Correspondance 1812-1876, 6/1872/DCCCLII


Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 208-209).


DCCCLII

À M. PAUL ALBERT, À PARIS


Nohant, avril 1872.


Chers amis,

Il ne faudra pas m’en vouloir si votre enfant ne vous arrive que lundi vers cinq heures après midi. Je l’ai retenu à cause du dimanche, où nos autres grands enfants se réunissent chez nous. En prenant demain l’express à Châteauroux, il regagnera le temps perdu, et il aura encore toute sa soirée chez vous pour se préparer à sa rentrée de mardi. Je ne peux pas assez vous dire combien nous le trouvons charmant, sincère, intelligent et naturel. J’ai causé avec lui de ses projets ; naturellement ils se trouvent d’accord avec ma conviction, qu’il est bon de suivre le chemin où le père, le meilleur ami et le plus sûr appui, a déblayé un chemin, et où il peut encore nous ôter des épines après les avoir bravées pour lui-même. L’enfant me paraît amoureux de son père, fier d’être à lui et n’ayant d’autre rêve que de lui ressembler. Le conseil que je me suis permis de donner et sur lequel j’ai insisté, c’est la persévérance. Choisir sa carrière est sans doute un droit ; mais ce droit satisfait devient aussitôt un devoir très sérieux. Il serait très fâcheux de s’engager dans une route pour reculer en s’apercevant qu’elle n’est point pavée de feuilles de roses. Je lui ai bien dit que ces routes-là n’existaient pas et qu’il fallait, une fois parti, avancer toujours, sans regarder derrière soi.

Merci mille fois, chers amis, pour la visite de ce cher enfant que je redemande très instamment toutes les fois qu’il sera libre et que j’aime de tout mon cœur. Il a plu à toute la famille et aux amis qui l’ont vu chez nous ; et il peut bien compter que nous lui sommes tous dévoués comme à un des nôtres. Je revendique le droit d’être aussi de sa famille et d’ajouter ma tendresse et ma sollicitude à celles qu’il trouve chez lui.

À vous de cœur.

G. SAND.