Correspondance 1812-1876, 5/1869/DCXCIX



DCXCIX

À M. EDMOND PLAUCHUT, À PARIS


Nohant, 11 juin 1869.


Comment vas-tu, mon Plauchemar ? Ta petite personne délicate et frêle est-elle restaurée ? Trempes-tu encore des biscuits dans du madère avant la soupe, pour te mettre en appétit ?

Pour moi, je vas comme les vieux chevaux qui travaillent jusqu’à la dernière minute avant l’abattoir. J’ai fait le voyage seule dans mon coupé, et n’en suis descendue qu’à Châteauroux. Comme cette route que je connais trop m’ennuie beaucoup, j’ai fermé tous les stores, j’ai dormi jusqu’à Orléans ; puis j’ai lu tout un volume de Tourguenef, jusqu’à Nohant. Lina m’attendait à Vic, avec les deux fillettes. Toutes trois vont bien et Lolo continue à être une merveille. Elle ne veut plus me quitter, et, du jardin, elle me crie : « Es-tu chez toi, bonne mère ? Tu vas pas t’en aller encore ? »

La poupée a eu le plus grand succès ; mais les pelles et les brouettes l’emportent sur tout, et les bananes enfoncent tout autre mets. Maurice, Lina et moi, nous en avons aussi la passion, et je te réponds qu’on les fête : elles sont délicieuses ! on te remercie, et Lolo répète que son Plauchut fait tout ce qu’elle veut. Allons, marie-toi donc, gros irrésolu, pour avoir une Aurore à gâter !

Gabrielle est gentille aussi comme tout, toujours gaie et toujours en mouvement. Maurice est agriculteur jusqu’à la moelle. Il se lève à sept heures, va aux foires et marchés, et se porte à ravir. Ça l’a rajeuni de dix ans. Tu penses que je suis heureuse de voir que tout va bien et qu’on est heureux ; Nohant est ombreux, fleuri, feuillé comme je ne l’ai jamais vu ; récolte de foins splendide chez nous, mauvaise ailleurs. Pas de fruits, ça fera l’affaire de Magny.

On t’attend pour ma fête et on en saute de joie ; je leur ai conté l’affaire de ton voyage nocturne à Palaiseau et ils en ont été tout attendris. Donne-nous de tes nouvelles et viens le plus tôt que tu pourras. J’ai beau être au milieu de ce que j’ai de plus cher au monde, ta bonne figure me manque, et il ne me semble plus que je sois au complet sans toi. À bientôt, donc, n’est-ce pas ?

G. SAND.