Correspondance 1812-1876, 6/1871/DCCXCVII


Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 104-106).


DCCXCVII

À M. EDMOND PLAUCHUT, À PARIS


Nohant, 24 mars 1871.


Quelle tristesse et quelle anxiété ! Si vous pouviez opposer une ferme et froide résistance sans effusion de sang ! Ce parti d’exaltés, s’il est sincère, est insensé et se précipite de gaieté de cœur dans un abîme.

La République y sombrera avec lui. Le Paris légal pas vu clair.

Par dépit contre une réaction qui n’était pas bien unie et par conséquent pas bien redoutable, il s’est jeté dans l’extrême. Il a fait comme un locataire qui laisse brûler la maison, et lui avec, pour jouer un mauvais tour à son propriétaire. J’avais prévu tout cela ! Mais c’est une triste chose que d’avoir raison quand c’est le désastre qui vous le donne. Quelle réaction maintenant !

Paris est grand, héroïque, mais il est fou. Il compte sans la province, qui le domine par le nombre et qui est réactionnaire en masse compacte. Tu m’écris : « Dites bien à la province que nous haïssons le gouvernement. »

Comme vous êtes ignorants de la province ! elle fait un immense effort pour accepter Thiers, Favre, Picard, Jules Simon, etc., tous trop avancés pour elle. Elle ne peut tolérer la République qu’avec eux, M. Thiers l’a bien compris, lui qui veut une république bourgeoise et qui ne se trompe pas, hélas ! en croyant que c’est la seule possible. Sachez donc, vous autres, que les républicains avancés sont dans la proportion de 1 pour 100, sur la surface du pays entier, et que vous ne sauverez la République qu’en montrant beaucoup de patience, et en tâchant de ramener les excessifs.

Vous voilà dépassés par un parti qui voit encore moins clair et qui croit dominer au moins Paris.

Pauvre peuple ! il commettra des excès, des crimes ; mais quelles vengeances vont l’écraser ! Mon Dieu, mon Dieu ! soyez fermes et patients, tâchez de le ramener (ce parti !).

En province, on croit qu’il est vendu à la Prusse ; c’est tout ce qu’il retirera de ses triomphes dans la rue. Il donne tous les prétextes possibles à la réaction ! Et les Prussiens ! ils vont peut-être terminer la lutte. Quelle honte après tant de gloire ! Cher enfant, nous sommes mortellement inquiets de toi et de tous nos amis. Écris-nous une ligne tous les jours. Nous savons les événements par les journaux ; ne te fatigue pas à nous les raconter. Parle-nous de toi seulement. Que je suis contente de savoir ton frère revenu et reparti ! J’espère qu’après cette crise, tu viendras enfin chez nous !

Nous t’embrassons tous bien tendrement.