, tu le sais maintenant, la société est un sauve qui peut, avec la consolante devise : chacun pour soi, et tant pis pour les indolents ou les distraits.

Maurice a dû t’écrire. En tout cas, je te remercie d’avoir tant couru pour sa mappemonde.

Nous ne sortons pas, nous avons eu de gros orages. Dimanche, la jeunesse a été forcée de coucher ; le ciel n’était qu’UN FEU et l’eau tombait a torrents. Le tonnerre a labouré un de nos peupliers dans le pré du jardin. La détonation a été jolie. Antoine en a sauté comme une carpe sur sa chaise. Les fillettes dormaient si bien, qu’elles ne se sont pas réveillées. Hier, ce tapage et ce déluge ont recommencé dans la nuit. Ça me rend un peu malade et j’en veux à dame nature, dont j’aime tant les grâces et les colères, de me fatiguer le corps, quand mon instinct est de l’admirer jusque dans ses drames.

Je travaille quand même huit heures par jour. Travaille au moins quatre avec grande attention et tu arriveras.

Je te bige mille fois. Ta tante,
G. SAND.