Correspondance 1812-1876, 6/1870/DCCXL



DCCXL

À MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE,
À ANGERS


Nohant, 30 juillet 1870.


Je plains toutes vos douleurs, je ne vous dis pas les miennes ; je n’en ai pas le droit, puisque j’ai une famille et le bonheur domestique, qui compense les pertes les plus cruelles. J’ai pourtant perdu des petits-enfants, et ce que j’ai souffert alors est atroce, parce qu’on a à supporter un double déchirement, celui de ses enfants et le sien propre. On en triomphe, tant qu’il en reste ou qu’il en revient.

Ces chers petits êtres sont tout pour la vieillesse ; mais la vie se passe à trembler pour eux ; il n’y a donc ni repos ni joie sereine en ce monde, et nul ne peut se dispenser d’un très grand courage pour accepter la mission d’aimer, de souffrir et de se dévouer sans relâche. Vous avez vécu de dévouement, vous en vivrez encore. L’amitié vous a payée de vos soins, et vous avez pardonné aux ingrats. Vous trouverez toujours du bien à faire, des misères à adoucir, de pauvres êtres manquant d’appui. Vous vous soutiendrez par la bonté, et votre vie n’aura pas été stérile ; elle aura sa pure récompense dans l’éternité, où vous renaîtrez, sous quelle forme ? je l’ignore, mais meilleure encore et plus heureuse certainement. La justice éternelle le veut ainsi. Ayez confiance, croyez à tout ce que vous méritez. Ne croyez à rien de ce que vous ne méritez pas. Croyez aussi à l’affection bien dévouée que je vous porte.

GEORGE SAND.